Mégafauna T. 2 « Le livre des délices et des infortunes »

Les livres des délices et des infortunes
Scénario : Nicolas Puzenat
Dessin : Nicolas Puzenat
Éditeur : Sarbacane
104 pages
Prix : 20,00 €
Parution : 01 Mars 2023
ISBN 9782377319848
Ce qu’en dit l’éditeur
Retour en terre Nor…
1506 après Kmaresh. La Muraille qui sépare les Nors, descendants de Néandertal, des Sapiens, qu’on appelle “Mêrogs”, est plus fermée que jamais. Les terribles Guérisseuses Nors ont fait chuter la Reine Gasgar ainsi que son Sapiens d’époux, Timoléon, et ont conclu un marché juteux avec le Prince du Dombrak, côté Mêrogs : une grande quantité de joyaux, en échange du privilège personnel de chasser le gros gibier sur leurs terres abondantes. Mais les Guérisseuses sont loin d’être sereines : Brumel, fille métisse de Gasgar et de Timoléon, est en fuite. Accompagnée par Pontus, le meilleur ami de son père, et par Krekl, qui appartient aux Homontes, un peuple de petite taille qui vit dans la forêt, elle compte bien conclure de nouvelles alliances et reprendre le pouvoir.
Belle surprise que la parution du tome 2 de Mégafauna de Nicolas Puzenat chez Sarbacane. Alors qu’on pensait que cette fabuleuse uchronie médiévale serait un one shot, ce Livre des délices et des infortunes vient prolonger le plaisir en nous replongeant dans une Europe scindée en deux par une muraille infranchissable, une Europe dans laquelle s’affrontent Sapiens et Néandertaliens avec la Terre des Nors comme objet de toutes les convoitises. Miroir de notre société, récit d’aventure, conte philosophique, fable anthropologique, Mégafauna c’est tout cela et bien plus encore.


Le premier opus commençait en l’an 1488 après Kmaresh et nous contait les aventures et mésaventures de deux jeunes médecins Timoléon et Pontus, mandatés par l’oncle de Timo à se rendre au royaume d’Eelbbar au nom du Prince du Dombrak afin de découvrir pourquoi les Nors, descendants des Néandertaliens avaient fermé leur frontière et interrompu tout commerce avec eux, les Mérogs, provoquant ainsi famine et désolation au sud de la muraille. Ce fut l’occasion pour nos deux missi dominici et pour le lecteur d’aller de surprise en surprise en découvrant outre une contrée aux ressources naturelles abondantes, les mœurs, us et coutumes très étranges de cette deuxième espèce humaine semblant en tous points différente de la leur et de la nôtre. L’album s’achevait quelques 20 ans plus tard, en 1506. Dans ce laps de temps, Timoléon aura épousé Gasgar, une Nor pur jus, fille du roi d’Eelbbar avec laquelle il aura eu un fils et deux filles, se trouvera à régner à ses côtés à la mort de celui-ci et s’apprêtera à envahir le Dombrak mais c’était sans compter les complots ourdis de tous côtés…

Le livre des délices et des infortunes
Ce deuxième opus s’ouvre en 1506, trois mois après les évènements qui virent l’arrestation et l’emprisonnement de Gascar ainsi que la disparition de Timoléon. Les Guérisseuses, gardiennes du temple, ont pris le pouvoir. La Princesse Brumel, fille ainée de Gascar et Timoléon a réussi à fuir. Accompagnée de Pontus, le fidèle ami de son père, elle tente de gagner la contrée des Mérogs afin d’obtenir l’aide de Lupullo, un comte mérog ami de son père auquel, alliances obligent, elle était promise. Viendra se joindre à eux un troisième personnage, Krekl, artiste animiste homonte qui, les aidant à quitter la terre des Nors en franchissant la muraille, partagera leur périlleux périple.

