LE DÉPISTEUR


LE DÉPISTEUR

Le dépisteur
Scénario : Antoine Ozanam
Dessin : Marco Venanzi
Éditeur : Glénat
Collection 24×32
52 pages
Prix : 14,95 €
Parution :  8 mars 2023
ISBN 9782344040812

Ce qu’en dit l’éditeur

Sur les traces des enfants rescapés de la Shoah

La France, dans les années 50. La guerre est terminée, mais la mission de Samuel ne fait que commencer. Il sillonne inlassablement la campagne française car il fait partie des anciens scouts juifs regroupés sous le nom de « dépisteurs ». Leur travail consiste à partir à la recherche des enfants juifs cachés dans des familles d’accueil pendant la guerre, dans l’espoir de les ramener auprès des leurs.

Lorsque Samuel arrive dans le Lot, les nouvelles sont décourageantes et la piste menue. Il semblerait que la famille qu’il recherche ait été dénoncée pendant l’Occupation. Aux dires d’un paysan, tout le monde a été exécuté ! Mais même avant cela, personne ne se souvient de l’enfant caché.

Notre dépisteur compte bien découvrir coûte que coûte ce qui est arrivé à la petite fille qui avait 1 an en 1943. Pour ce faire, direction le village de Saint-Cirq-Lapopie ! Commence alors une quête difficile. Face à l’absence de documentation et au manque de preuves tangibles, ce sont autant les témoignages du voisinage, les rencontres fortuites que ses propres souvenirs et remords qui guideront les pas de Samuel. Preuve que tout le monde a, à un moment ou à un autre, quelque chose à cacher.

Antoine Ozanam et Marco Venanzi s’appuient sur des faits historiques pour nous entraîner dans une formidable aventure humaine à travers ce diptyque, qui bien que fictionnel rend bien compte du travail de ces dépisteurs dans une France encore rurale où la solidarité et l’ignominie se côtoient.

Antoine Ozanam s’intéresse depuis longtemps à La Shoah. Après avoir conçu des CD roms sur ce thème, il a adapté « Le Journal d’Anne Frank » en bande dessinée et il s’attelle cette fois à un de ses aspects méconnus : la recherche des enfants juifs cachés sous l’Occupation par des « dépisteurs » mandatés par des organismes comme l’Œuvre des orphelins israélites.

Samuel est de ceux-là. Il se rend dans le Lot près de Saint-Cirq-Lapopie à la recherche d’une petite fille placée dans ce village alors qu’elle était bébé. Mais la famille qui l’avait recueillie faisait partie de la Résistance et a été dénoncée et exécutée en 1943. Qu’est devenue l’enfant ? Il va mener son enquête qui va faire ressurgir à la fois des traumatismes personnels et lui rappeler une mission précédente se déroulant à Ezterenzubi dans les Pyrénées …

UN « SI JOLI » VILLAGE

C’est un premier tome, de nombreuses questions restent sans réponse et l’on a hâte de découvrir la suite et la fin de ce premier cycle pour avoir la totalité de l’intrigue. On remarquera néanmoins déjà un art consommé du récit : les flashbacks de l’histoire des Pyrénées sont intelligemment amenés par des « associations d’idées » du protagoniste fonctionnant comme des fondus enchaînés au cinéma ainsi que par un relais de narration puisque Samuel couche ses souvenirs de cette première mission par écrit et nous lisons ce « journal ».

Les deux enquêtes servent certes à attiser l’intérêt du lecteur (piqué au vif par le cliffhanger des dernières pages !) mais ne constituent finalement qu’un prétexte. Elles permettent en effet de surtout montrer la vie dans les villages après-guerre et soulignent justement que les guerres de clocher, les rancœurs et les non-dits n’ont pas miraculeusement disparu au moment de l’Armistice. Le scénariste se concentre donc sur les relations humaines et nous délivre une vision loin d’être bucolique.

DES MICROCOSMES

Ce tome introductif met en scène différents personnages secondaires savoureux comme celui qui lui donne son titre, « la Tondue », femme au fort caractère victime de la bêtise populaire à la Libération qui a décidé de continuer à se raser le crâne pour que les autres ne décident pas pour elle de sa coupe de cheveux !

