TATI ET LE FILM SANS FIN


Tati et le film sans fin

Tati et le film sans fin
Scénario : Arnaud Le Gouëfflec
Dessin : Olivier Supiot
Éditeur : Glénat
Collection 9 1/2
136 pages
Prix : 22,50
Parution :  12 avril 2023
ISBN 9782344042885

Ce qu’en dit l’éditeur

Une plongée dans l’univers drôle et poétique d’un des plus grands cinéastes français du XXe siècle.

Avant de devenir un cinéaste de renom, Jacques tati avait un rêve : devenir clown ! Clown, il n’a cessé de l’être en inventant des gags sous ses multiples casquettes : mime, acteur, scénariste, réalisateur… Destiné à reprendre l’entreprise familiale, le jeune Jacques est médiocre à l’école mais a l’œil pour saisir les situations burlesques du quotidien. Ce regard sur le monde, il va le sublimer dans le music-hall dès les années 30. En découvrant Tati sur scène, Colette dira qu’il a créé « quelque chose qui participe du sport, de la danse, de la satire et du tableau vivant ».
Cette approche fera aussi son succès au cinéma : avec son premier coup d’essai, il signe son premier chef-d’œuvre : Jour de fête (1949). Entouré d’amateurs, Tati obtient le Grand prix du cinéma français (1950). Sur le tournage, il contrôle tout sauf la couleur, qui lui échappe de peu ! Puis, en 1953, une silhouette atypique s’avance, celle de Monsieur Hulot. Personnage cultissime, cet anti-charlot à la pipe qui fait corps avec Tati devient récurrent. Acclamé, Tati se verra auréolé de succès avec son 3e long-métrage, Mon oncle (1958). Évitant les sirènes d’Hollywood, il préfère se lancer dans Playtime (1967), un projet titanesque. Pour installer l’absurde, il construit une ville-décor et se ruine ! Il perdra sa maison de production et, dans la foulée, les droits de ses propres films avant de repasser derrière la caméra dans les années 70. Privilégiant le geste aux dialogues, retravaillant le son tel un véritable chef d’orchestre, Tati invente un univers à part et devient en seulement six films, un des maîtres incontestables du cinéma français et international. Il recevra le César du cinéma en 1977 pour l’ensemble de son œuvre avant de s’éteindre en 1982 en laissant inachevé un ultime scénario, Confusion… 

Arnaud Le Gouëfflec et Olivier Supiot croquent avec justesse l’homme au-delà de la légende dans ce roman graphique poétique et touchant, au graphisme remarquable, prolongeant à merveille l’atmosphère drolatique et enjouée de ce cinéaste de génie. Une pure pépite narrative et visuelle !

Jour de fête, Les vacances de Monsieur Hulot, Mon oncle … on garde tous en nous quelque chose de Jacques Tati. Mais quel Jacques Tati ?  Car il faut bien le reconnaître, c’est un réalisateur tout à fait à part dans le paysage du cinéma français tour à tour encensé, décrié qui a fait couler beaucoup d’encre et conserve malgré tout sa part de mystère. C’est par les mots d’Arnaud Le Gouëfflec et le trait d’Olivier Supiot que Tati et le film sans fin qui vient de paraître dans la collection 9 1/2 des éditions Glénat va le faire revivre à travers son œuvre et les anecdotes de ceux qui ont compté. Les deux auteurs nous livrent là par petites touches un portrait virevoltant empreint d’humour, de poésie, de légèreté, d’affection et parviennent à saisir l’insaisissable de cet électron libre du 7ème art.

C’est l’histoire d’un réalisateur …

Saint-Marc-sur-mer, été 1951, tournage du film « Les vacances de Monsieur Hulot ».

Une jeune scripte imposée par le CNC débarque sur le plateau à la recherche du réalisateur qui l’ignore, se contentant pendant des jours d’un Bonjour mademoiselle, Au revoir Mademoiselle, convaincu d’avoir tous les raccords en tête, persuadé de son inutilité jusqu’au jour où …

Nous voilà tout de suite dans le bain sur le tournage du cultissime Vacances de Monsieur Hulot qui verra la naissance de son personnage phare. Cette rencontre avec la scripte – et pas n’importe quelle scripte : celle qui collaborera avec les plus grands : Resnais, Hitchcock, Cukor, Polanski … – est prétexte au procédé narratif consistant à faire d’elle et des scriptes qui vont suivre l’oreille du réalisateur qui va leur (et à travers elle(s) nous) dévoiler son parcours et ses réflexions. D’une plage à l’autre, il n’y a qu’un pas que nous franchissons allègrement : nous quittons Saint-Marc pour Saint-Tropez pour retrouver le jeune Jacques Tatischeff quelques 27 ans auparavant exécutant un numéro de « sport muet » devant le cercle familial conquis par sa drôlerie.

