Lomig
à la librairie La Parenthèse
Livre sur la place (09 septembre 2023)

Bonjour Lomig. Nous sommes ravies de vous rencontrer au Livre sur la Place afin de nous entretenir autour de votre dernier album qui vient tout juste de paraître aux éditions Sarbacane. Je veux parler d’Au cœur des solitudes bien sûr. Vous étiez déjà venu au Livre sur la Place lors de la sortie de Dans la forêt, adaptation du roman éponyme de Jean Hegland, récit post-apocalyptique nous interrogeant sur notre rapport à la nature et la société de consommation. Alors ici, il est toujours question de nature mais sous la forme cette fois d’une biographie, celle de John Muir. Alors, qui était John Muir ?

John Muir est considéré comme le premier écologiste moderne. Il est né en 1838, il est mort en 1914. Il est devenu sur le tard en fait le père du parc de Yosemite. Il a aussi créé la première association écologique aux États-Unis. Après, c’est vraiment aussi un aventurier. Il a vécu tout plein d’expériences dans la nature. Il a écrit aussi beaucoup de papiers scientifiques sur la formation de Yosemite justement, enfin des glaciers. C’est quelqu’un qui est multi-facettes aussi : Il est botaniste, il est écrivain. Voilà un personnage vraiment très intéressant et qui écrit magnifiquement bien avec beaucoup de poésie. C’est vraiment ce qui m’a aussi charmé chez lui, cette capacité à évoquer la nature et à nous donner envie de s’en émerveiller.
Justement il y a une très intéressante partie documentaire en fin d’album qui rappelle ce qu’ a été la vie de John Muir. Effectivement, il a eu une vie absolument fabuleuse parce qu’après avoir parcouru les États-Unis, il est allé en Europe, il est allé un petit peu partout dans le monde. Il est allé jusqu’à bivouaquer avec Théodore Roosevelt sur l’invitation d’ailleurs du président. Vous, vous avez choisi de ne raconter qu’une partie de cette vie. Alors, quelle partie et pourquoi cette partie là spécifiquement ?

C’est vrai que j’aurais pu prendre plein d’axes parce que sa vie est intéressante de bout en bout. Quand vous parlez de l’anecdote avec le président Roosevelt, c’était vraiment quelque chose de fort aussi qui conclut finalement un peu cette vie hyper engagée pour la défense de la nature. Il a quand même réussi à créer le parc de Yosemite. donc on peut considérer que c’est grâce à lui qu’il y a encore des séquoias parce qu’à l’époque, les bûcherons étaient un peu sans limites. Mais j’ai choisi plutôt de raconter son premier voyage parce que je trouvais que c’était vraiment le moment de transition qui me plaisait beaucoup. À cette époque-là, il travaillait dans une usine sur les machines – il était contremaître – et là il y a un accident où il reçoit, je crois que c’est une lime, dans les yeux. Ça lui crève les yeux et là il est persuadé qu’il va être aveugle.

Donc il a à ce moment-là beaucoup de regrets de ce qu’il aurait aimé vivre et qu’il n’a pas eu le temps. Lui, il aurait aimé faire un voyage, découvrir vraiment un peu plus les États-Unis. Et par chance, au fil des mois, il va se rendre compte que la lumière traverse encore ses pupilles et qu’il commence à revoir. Il va réussir à récupérer la totalité de sa vue d’un œil, partielle de l’autre. Et là, il se dit « J’ai une seconde chance, donc je fais un premier voyage. » Son idée, c’est de traverser les États-Unis du Wisconsin jusqu’à la Floride à pied, donc en évitant toutes les villes, en ne passant que dans les espaces sauvages. Il choisit de descendre jusqu’à la Floride et c’est vraiment un voyage qui est presque initiatique pour lui, c’est-à dire que finalement, il pensait juste faire un voyage mais à la fin de son voyage, il a une telle révélation, une telle connexion à la nature qu’il a envie de s’engager pleinement à la défendre, ce qu’il va faire jusqu’à la fin de sa vie, en fait. Ce qui m’a plu, c’est que c’était vraiment le voyage de transformation, l’intensité du moment où il se connecte avec les éléments et qu’il a l’impression de faire partie d’un tout.


Ce qui est intéressant aussi, c’est la narration. L’infirmière qui s’est occupée de lui quand il avait perdu la vue lui a conseillé d’écrire, de tenir un journal comme elle-même l’avait fait en son temps. Alors quand il est parti, il a tenu son journal.

