CHUMBO


Chumbo

Chumbo
Scénario : Matthias Lehmann
Dessin : Matthias Lehmann
Éditeur : Casterman
368 pages
Prix : 29,95
Parution : 30 août 2023
ISBN 9782203215481

Ce qu’en dit l’éditeur

Le chef-d’œuvre de la rentrée ? Sans aucune hésitation, Chumbo de Matthias Lehmann, un pavé de 360 pages qui vient de paraître chez Casterman. S’inspirant librement de son histoire familiale, l’auteur franco-brésilien revisite celle du Brésil de 1937 à 2003 par le biais d’une monumentale fresque familiale et historique en relatant le destin d’une famille déclassée de Belo Horizonte ballottée par les soubresauts de l’Histoire brésilienne plombée par deux décennies de dictature militaire entre 1964 et 1985, « les années de plomb », d’où le titre de l’album, Chumbo signifiant plomb en brésilien.

Wallace, ton univers impitoyable

1937, Belo Horizonte, capitale du Minas Gerais, état situé au sud-est du Brésil

C’est là que notre histoire commence et que nous allons faire connaissance avec la famille Wallace, famille bourgeoise en possession d’exploitations minières alors au faîte de sa splendeur : Oswaldo, le père, Maria-Augusta, la mère et leurs trois enfants Severino, Ramires et la dernière-née Adelia. Plus tard, Ursula et Berenice viendront agrandir la fratrie. Le père … Ecce homo : bling-bling, cynique, omniprésent, omnipotent qui écrase tout sur son passage, femme, enfants, ainsi que son collaborateur Vasconcelos et n’a que faire de ses mineurs à qui il n’a pas versé de salaire depuis trois mois. Mais les menaces de grève se font de plus en plus précises. À la tête des meneurs, Luis Rebendoleng. Oswaldo n’aura aucun scrupule à s’en débarrasser  en faisant appel aux gros bras d’un parti d’extrême droite en la personne de Porfirio, un jeune de 20 ans…

Le décor est planté, les personnages sont en place. L’Histoire va passer par là, le déclassement aussi …

À l’est du Brésil

Cette saga familiale qui s’étale sur deux générations, se concentre particulièrement sur le destin des deux frères Severino et Ramires que tout oppose : leur caractère tout comme par la suite leur engagement politique.

Severino, sensible, réservé, deviendra journaliste puis écrivain. De sensibilité de gauche, il s’engagera, plus porté par les évènements que par par détermination.

Ramires, d’un an son cadet, extraverti, ne songeant comme son père qu’à profiter du système, joueur invétéré, réactionnaire, soutiendra lui la dictature …

Et puis, dans leur entourage, il y a Iara, la fille du syndicaliste, un personnage au caractère plutôt rebelle, un peu à l’opposé des deux frères : Femme, métisse, issue d’une famille de condition très modeste.

La couverture, par sa composition d’une grande richesse est une excellente entrée en matière. Le titre, drapeau du Brésil oblige, s’inscrit dans un losange. Présence du vert bien sûr, du noir évoquant la dictature et plus particulièrement la torture sous les traits de Porfirio qui entre temps aura tristement pris du galon. Le vert pour les militaires, le rouge pour les communistes.

Au premier plan, Severino juste devant Ramires et Iara avec en arrière plan un autre personnage central du récit : la ville de Belo Horizonte. En haut à gauche : Les parents ainsi que Vasconcelos autrement dit, la première génération évoquant le « temps béni des mines ». De l’autre côté, les trois sœurs.

Le Brésil de Matthias Lehmann

Matthias Lehmann, franco-brésilien est né et a toujours vécu en région parisienne mais s’est rendu tous les ans au Brésil, le pays natal de sa mère qui lui a transmis l’amour pour ce pays et sa culture.

Cela fait quinze ans qu’il songeait à un projet de roman graphique pour raconter son histoire, son évolution mais aussi ses fractures et blessures à travers sa part la plus sombre, celle des années de plomb.

C’est maintenant chose faite en prenant comme ligne directrice la fresque familiale fictionnelle.

Comme il l’explique dans la postface, si la famille Wallace est pure fiction, toute ressemblance avec sa propre famille n’est cependant pas fortuite. Lors de ses fréquents voyages au Brésil, il a eu l’occasion de côtoyer deux de ses oncles, deux frères très différents. Le premier, écrivain connu, communiste dans sa jeunesse dont un livre a été adapté en telenovela a une statue à son effigie à Belo Horizonte. L’autre, addict au jeu, était plutôt réactionnaire et source de problèmes pour sa famille.

Concernant l’écrivain, on peut même parler de double mise en abyme : Mise en abyme par rapport à son oncle qui a inspiré Severino mais également par rapport à lui-même.

Un autre regard sur le Brésil, une immersion dans sa culture

On est vraiment bien loin des clichés habituels sur le Brésil : soit la carte postale idyllique du genre Copacabana, Caranaval de Rio ou à l’opposé le côté misérabiliste avec les favelas. Outre l’histoire du pays, on va découvrir sa culture  à travers la cuisine, la musique, la littérature, l’architecture…

On va faire connaissance au détour d’un sarcasme de Ramires avec le jaboticaba de la région du Minas Gerais et du nord est de la Bolivie. 