La couverture est une excellente entrée en matière : Au vu de la forêt luxuriante, nous sommes encore en pays Nors et découvrons nos trois protagonistes : Brumel, personnage central sur son blanc destrier, le fidèle Pontus à sa suite et Krekl indiquant le chemin… Mais quelles sont donc les trois curieuses créatures qui, tapies dans l’ombre, se fondant dans le décor, les observent ?
Krekl le portraitiste animiste

Ce deuxième tome évidemment prolonge le propos du premier. On va retrouver notre content de complots, coups bas, trahisons, satire des religions, choc des civilisations. Mais ce sera aussi l’occasion pour l’auteur de nous amener encore plus loin en nous faisant parcourir de nouvelles contrées qui nous ouvriront de nouvelles portes sur le pays des Verlages, société matriarcale aux rites funéraires particuliers différents de ceux des Homontes, ce peuple de petite taille qui vit dans la forêt et entretient de bien curieuses relations avec les hyènes. Le personnage de Krekl, sans doute le plus déroutant par ses théories qui peuvent paraître farfelues mais aussi le plus attachant va ainsi permettre à l’auteur d’approfondir un thème déjà évoqué dans le précédent tome : notre relation au vivant. Krekl est capable de percevoir les « Vakks », esprits des êtres, animaux comme végétaux, et de communiquer avec eux.

La réflexion à savoir si les Homontes sont une troisième espèce humaine où des Nors atteints de nanisme n’est pas sans rappeler le débat autour de l’homme de Florès, homme de petite taille découvert en 2003 surnommé Hobbit, à savoir si celui-ci est bien une espèce distincte d’Homo sapiens.

À travers Krekl, l’auteur questionne non seulement notre rapport à la nature et au vivant en s’inspirant des travaux de l’anthropologue Philippe Descola ou encore de l’ethnographe Jean Malaurie, mais également notre rapport à l’art.
L’art selon Krekl
La réflexion sur l’art et plus spécifiquement sur celui de la représentation dans le domaine artistique, autre fil rouge, va parcourir tout l’album à travers la quête et les questionnements de de Krekl.

Cela commence par l’art pariétal, qui nous éclairera sur la culture homonte pour aboutir à l’art de La Renaissance lors de l’arrivée de nos trois fugitifs à Valcarna, comté situé dans l’actuelle Italie du Nord, fief de Lupullo. La découverte par Krekl de cette révolution qu’a été la Renaissance dans l’art pictural donnera naissance à de magnifiques planches muettes traduisant à la perfectction son ébahissement.

Krekl, jugeant la peinture des Mérogs sans âme malgré sa beauté préfère privilégier le fond à la forme ce qui est admirablement souligné par sa représentation des scènes de bataille rappelant les tableaux expressionnistes.

Aussi quand il peint le portrait de quelqu’un s’ingénie-t-il à représenter également son âme. Aller au-delà des apparences …

Le monde de Nicolas Puzenat : Un Moyen-Âge fantasmé oui mais…
L’univers uchronique né de l’imagination féconde de l’auteur est absolument fascinant.
Si Nicolas Puzenat nous fait évoluer dans un Moyen-Âge fantasmé, il le fait avec un pas de côté avec la réalité historique, avec un léger décalage dans le temps. Mais tout y est : La Renaissance artistique, comme on vient de le voir mais aussi la chasse à courre à travers les chasses du prince du Dombrak en pays Nors, les épidémies à travers la peste qui ravage le Dombrak, les luttes entre seigneurs, la guerre et les considérations sur les armes qui rappellent la bataille d’Azincourt … Nous sommes en 1506 et les Européens s’apprêtent seulement à partir à la découverte d’un Nouveau Monde. Et puis bien sûr l’omniprésence de la religion.
Par la Sainte Corde et le Saint-Pendu
Nul manichéisme chez Nicolas Puzenat qui renvoie dos à dos Mérogs et Nors quant à leurs dérives tant politiques, sociétales que religieuses.

Le fanatisme des Guérisseuses n’a rien à envier à celui des Kmareshiens. Et c’est dans ce domaine, celui des religions, que l’auteur excelle à manier l’ironie. J’en veux pour exemple l’épisode extrêmement savoureux lorsque nos trois protagonistes croisent une procession en terre Mérog où les porteurs semblent tout droit sortis de Naissance d’une nation ou de La folie des grandeurs (au choix).