On a donc un discours à la première personne et puis on va avoir toutes ses rencontres qu’il va faire qui vont permettre d’avancer dans le récit car elles permettent d’énoncer ses théories face à des contradicteurs. C’est l’occasion aussi de croiser toutes sortes de personnes, du paysan au capitaine sudiste grand amateur de chasse … avec toujours en toile de fond les ravages causés par la guerre de Sécession. A part cette thématique de la nature, quelles sont les autres thématiques sous-jacentes que vous avez abordé?



Vaste question. Mais c’est vrai que de pouvoir montrer à travers ses yeux cet état du Sud qui est dévasté par la guerre, c’était une chose, et aussi, comme je le disais tout à l’heure, cette connexion à la nature. Là, pour le coup, ce n’était pas au départ évident d’entrer dans les écrits de Muir. En fait, ce que j’ai pu voir, c’est le journal de bord qui parle très peu de lui. Il raconte ce qu’il voit. Il est émerveillé de toutes les nouvelles plantes qu’il découvre. Il parle très peu de lui, il parle très peu des rencontres. Donc moi, c’est vraiment cet aspect que j’ai romancé en quelque sorte, c’est-à-dire donner vie un petit peu à ces personnages. Et aussi en traduisant un peu ses correspondances avec Catharine Merrill dont vous venez de parler mais aussi avec ses amis ou des membres de sa famille, j’ai compris un petit peu tout ce qui se passait dans sa tête. Donc il y a cet espace un peu spirituel que j’ai dû développer et puis profiter de chaque rencontre avec les différents protagonistes pour expliquer ce qu’étaient les États-Unis à cette époque et comment les gens percevaient la relation qu’ils avaient avec la nature. Et là on voit à quel point il était en décalage ; en fait c’est comme s’il pensait un peu plus comme nous, même s’il se posait beaucoup de questions à savoir comment on prend soin de la nature mais à cette époque-là, il faut bien comprendre que les gens voyaient la nature comme un espace inépuisable où on peut couper tous les arbres, exploiter n’importe quel champ, qu’il y en avait à perte de vue et que ce n’était pas un problème.
Comme le fermier qui disait que la nature était là pour nourrir et pas pour autre chose. Il y a aussi toutes ces flashbacks comme celui par exemple où il repense à sa tante et retourne en Écosse quand il était enfant. Ou encore, en fonction de ce qu’il voit ou vit, il s’échappe par la rêverie et se replonge dans le passé. Donc c’est toute cette narration qui est un peu complexe mais qu’on comprend très bien, qui est très fluide mais qui n’est pas linéaire que je trouve aussi intéressante.

