CÉLESTE : « BIEN SÛR, MONSIEUR PROUST » T.1


Céleste : « Bien sûr, Monsieur Proust » T.1

Céleste
« Bien sûr, Monsieur Proust » T. 1
Scénario : Chloé Cruchaudet
Dessin : Chloé Cruchaudet
Éditeur : Soleil
Collection Noctambule
120 pages
Prix : 18,95
Parution :  15 juin 2022
ISBN 9782302095700

Ce qu’en dit l’éditeur

À l’occasion du centenaire de la mort de Marcel Proust, ce diptyque, signé Chloé Cruchaudet, repose sur une structure en miroir et s’intéresse au lien qui unit Céleste Albaret et l’écrivain de génie.
Grâce à de multiples sources, Chloé Cruchaudet tisse le portrait dévoué et passionné de Céleste Albaret, gouvernante et parfois secrétaire de Marcel Proust jusqu’à sa mort, en 1922. Elle révèle leur lien, l’écrivain sous toutes ses aspérités, l’atmosphère d’une époque et les dessous de la construction d’une fiction. Monde réel et monde fantomatique s’entremêlent pour nourrir ce sublime diptyque.

Avez-vous lu Proust ?

Non ? Eh bien ce n’est pas grave, suivez Céleste Albaret, sa fidèle gouvernante et vous découvrirez son processus créatif, l’invention des paperoles et surtout la relation ambivalente et ambiguë qui unissait ces deux êtres qui n’auraient jamais dû se rencontrer.

Oui ? alors vous apprécierez certainement la manière dont Chloé Cruchaudet s’empare du sujet dans Céleste partie1 : « Bien sûr monsieur Proust » paru aux éditions Soleil, dans la collection Noctambule. Elle ne se livre pas à une énième adaptation de roman ni même à une bio-graphique classique linéaire et scolaire mais elle donne à voir par les yeux candides de Céleste « son » Proust.

Dans ce premier tome, l’autrice nous fait ressentir la fascination qu’exerce l’écrivain sur la jeune femme de vingt ans sa cadette, amoureuse platonique de son maître, mais elle parvient également dans une sorte de distanciation à nous faire percevoir les maniaqueries de ce véritable tyran domestique.

Le jeu entre la dévotion éprouvée par la servante dévouée (rendue encore plus prégnante par la séquence d’ouverture qui se situe en 1956 dans laquelle Céleste vit dans le souvenir et les regrets aussi dans l’hôtel qu’elle tient avec son mari) et la répulsion que peut parfois ressentir le lecteur à l’égard de cet homme capricieux qui se délecte à raconter à sa servante innocente les débauches auxquelles il a assisté, donne de la profondeur aux deux personnages tout en égratignant un peu le mythe !

Cette bande dessinée ne se réduit cependant pas à un simple huis-clos : l’artiste nous dépeint fort bien le contexte social de l’époque. Elle brosse le portrait de ce monde crépusculaire et futile, de ces mondains fin de race appelés à disparaître. Elle nous montre comment ces derniers ne se préoccupent nullement de la Guerre, confits qu’ils sont dans leurs rituels d’un autre âge et leurs vaines préoccupations dans la scène des bains de mer par exemple.

Le regard presqu’enfantin de Céleste – nouvel Huron voltairien ou Persan de Montesquieu – sur ces mœurs qu’elle ne connaît pas ou ces sous-entendus qu’elle ne perçoit pas est à la fois drôle et impitoyable d’autant que Cruchaudet cite alors des extraits de « La Recherche » qui entrent en résonance.

L’album est de toute beauté dans son harmonie de violets et verts et ses teintes pastel. Ses pages si délicates et évanescentes avec leurs jeux de transparence créés dans des brushes semblables à de l’aquarelle permettent au lecteur de bien distinguer la réalité du fantasme et des fantômes (mais c’est la même racine) nés de l’imagination ou des souvenirs de Céleste ;

On retiendra particulièrement la double page sur « l’aquarium mondain » qui convoque une toile d’un des célèbres peintres de la Belle Époque : la « Soirée au pré Catelan » d’Henri Gervex ; on admirera aussi comment, à la manière d’un Boldini, elle sait croquer la silhouette élancée des élégantes reines des salons et fait même de Proust presqu’un danseur virevoltant aux jambes effilées dont on perçoit la grâce et la délicatesse des manières.

Elle arrive à rendre à la fois « la matière » qui nourrit l’œuvre de Proust et à nous montrer le processus créatif de ce dernier mais elle parvient surtout à intégrer brillamment dans son corpus ce qu’on aurait pu prendre, à tort, pour une œuvre « opportuniste » publiée « pour » le centenaire de la mort du romancier…. Un immense coup de cœur !

POUR ALLER PLUS LOIN

Céleste Albaret chez Monsieur Proust (5 épisodes)

« La voix de Céleste Albaret à la radio la nuit, dans une émission de Philippe Garbit sur France Culture. En écoutant les huit heures d’émission, j’ai ressenti une émotion très vive et un bonheur immense, je me suis immédiatement sentie en empathie avec elle » ( Focus Télérama 08.22).

