Interview Petit Rapace : Slum Kids
à la librairie La Parenthèse
30 septembre 2023


Bonjour Petit Rapace. Vous êtes un jeune auteur et signez avec Slum Kids votre premier album au label 619. Alors avant de parler de l’album proprement dit, j’aimerais en savoir un peu plus sur vous. Comment êtes-vous venu à la BD et plus particulièrement au label 619 ?
J’ai d’abord fait une école d’art à Nantes où j’ai fait une formation de dessin animé et le fait est que la réalité du milieu du dessin animé en France ne m’a pas tellement plu : c’était être soit un technicien ou un exécutant et moi la partie créa me manquait. Alors je me suis réorienté vers la bd et en sortant de l’école – je suis sorti en 2018 – j’ai directement envoyé un dossier au label avec ce projet de Slum Kids justement. Avec tout son travail, Run m’a un peu zappé et du coup, j’ai mis un an à recevoir une réponse. Et après, il m’a fait commencer sur des histoires courtes d’une trentaine de pages pour me rôder un petit peu parce que commencer direct par une bd de 100 pages, c’est compliqué.
Alors, l’univers de Slum Kids, comme son nom l’indique, c’est une décharge à ciel ouvert. Où ? On n’en sait rien. Quand se passe l’histoire ? On ne le sait pas non plus. Un univers ultra-violent où il n’est pas question de vie mais de survie. Qu’est-ce qui a inspiré cet univers ?
En fait ce qui est marrant, c’est qu’en dernière année de dessin animé à l’école que j’ai faite, il y avait un court-métrage à faire en solo et moi, mon court métrage c’était déjà Slum Kids. Alors ça ne se passait pas dans une décharge à l’époque mais c’étaient déjà ces personnages-là qui ont été re-designés par la suite à partir des personnages que j’avais à ce moment là.


Après, je me suis demandé dans quel contexte je pourrais les mettre pour raconter ce que j’avais envie de raconter et un peu explorer tous les vices et ce coté street, cité. Du coup, j’ai regardé plein de documentaires sur justement la vie de certains enfants dans les décharges, aux Philippines, dans plein d’endroits, et c’est ça qui a inspiré l’univers. Et après, mes références : le côté un petit peu bariolé du bidonville, c’était une référence à Metropolis, le film d’animation de Rintarō que j’adore, où il y a justement le quartier des ouvriers qui est en mode bidonville hyper bariolé et ça allait bien aussi avec ce que je voulais faire du contraste entre le graphisme qui est un peu mignon, un peu Disney et le côté trash de ce que je raconte.



J’aimerais revenir un peu sur les histoires courtes et que vous nous expliquiez le concept de Lowreader, le successeur de Doggybags puisqu’une histoire courte Slum Kids était déjà parue dans le n° 2 de Lowreader.

C’est une histoire de fanzines. C’est le successeur de Doggybags. Simplement, ça a changé de nom. C’est trois histoires de trois auteurs différents d’une trentaine de pages à chaque fois entrecoupées de petits articles pour contextualiser un peu dans la réalité ce qui se passe dans les histoires.
Alors, dans le second numéro de Lowreader paru l’an dernier, apparaissait pour la première fois l’univers de Slum Kids sous la forme d’une histoire courte. On y croisait déjà, Eingyi, l’un des personnages principaux de l’album. Tout comme dans l’album on va croiser deux des personnages principaux de cette histoire courte : Doug et Iggy, le petit gamin aux dreadlocks, livreur de drogue, ce qui fait de l’album une sorte de préquel à l’histoire courte. Les personnages secondaires d’une histoire devenant les personnages principaux dans la suivante et vice-versa, est-ce que cela va être le concept de la série Slum Kids?

Moi, j’avais dans l’idée qu’à chaque fois, ça change de personnages principaux et de faire une sorte d’anthologie où à chaque fois, il y a des éléments qui se recoupent, des clins d’œil à d’autres personnages. Sans en dire trop, dans le tome 2, les Microbes ont quand même une place assez importante mais ça ne sera pas les personnages principaux. Et puis garder comme dénominateur commun dans chaque tome le fait qu’on suive des enfants, d’explorer un peu tous les vices différents de la décharge et d’ajouter un élément fantastique dans le récit aussi.
Dans ce cas-là, est-ce qu’on peut s’attendre à retrouver Amine et la fille qui accompagnent Stigma dans un prochain album ?
C’est possible, oui. Je ne sais pas encore, mais c’est possible.
En ouverture du récit, sur fond noir apparaît un cloud d’images représentant des personnages. Or un grand nombre d’entre eux à commencer par Minnie ne sont apparus ni dans l’histoire courte ni dans l’album. Une façon d’annoncer la série ?


Non pas du tout, pour le coup. C’est vrai que j’aurais pu, cela aurait été même je pense intelligent de ma part. Mais en fait, c’est plein de photos que j’ai reprises notamment de mes références. Il y a une photo de La cité de Dieu qui un film qui est une de mes références principales sur l’album et il aussi une photo de Dodes’kaden un film de Kurosawa qui se passe dans une décharge aussi et qui m’avait vachement inspiré aussi. Mais du coup non, c’était juste pour faire un espèce de patchwork de photos de références. C’est assez cinématographique dans l’idée.