J’étais obligé de parler un petit peu de son enfance parce qu’il a eu une enfance très difficile quand même, avec un père qui était très dur, très religieux et qui faisait travailler très durement à la ferme. En fait John Muir est né en Écosse – il est écossais à la base – et ses parents émigrent aux États-Unis quand il a onze ans. À partir de ce moment-là, il est déscolarisé et travaille vraiment durement à la ferme. Tous les jours, il se lève le matin à six heures du matin pour travailler jusqu’au coucher du soleil. Donc c’est vraiment très très dur. Et ça montre aussi une facette de John Muir qui était intéressante : c’est son côté inventeur puisque finalement, à l’âge de 14 ans, il va demander à son père de lui acheter un cahier d’algèbre, je crois, et de géométrie pour étudier. Et son père ne peut pas lui refuser ça, vu qu’il est déscolarisé. Il l’autorise à faire ça mais lui dit : « Surtout si tu veux travailler là-dessus, il va falloir que tu te lèves plus tôt parce qu’il n’est pas question de prendre du temps sur le travail de la ferme. » John Muir accepte et il commence à lire chaque matin. Et puis un jour, son père le surprend en train de fabriquer des machines. Il ne comprend pas du tout ce qui se passe et John Muir lui dit : « Eh bien voilà, je passe un petit peu à la pratique, c’est-à-dire que finalement ce que j’apprends, je préfère le mettre en pratique. » Il fait froid, les hivers sont rudes dans le Wisconsin. Son père est un peu époustouflé. Il ne va pas l’encourager dans cette voie mais il est quand même épaté de voir que son fils arrive à créer des horloges, un mécanisme qui permet de secouer le lit pour se réveiller tôt, un baromètre qui quand on s’approchait de lui sentait même la chaleur humaine … et tout ça sculpté dans du bois.
Il y avait aussi la beauté des objets qu’il sculptait. Il n’y avait pas que le côté utile, il y avait aussi l’esthétique.
Ah oui. Alors j’aurais adoré les voir parce que j’ai fait un voyage aux États-Unis et j’aurais adoré pouvoir voir ses inventions. Malheureusement, ça n’a pas pu être le cas. J’ai accédé à ses archives, ses dessins, ses carnets de voyage et tout : j’ai pu les feuilleter. Malheureusement, ses machines je n’ai pas pu les voir. Je ne sais pas trop où elles sont mais elles existent.
Justement, vous parliez de votre voyage aux États-Unis. C’était dans le cadre du projet Meeting into the forest , c’est ça? Vous pouvez développer un petit peu ?
C’est par rapport à mon précédent album où j’ai adapté le roman de Jean Hegland. Donc c’était une merveilleuse rencontre avec Jean et après la sortie de l’album, elle m’a proposé de venir aux États-Unis parce qu’elle savait que je n’étais jamais allé en Californie passer quelque temps chez elle pour voir les décors que j’ai dessinés. Malheureusement il y a la Covid qui est arrivée par là, donc ça n’a pas été possible. Mais quand elle a su que je travaillais sur un nouveau projet et que la fin de l’histoire de John Muir se passe aussi en Californie, elle a renouvelé son invitation et là je n’ai pas pu refuser et j’y suis allé. Après, c’était un gros voyage ; il fallait trouver des moyens aussi pour le financer. Et donc, on a eu l’idée de créer «The Meeting into the forest ». C’était un rendez-vous ou une lecture dessinée où finalement elle lisait des extraits de son roman pendant que moi j’illustrais des petites séquences dessinées projetées sur un grand écran, tout ça dans une ambiance musicale et on a fait cinq représentations dans les grandes universités américaines.





© Lomig
Une expérience incroyable. Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre mais le public américain a été très réceptif et a adoré cette expérience donc c’était chouette. Très, très bon moment.
Quand vous avez créé Dans la forêt, vous n’étiez jamais allé là-bas donc les arbres, les séquoias, vous les avez dessinés de mémoire, d’après photo, avec votre style bien reconnaissable mais cette fois-ci, vous êtes allé sur place.
Oui, voilà. Pour Dans la forêt, j’ai fait beaucoup de collectes de photos sur Internet et je me faisais de grandes séquences de diaporamas pour intégrer l’immensité de ces arbres et de ces grandes forêts et être en capacité de les dessiner, donc c’était une grande séance de diaporama. Moi, j’avais juste dessiné les forêts de Bretagne parce que mes parents avaient une maison, donc ça je connaissais mais il fallait que je fasse tout beaucoup plus grand et là effectivement le fait d’y retourner, j’ai vraiment profité de ce moment pour voir les grands arbres en vrai et j’ai passé les trois-quarts de mon séjour à vadrouiller dans les grands parcs, notamment de Yosemite. J’ai fait plein de trails et tout. J’étais en totale immersion dans la nature et de temps en temps il fallait sortir pour aller faire une représentation dans une université, voilà. Je pense que ça a nourri un petit peu mon travail.
Au niveau graphisme, Dans la forêt , tout était réalisé au crayon à papier. On retrouve ce même procédé ici. Outre les magnifiques planches muettes sur la nature, la flore, la faune, ce qu’on avait déjà pu admirer dans votre album précédent, vous avez dû élargir votre champ de représentations : train, ville, bateaux, scierie …
Est-ce que cela vous a posé des problèmes particuliers ?
Ça a été. Effectivement, je n’étais pas tout à fait dans ma zone de confort qui est vraiment tout ce qui est la nature que je dessine un peu spontanément ; c’est assez limpide. Là, ça demande plus de travail et ça demande aussi de plus préparer donc à partir d’images parce qu’on ne peut pas faire n’importe quoi. C’est une bd qui se passe à une certaine époque. Même quand je dessine les villes – je pense à New York – il fallait faire vraiment attention à ce qui existe, ce qui n’existe pas à cette époque-là.
La Havane


Oui parce qu’on a surtout l’imagerie de New-York avec les grands buildings et là, on au début de la seconde moitié du XIXe, ils n’existent pas…
Même les ponts. Certains ponts ont été créés avant, d’autres après et donc il fallait faire des recherches pour savoir ce qui existait à cette époque-là. Donc, c’est plus un travail un petit peu de recherche et puis encore une fois j’ai vraiment le support Internet – merci Internet – pour pouvoir collecter comme ça des images et m’en imprégner. Et je trouve que d’avoir cette petite parenthèse en ville ou dans les bateaux comme vous dites, eh bien ça rythme aussi le récit. Non j’ai pris du plaisir aussi à dessiner tout ça. Il n’y a pas eu un truc qui m’a vraiment posé problème.