Mais on fait également connaissance d’un horloger gourmet qui fournit de renseignements au héros moyennant des repas à l’auberge du coin et l’on aperçoit enfin en « guest star » André Breton et ses amis.

L’Histoire et l’histoire se mêlent donc intimement : hormis l’écrivain qui a réellement élu domicile à St Cirq durant quatre ans, tous les autres personnages sont des personnages de fiction mais les situations qu’ils traversent sont fondées sur des faits réels. Ozanam a ainsi rencontré « sa » tondue dans l’enfance, entendu parler d’enfants cachés lors de ses séjours dans le Lot, s’est inspiré de l’affaire Finaly aussi. Il s’est documenté sur les dépisteurs et inspiré de l’un d’eux pour créer Samuel.

Il choisit de faire se rencontrer (voire se télescoper) différents mondes : le jeune Juif rescapé des camps et celle qui fut accusée de collaboration horizontale, les montagnards taiseux et les artistes parisiens en goguette, les paysans et les gens de la ville. La solidarité se niche là où on ne l’attend pas, la perversité également. Il brosse finalement un portrait assez fin de l’âme humaine dans un refus du manichéisme : son héros au premier chef n’est pas exempt de fêlures et tous ont leurs secrets.

UN TRAIT CLASSIQUE

Ce scénario assez classique est soutenu par le dessin réaliste de Marco Venanzi qu’on connaissait pour ses reprises de l’univers d’Alix de Jacques Martin et du Masquerouge de Juillard. Ce passionné d’histoire qui avait commencé sa carrière en réalisant la biographie de l’abbé Froidure (équivalent belge de l’abbé Pierre et grand résistant durant la seconde guerre mondiale qui sauva de nombreux enfants juifs) a tout de suite été partant pour l’aventure. Comme les relations humaines sont au centre du sujet, il porte particulièrement attention à l’expressivité de ses personnages, même si l’on peut regretter néanmoins qu’il n’arrive pas encore totalement à se démarquer du style « Jacques Martin » et que ses fillettes aient un peu trop les traits d’Enak…

Il livre de très belles planches et a fort bien su retranscrire les paysages ensoleillés du Lot et ceux enneigés des Pyrénées. Il joue avec brio des lumières pour délimiter les différents épisodes et parvient – même s’il travaille en numérique – à créer un grain dans la couleur qui fait penser aux photos d’époque.

Soucieux des moindres détails tant architecturaux (très belle reconstitution de la maison de Breton) que vestimentaires, il s’est appuyé sur des documents d’époque et a même puisé dans ses albums photos de famille. Le récit, même si la pagination de ce premier tome est assez dense (52p), prend son temps : on a des cases muettes qui soulignent les moments de réflexion de Samuel, son cheminement ainsi que celui du lecteur.

Selon le mémorial de la Shoah, 72000 enfants juifs vivaient en France en 1939 ; 11400 d’entre eux ont péri dans les camps et environ 60 000 ont survécu. Tous n’ont pas été immédiatement été retrouvés ; parfois ils ont été les victimes collatérales de conflits locaux, parfois certaines familles hôtes n’ont pas voulu les rendre… Ce premier diptyque se focalise sur deux enquêtes du jeune Samuel : le tome 1 s’intéresse plus particulièrement au Lot comme le souligne sa couverture (le paysage du Sud-Ouest occupe les 3/4 de l’espace), le second devrait expliciter les mystères de l’enquête basque ainsi que le laisse à penser sa couverture symétrique aux proportions inversées. Ce dépisteur déterre des histoires d’un passé récent et douloureux d’Occupation que les habitants souhaiteraient souvent oublier et ceci regorge de possibilités narratives. Antoine Ozanam a dans ses cartons de quoi faire mener une dizaine d’enquêtes à son protagoniste. Si celles-ci sont aussi maîtrisées que ce premier cycle, il serait dommage qu’elles ne voient pas le jour et que « Le Dépisteur » ne devienne pas une série !

POUR ALLER PLUS LOIN

Des bd des auteurs sur le thème de la Shoah

L’interview d’Antoine Ozanam (à venir)


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