Une histoire à plusieurs voix
Agrégé de lettres, l’auteur est nourri de récits de voyage. Le titre même « Le livre des délices et des infortunes » n’est pas sans rappeler Le livre des merveilles de Marco Polo. Il y a du Montaigne, du Montesquieu et du Voltaire dans les sujets abordés et dans ses choix narratifs. Il y a aussi une bonne dose d’humour.
Nicolas Puzenat varie les procédés narratifs. Dans le premier opus, le journal, intime de Timoléon, ses lettres à son oncle tenaient lieu de voix off, une façon subtile de gérer les ellipses, de garder la fluidité du récit, d’avancer en évitant la surcharge d’explications.

Timoléon ayant disparu, c’est Pontus son fidèle compagnon et faire-valoir dans le tome 1 qui va prendre le relais en écrivant ses mémoires, suppléé par moments par Krekl, usant lui de l’oralité pour évoquer l’histoire du peuple homonte.
Le trait pour le dire
Si, comme dans le premier opus, le trait précis et élégant, la colorisation toute en finesse du dessinateur contribuent à la lisibilité et à la fluidité du récit, on notera toutefois une évolution dans le traitement des décors nettement plus fouillés, les aplats cédant la place à des dessins plus texturés.

Si – la mégafaune n’ayant pas disparu en pays Nors – la faune s’inspire de celle de la Préhistoire, les inspirations pour le reste sont assez hétéroclites. Question peinture, c’est la Renaissance bien évidemment. Côté architectural, le dessinateur donne libre court à sa fantaisie pour le pays Nors, toujours avec ce pas de côté avec par exemple ses édifices ressemblant étrangement à nos centrales nucléaires.

Au sud de la muraille, l’auteur se plaît à mélanger les genres : si la ville de Saint-Tronc rappelant Saint-Cirq Lapopie ou toute autre cité médiévale a un côté très réaliste, en revanche dans la ville Turvia, l’auteur s’amuse à faire apparaître la silhouette du château de la Belle au bois dormant.
Mur d’Hadrien, mur de Berlin, « The Wall » de Game of thrones, murs virtuels dans notre socité actuelle … de tous temps, les hommes ont érigé des murs de séparation.
Après avoir franchi le mur dans les deux sens, c’est la mer que Pontus, à bord de la Bona Fortuna, s’apprête à franchir en fin d’album en quête d’un monde meilleur, un Nouveau Monde … Et Krekl, Gascar ? me direz-vous. Que sont-ils devenus ? Réponse dans Mégafauna, fabuleuse histoire à consommer avec délice en faisant contre infortune bon cœur.

POUR ALLER PLUS LOIN
Autour de Mégafauna
Le trailer de l’éditeur
Les propos de l’auteur à la sortie du tome 1

Les autres albums de Nicolas Puzenat
Musidora, éditions Robinson, 2022
scénario Delalande

« Née en 1889, Jeanne Roques, dite Musidora est la « Première Vamp » et la première icône féminine de l’histoire du cinéma. En 1915, les murs de Paris se couvrent d’étranges affiches sur lesquelles apparaissent une femme cagoulée, ainsi que les mentions « Qui ? Quoi? Quand ? Où ? »… C’est le lancement de la série cinématographique « Les Vampires ». La France découvre alors Musidora, amie de Colette et des poètes, égérie en collants noirs qui va hanter les toits de Paris et soutenir le moral du pays en guerre…«
Espèces invasives, Sarbacane, 2019

« Jeune ornithologue française, Tamaris est invitée à participer à un colloque sur les espèces invasives à Buenos Aires avec six autres scientifiques internationaux.
Logés dans un charmant hôtel du centre-ville, ils sont tous frappés d’insomnie. Bientôt, sur toutes les chaînes, une information catastrophe tourne en boucle : le monde entier est frappé du même mal. Plus personne n’arrive à dormir.«

Autour de l’album Espèces invasives