La galerie des personnages aussi. Il y a énormément de personnages. Je les trouve très bien incarnés : Le paysan, oui c’est bien un paysan ! J’ai trouvé qu’il y avait vraiment une finesse à ce niveau-là, dans la représentation des personnages.
Je voulais qu’à chaque fois, chaque personnage nous permette de connaître un peu plus John Muir et donc ils avaient un petit peu ce rôle de faire-valoir parce que souvent les personnages on les voit et il disparaissent. On est vraiment dans une itinérance. On suit John Muir dans son voyage et c’est vrai qu’il y avait une galerie de portraits assez incroyables : des gens très différents. On passe de gens très pauvres à des gens au contraire très aisés, à des gens qui sortent juste de l’esclavage …

Oui parce qu’il y a aussi tout ça : le thème de l’esclavage, et par rapport à la nature, l’abattage des arbres. C’est vrai qu’il y a des tas de thèmes, sous-thèmes on va dire qui parcourent tout l’album.

Après, ces séquences où je suis le plus à l’aise, c’est vraiment dans les séquences de dialogues. J’adore travailler les dialogues. Et pour moi, il faut vraiment que ça sonne vrai. Donc, c’est quelque chose que j’ai vraiment vraiment travaillé aussi pour que ces personnages-là, même s’ils sont secondaires, soient vraiment incarnés.
C’est ce qui rythme aussi la narration. Quand je disais on passe du je, à la contemplation, aux rencontres, c’est un petit peu tout ça.
Et c’est eux qui permettent aussi de dresser le portrait de cette période-là.
Rennes est une pépinière d’artistes. Vous-même faites partie de l’atelier Pepe Martini. Qu’est-ce qui vous plaît dans le fait de travailler en atelier ? En tant que dessinateur, en tant qu’auteur complet même, qu’est-ce que cela vous apporte ?
L’atelier Pepe Martini, c’est vraiment un lieu super. Tout ce que je peux dire, c’est que quand j’ai créé mon premier album, on m’a mis en relation avec les gens de cet atelier parce qu’ils cherchaient un nouvel auteur. Il y a une place qui s’était libérée. Et alors j’ai vraiment été accueilli dans un atelier où tout le monde est vraiment plein de bienveillance, il y a beaucoup d’entraide, etc… vraiment un esprit très particulier et je pense que si je n’avais pas eu ce soutien de ces camarades même d’un point de vue financier – parfois quand il y a des propositions qui nous sont faites, le proposer à celui qui est un peu plus en difficulté, vous voyez cet esprit un peu de camaraderie – je pense que probablement je n’aurai pas eu l’énergie pour persévérer dans ce métier où au début ce n’était pas facile. Pouvoir travailler, voir un peu les copains, parler de plein de projets, les voir évoluer, manger, rigoler ensemble … c’est un vrai bonheur de faire partie de cet atelier. Après, j’ai besoin aussi d’être seul car l’atelier finalement c’est un moment comme ça assez convivial mais dans la création on a aussi besoin de se mettre dans sa petite bulle quand on est dans le travail d’écriture et donc je trouve que l’équilibre est un petit peu entre les deux : un temps pour soi seul, isolé et puis un temps plus de partage à l’atelier.
Et vos projets ? Vous avez déjà de nouveaux projets en tête ou alors vous soufflez un petit peu, vous faites la promo de celui-là…
Là je suis un petit peu dans cette phase où j’ai besoin de me réoxygéner un petit peu parce que je me suis tellement investi dans celui-là que c’est assez éprouvant. Ce n’est pas facile de tout de suite rebondir sur quelque chose d’autre. J’ai besoin de me ressourcer un petit peu donc je vais faire des petites balades dans la nature pour attendre que l’inspiration revienne.
Merci beaucoup et bon festival.
Merci à vous.

Interview de Francine VANHEE


2 réponses à “Interview Lomig”
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