On va déguster canjiquinha et pé-de-moleque, des spécialités du Minas Gerais.

On assistera au Gondago à Ferros.

Seront évoquées également Saci Pererê et la légende de la femme de 7 mètres.

Un concert de Cyro Monteiro 14 avril 1944 sera l’occasion de nous rendre à la Casa do Baile de l’ensemble moderne de Pampulha, conçu par l’architecte Oscar Niemeyer, (le futur architecte de Brasilia) et créé en 1940 à Belo Horizonte, aujourd’hui classé au patrimoine mondial de l’Unesco (2016).

Casa do Baile

L’Architecture moderne va de pair avec le design modern ce qu’on découvrira un peu plus tard ans l’album.

Une grande fresque socio-historique documentée

« Ce qui m’intéresse, et qui était déjà présent dans La favorite, c’est le déterminisme social, montrer comment des personnages sont amenés malgré eux à aller dans une certaine direction du fait de lignes tracées par la société, la tradition et des rapports de classe. »

Outre le déterminisme social, il sera aussi question du déterminisme dû au genre. Aussi l’auteur s’intéressera-t-il également à la place des femmes dans la société brésilienne quelle que soit leur condition. Maria-Augusta, la mère a dû renoncer à ses aspirations à devenir écrivaine pour se consacrer à sa famille et n’exister qu’en tant qu’épouse et mère. Qu’en sera-t-il de ses filles et d’Iara ?

Les années passant, on va voir peu à peu le pays glisser vers la dictature et les principaux protagonistes tout comme des personnages secondaires toujours au cœur de l’action vont se croiser et se recroiser pour nous livrer un récit choral aux multiples rebondissements.

L’auteur joue avec les ellipses, nous plonge au cœur de l’action n’usant jamais du récitatif mais faisant preuve d’une véritable narration graphique où le visuel est primordial, variant ses procédés narratifs et graphiques notamment pour le contexte politique et historique : inclusion de unes de journaux, d’affiches, de dessins de presse satiriques de sa propre création, présence de nombreux kiosques sur le passage des personnages … évitant ainsi l’écueil du didactisme, rythmant la narration, tout en maniant l’ironie ou l’humour noir.

Et qui dit articles de journaux dit typographie. Là aussi Matthias Lehmann, a apporté un soin tout particulier à être le plus juste possible quant au choix du lettrage. Recréer des articles en y insérant parfois un de ses personnages étant une manière subtile de lier réalité historique et fiction.

Des 3 F au point G en passant par la case C

Le dessinateur a fait ses débuts dans les fanzines et graphzines. Son précédent album La Favorite, paru en 2015 chez Actes sud a été très remarqué à juste titre. Déjà, l’intrigue s’étalait des années 30 aux années 2000 et traitait du déterminisme mais dans un autre domaine.

On reconnaît bien sa patte graphique : le trait semi-réaliste, le noir en blanc, les hachures, la composition tout à faire originale des planches. Rien d’étonnant quand on sait qu’après avoir comme beaucoup baigné dans la bd franco-belge, il s’est tourné vers la bd indé américaine.

« Je pense que la bande dessinée, si on désosse un peu le médium, ce qui reste beaucoup c’est du rythme et la question c’est comment on va réussir à rythmer ses pages tout en travaillant sur la composition, la disposition des cases, la disposition des personnages. Moi ce que je trouve assez passionnant – alors, si ça marche pour le lecteur et qu’il ne s’ennuie pas en le lisant, tant mieux mais moi en fait la question c’est « est-ce que moi je vais m’ennuyer en le faisant ? » Et j’avais justement de varier au maximum les approches pour moi aussi m’amuser en faisant les pages.« 

La ligne temporelle de l’histoire du graphisme brésilien

Un livre ne l’a pas quitté tout au long de son processus de création. Il s’agit de « Linha do tempo do design gráficon no Brasil » de Chico Homem de Mello et Elaine Ramos, (éditions Cosac & Naify) qui réunit deux siècles de production des livres, magazines, journaux, enseignes, affiches, disques, timbres-poste et billets de banque des livres, magazines, journaux, enseignes, affiches, disques, timbres-poste et billets de banque…. du début du XIXe à la fin du XXe siècle. Cette source inestimable lui a permis de suivre l’évolution graphique dans les différents domaines et être au plus près de la réalité de l’époque.

Chumbo, « c’était une façon pour moi d’explorer l’histoire brésilienne, de mieux comprendre ce qu’est le Brésil et quelle est ma relation avec ce pays » et c’est l’occasion pour nous heureux lecteurs de découvrir le Brésil à travers un captivant voyage au cœur même de son histoire et sa culture sur les pas de personnages qu’on a du mal à quitter.

Un roman graphique exigeant mais tellement passionnant ! Un immense coup de cœur !

À quand la parution de Chumbo au Brésil ?

Les extraits sonores sont tirés de l’interview de Matthias Lehmann réalisée à la librairie La Parenthèse lors du Livre sur la place.

POUR ALLER PLUS LOIN

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