« J’ai été frappé d’entendre cette femme qui vient d’un milieu très simple, très pauvre, s’exprimer avec une langue très imagée, très belle et surtout ce qui m’a frappé, c’est qu’elle décrit la période où elle a vécu avec Marcel Proust comme étant les plus belles années de sa vie alors qu’objectivement, je pense que ça a dû être une vie très aride, très difficile pour elle. A l’entendre, c’était une relation parfaite, et je me suis dit, mais que s’est-il passé dans cet appartement haussmannien pendant ces 10 années ? » (FR3 Rhône Alpes 08.22)

Monsieur Proust de Céleste ­Albaret et l’éditeur et traducteur Georges Belmont, 1973

Longtemps, très longtemps après la mort de Marcel Proust, Céleste Albaret (1891-1984) accepta de raconter ce que fut sa vie aux côtés de l’écrivain. «Il y a maintenant soixante ans que je l’ai vu pour la première fois, et pourtant c’est comme si c’était hier. Souvent il me disait : « Quand je serai mort, vous penserez toujours au petit Marcel, car vous n’en trouverez jamais d’autre comme lui. » Et aujourd’hui, je vois bien qu’il avait raison, comme toujours d’ailleurs. Je ne l’ai jamais quitté, je n’ai jamais cessé de penser à lui… » Ainsi commence Monsieur Proust, le livre de souvenirs que, âgée de plus de 80 ans, Céleste ­Albaret publia en 1973 d’après les soixante-dix heures d’entretiens qu’elle accorda à Georges Belmont. La chambre aux longs rideaux bleus toujours « tirés contre le jour » et aux murs placardés de liège, la cérémonie des fumigations et celle du café noir, les humeurs changeantes de l’écrivain, entre tendresse et tyrannie, les longues paperoles qu’elle collait à ses manuscrits afin qu’il y apporte ajouts et corrections, les séances de travail nocturnes que Céleste appelle « nos veillées », les récits des sorties et des soirées qu’il ­aimait lui faire de retour chez lui y sont évoquées et reprises également dans le roman graphique.

Monsieur Proust de Corinne Maier et Stéphane Manel

Je salue tout d’abord le formidable travail d’adaptation réalisé par Corinne Maier qui a su retirer de ces longues heures d’entretiens accordées à Georges Belmont l’essentiel et le pittoresque et garder le meilleur de Céleste, de sa gouaille et de son sens de la formule en ne respectant parfois pas l’ordre exact des enregistrements et en donnant ainsi une fluidité et une clarté nouvel à ces récits. Je suis admirative ensuite du travail élégant et racé de Stéphane Manel (tout particulièrement dans ses portraits) que je connaissais davantage pour les pages people ou ses pochettes de disques que pour ses illustrations. Il complémente et complimente les propos de Céleste. L’ensemble crée un très bel ouvrage que je conserverai précieusement dans ma bibliothèque. Mais, et il y a un mais… ce n’est pas de la BD ! Je ne comprends pas que Seghers le présente ainsi : c’est un beau témoignage illustré et c’est tout.

Laure HillerinA la recherche de Céleste Albaret : l’enquête inédite sur la captive de Marcel Proust, Flammarion 2021

Laure Hillerin, spécialiste des figures de la Belle Epoque, ne pouvait que s’intéresser à celle dont la vie serait restée bien immobile si elle ne s’était consacrée, durant huit ans, aux exigences capricieuses de son maître, acceptant sa tyrannie domestique. A travers le moindre geste de la domestique et les souvenirs de cette « captive » volontaire, évoqués, entre autres, dans son Monsieur Proust (Robert Laffont, 1973), cet ouvrage pénètre dans le quotidien de l’auteur de la Recherche, alors que celui-ci se protégeait à l’extrême, de plus en plus reclus dans sa chambre. La biographe décrypte les liens entre la réalité et la construction romanesque, repérant, ainsi des traits de Céleste dans certains personnages et montre comment celle que son employeur nommait «sa Joconde» pour son éternel sourire, cette «jeune femme en fleurs», son amie, ne vit que pour ce «génie», s’interdisant même la maternité : «Je suis née de la mort de Proust», affirmera sa fille, Odile.

Dans le petit hôtel de la rue des Canettes, acquis par le couple Albaret, l’ancienne gouvernante se sent «orpheline» et «déracinée», sans être vraiment seule, car elle est passée du dévouement à la dévotion ! Proust continue de l’habiter : elle vit à travers lui et il survit à travers elle, alors que son œuvre est vivement critiquée par la jeune génération d’écrivains. Ce sont des admirateurs étasuniens qui, à l’aube des années 50, la sortent de son «purgatoire» et signent ainsi le retour en grâce de celle qui s’attacha à Proust, dans son ombre. C’est d’ailleurs à cette époque que se situe le prologue du roman graphique de Chloé Cruchaudet.


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