Débuts au music-hall
© Olivier Supiot

Pour comprendre Tati, il fallait revenir sur ses débuts, sur l’importance du music-hall qui a fortement influencé son cinéma et a fait de celui qui se rêvait clown le réalisateur atypique que nous connaissons et reconnaissons aujourd’hui. De là découle son perfectionnisme : répéter encore et encore jusqu’à atteindre la perfection. Il ira même jusqu’à revenir à deux reprises (1963 et 1978) sur Les vacances de Monsieur Hulot, en offrant ainsi trois versions. D’où le titre de l’album : Tati et le film sans fin.

On apprendra que Jacques Tati a fait ses classes à l’école de la vie en suivant principalement quatre cours : l’observation du quotidien depuis le coin de la salle de classe, la mise en scène de canulars développée à l’armée, l’esprit d’équipe et l’art d’animer la troisième mi-temps au rugby et l’importance du cadre dans l’atelier d’encadrement paternel.

Puis, une fois le cadre posé (ou déposé), place aux six films qui lui amèneront consécration mais aussi incompréhension sur la fin de sa carrière.

Un biopic ? Pas vraiment …

Le projet a pris naissance au détour d’une conversation entre Frank Marguin, co-éditeur de la collection 9 1/2 de chez Glénat, collection consacrée au 7ème art dressant le portrait d’acteurs et de réalisateurs, et Olivier Supiot, une quarantaine de bd à son actif, qui avait déjà travaillé avec lui en réalisant deux albums dans la collection Mille feuilles : La patrouille des invisibles (2014) sur les horreurs de la Grande Guerre et un récit fantastique Un amour de Marmelade (2011).

Olivier Supiot : De Chabrol à Tati

Quant à Arnaud Le Gouëfflec, romancier, musicien, scénariste de BD et de théâtre, c’est sa deuxième participation dans la collection après Lino Ventura et l’œil de verre réalisé avec Stéphane Oiry en 2019.

Les deux auteurs sont au diapason : Tati, ce ne sera pas un biopic mais une biographie romancée voire fantasmée, une « sorte de voyage rétrospectif avec la volonté de rêver avec lui, avec la volonté de raconter et d’expliquer, de donner les clés de compréhension » déclarera Arnaud.

Arnaud Le Gouëfflec : Un biopic?

Le scénariste a proposé un découpage s’appuyant sur les images mentales qu’il s’est forgées et que le dessinateur s’est appropriées.

Arnaud Le Gouëfflec : Les images brumeuses

Au découpage écrit case à case d’Arnaud Le Gouëfflec, Olivier Supiot va répondre par un story-board complet. Ensuite, ce sera un dialogue permanent entre le scénariste et le dessinateur.

Arnaud Le Gouëfflec : Un dialogue permanent

Du scénario à la planche finale

Scénario p. 122 Arnaud Le Gouëfflec

« Tati, un personnage entre la cascade et la danse »

Colette disait de lui qu’il créait quelque chose qui participe du sport, de la danse, de la satire et du tableau vivant. Olivier Supiot le situe quelque part entre la cascade et la danse.

Tati, et le film sans fin, ce n’est pas seulement l’histoire d’un homme c’est aussi, à travers ses films et ses personnages emblématiques François le facteur et Monsieur Hulot, celle de l’univers à la fois burlesque, magique, poétique, satirique, en un seul mot unique qu’il a créé dans lequel le geste et le son occupent une place prépondérante.

« Éteindre le son d’un film de Jacques Tati pourrait être intéressant mais on perdrait la moitié de l’humour. Chez Tati, chaque son a été trouvé pour renforcer cet humour. Et il est un génie dans la trouvaille de ces sons qui agrémentent tout son univers. « 

David Lynch

Un récit polyphonique

Si le narrateur principal est Tati s’adressant en voix off à sa scripte, il cède périodiquement la place à son équipe, sa « famille », l’occasion pour les auteurs de balayer les différents métiers du cinéma à travers les anecdotes contées par les fidèles : le magicien André Delpierre spécialiste des effets spéciaux, le producteur Fred Orain, Jean-Claude Carrière, le gagman Pierre Etaix, le peintre Jacques Lagrange, directeur artistique, la monteuse Suzanne Baron … Outre l’adresse directe, le walk and talk est aussi de la partie avec son père d’abord puis Alfred Sauvy qui lui mit le pied à l’étrier, Marie-France Siegler, en charge du casting sur Playtime avant de devenir sa première assistante… Et puis, il y a les inénarrables Bruleau et Boyère (Boileau et La Bruyère?), avatars des Dupondt qui pontifient et théorisent son cinéma alors que lui prend la fuite. C’est alors l’occasion d’une course poursuite un peu à la Charlie Chaplin à travers un terrain vague : une belle façon de rappeler que si lui n’était pas un intello, il a néanmoins été l’objet de nombreuses études et analyses. Alors les auteurs « en ont profité pour mettre dans les bulles à quel point on peut analyser Tati, sociologiquement, philosophiquement, psychologiquement, sans arriver à épuiser le mystère qu’il représente. »

Ces différents modes de narration, cette variation des points de vue donnent du rythme au récit, embarquent le lecteur dans l’univers « tatiesque » et accentuent le côté insaisissable du réalisateur.

La narration graphique tout en suivant le cours de l’imagination et la fantaisie des auteurs n’en reste pas moins extrêmement documentée sans toutefois paraphraser les films. Si aucun plan de film n’est reproduit, les décors sont très fidèles ainsi que les costumes (cf le court métrage Gai dimanche par exemple).

La mise en scène bondissante est extrêmement inventive et variée : pleines pages, gaufriers classiques, histoires enchâssées dans l’histoire telles « Les aventures de Tati pendant la guerre »  un épisode raconté comme un film muet en noir et banc …

Un soin tout particulier a été apporté à la colorimétrie à travers une alternance judicieuse du noir et blanc et de la couleur : bleu du ciel, de la mer et jaune du sable qui vont parcourir l’album, rouge du music hall, du cirque, bleu froid transparent ou disparition totale de la couleur pour la ville décor de Playtime … Et comme chez Tati, tout est dans le détail.

Tati, François et Monsieur Hulot

Impossible de l’enfermer dans des cases fussent-elles de bande dessinée. Sans cesse il s’échappe.

Comme pour Charlie Chaplin et Charlot, on a tendance (et la comparaison s’arrête là) à assimiler Jacques Tati et et Monsieur Hulot à la silhouette dégingandée si reconnaissable et ses accessoires qui ne le quittent pas : son feutre, sa pipe, son éternel imperméable, ses pantalons trop courts et son parapluie qu’il n’ouvrira qu’une seule fois.

Tati le définissait comme un « personnage d’une indépendance complète, d’un désintéressement absolu et dont l’étourderie, qui est son principal défaut, en fait, à notre époque fonctionnelle, un inadapté. »

La première difficulté a été de trouver la silhouette de Tati/Hulot : Beaucoup de dessinateurs s’y étaient brillamment attelé avant Oliver Supiot : Pierre Etaix, bien sûr lors de la préparation et du tournage de Mon oncle, Sylvain Chomet dans le film d’animation L’illusionniste (2010, scénario inédit de Jacques Tati), David Merveille dans de nombreux ouvrages à destination des adultes et surtout des enfants … et les autres …

Ses débuts au music-hall © Olivier Supiot

Il lui fallait trouver une manière de croquer Tati sans pour autant reproduire ce qui avait été fait avant lui, ce qu’il a parfaitement réussi. De son trait virevoltant et élégant, il campe un Tati d’une extrême justesse.

Et puis, il y a les personnages

« François le facteur ne bouge pas de la même façon que Monsieur Hulot. »

Olivier Supiot : Incarner les personnages

Le dessinateur joue avec les personnages et passe de l’un à l’autre avec dextérité.

©Olivier Supiot

Symbolisant la transition entre Jour de fête et Les vacances de Monsieur Hulot, on voit François se métamorphoser en Monsieur Hulot en passant devant de fausses affiches de Jour de fête et les affiches inventées de toutes pièces de ce qui aurait pu être si le réalisateur avait accepté de donner une suite au film, apportant une touche d’humour que Tati n’aurait pas renié.

La planche suivante, elle, va jouer sur le côté réalisation graphique du personnage avec l’idée de la silhouette à la Giacometti qui se penche, se transforme et devient peu à peu un personnage.

Et puis , il y a la mise en opposition Charlot/M Hulot que d’aucuns auraient tendance à comparer.

« Dans le livre, il m’a paru intéressant de faire un parallèle entre Charlie Chaplin et Monsieur Hulot. Il faut savoir que Jacques Tati n’aimait pas du tout qu’on lui dise qu’il était le Charlie Chaplin français. C’est quelque chose qui lui déplaisait particulièrement parce que ses modèles c’était plutôt Buster Keaton, Harold Lloyd W.C. Fields ou encore Laurel et Hardy. Charlot à plutôt tendance à provoquer les accidents volontairement tandis queMonsieur Hulot est plutôt dans une forme d’inconscience catastrophique… ce qui fait aussi de lui un personnage si attachant et un peu lunaire. »

Autre jeu sur la confusion des personnages : Jacques Tati prenant les traits de François ou encore le facteur de jour de fête amenant une lettre d’un jeune admirateur au réalisateur…

Une belle réussite que cet album qui, dès la lecture terminée m’a donné l’irrépressible envie de me replonger, courts métrages compris dans les films de ce cinéaste inclassable devenu classique dont le rêve était de devenir clown…

Messieurs les auteurs, feutre bas !

Les extraits sonores sont tirés des rencontres avec les auteurs lors du premier temps fort des Rendez-vous BD d’Amiens.

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Podcast Sylvette Baudrot

À mains nues France culture

Mai (2007)

Aux Rendez-vous BD d’Amiens

L’expo Cinéma & BD

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L’expo autour de l’album au Centre culturel Jacques Tati

Côté livre : L’intégrale Taschen (2019)

Côté DVD

L’intégrale (2014)

Pour les enfants …

Le monde de Monsieur Hulot (Illustrations David Merveille)

L’illusionniste de Sylvain Chomet


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