Que ce soit l’histoire courte ou le récit long, on retrouve la même structure : un prologue, une première partie réaliste, une seconde partie horrifique fantastique puis un épilogue.
Comment passe-t-on du format histoire courte en 30 pages à celui d’album de 100 pages ? Qu’est-ce qui est le plus compliqué selon vous ?
C’est plus compliqué de faire un 100 pages. Au final, on est quand même obligé de couper des scènes alors qu’on s’attend dans un 100 pages à pouvoir beaucoup plus développer. Mais en fait il y a les mêmes contraintes que sur un 30 pages parce que le 30 pages, on le pense comme étant un trente pages. Du coup, on se restreint de base sur ce qu’on va raconter ; et ensuite, la manière qu’on a de le raconter, on le fait en fonction du nombre de pages qu’on a et dans un 100 pages c’est la même chose. Au final, il y a plus ou moins les mêmes contraintes, à part que ça met beaucoup moins de temps à faire un 30 pages .
Alors parlons quand même un petit peu des personnages, notamment le trio Bambi, Eingyi et Lombric aux désignations métaphoriques. Un peu des archétypes, non? Comment procédez-vous pour le chara design ?

Oui c’est vrai que c’est vraiment des archétypes. J’essaie de broder autour de ça, d’en faire des archétypes mais à la base, c’est vraiment le caractère des personnages qui définit leur chara design à terme. Quand je fais du storyboard, j’ai tendance à vraiment ressentir ce truc un peu – c’est facile à dire mais moi je le ressens vraiment – des personnages qui bougent tout seuls quand je vais mettre mes persos dans une situation donnée. Par exemple, quand ils braquent les deux méchants – moi je savais qu’ils allaient braquer les deux méchants, qu’ils allaient arriver un peu discrètement et tout mais je ne savais pas exactement comment les personnages allaient réagir dans cette scène là – et ils agissent juste par eux-mêmes en fonction de leur caractère sous mon crayon. Il y a vraiment de ça et du coup, oui j’avais vraiment défini de manière assez précise leur caractère et leur chara design a pour but de représenter leur caractère. C’est pour ça que Lombric, il est aussi cassé de partout (rires).
Un petit mot sur Bone peut-être?
Il n’est pas aussi important que ce qu’il aurait pu être dans l’histoire. C’est vrai qu’il accompagne plus les séquences. Je ne le vois pas comme un personnage principal mais on va dire qu’il apporte un peu de poésie…
… dans ce monde de brutes.
Oui (rire) c’est ça, dans ce monde de brutes.

Quels sont les auteurs qui vous inspirent ? Vous avez déjà répondu au niveau cinématographique mais au niveau bd? Je pense notamment aux mangas …


Oui. Je n’ai vraiment pas une culture franco belge très poussée.
Il y a des gens qui ont vu une référence à Spirou d’ailleurs dans le patchwork de photos au début, dans un des personnages et pour le coup, c’est pas du tout le cas. (rires)
Moi, mes références, j’ai aussi un gros background de dessins animés : il y a vraiment les vieux Disney, les vieux courts métrages Disney genre Oswald, tout ça. Sinon en auteurs de mangas, mes deux « maîtres » entre guillemets à penser Akira Toriyama et Tezuka. De tous les temps.
Le 25 octobre, paraîtra le numéro 3 de Lowreader. On vous y retrouve avec Run au scénario pour Redroom au titre ô combien évocateur. Le pitch :
« À l’ère de l’accès illimité à internet, il est bien trop facile d’en atteindre les bas-fonds. Deux étudiants joueurs vont s’aventurer dans les méandres du dark-web, pour le pire. » Moi, je crains aussi le pire. (rires)
Sans spoiler, vous pouvez nous en dire un peu plus ?
En réalité, c’est la toute première bd que j’ai faite de ma vie parce que c’est une bd que j’ai faite il y a trois à quatre ans quand Run m’a recontacté après que j’ai envoyé mon dossier et qu’il m’a proposé de commencer par un trente pages. Eh bien, c’est la première bd qu’on a fait ensemble. Du coup, lui a fait le scénario. C’était hyper cool comme expérience mais c’est vrai qu’aujourd’hui, graphiquement, j’ai pas mal évolué quand même. Il ne faut pas être surpris si ça change un peu de style. Ça ressemble plus à ce que j’avais fait dans le tome 17 de Doggybags, l’histoire avec les Touaregs. Là, c’est plus dans ce délire-là visuellement même s’il y a une page que j’ai refaite quand même parce que je ne pouvais pas laisser cela comme ça quoi (rire). C’est une histoire qui est assez dark aussi avec de la violence graphique aussi pas mal. C’est même à fond violence graphique. C’est très gore et tout mais c’est hyper bien. Enfin, le scénario est hyper bien.


© Label 619

© Label 619
Dans Slum Kids, malgré la violence, il y a une grande part d’humanité Au niveau des personnages, de leur regards, il y a des tas d’émotions qui passent. Il n’y a pas que la violence . Ce n’est pas de la violence gratuite.


J’espère, J’ai essayé de faire en sorte que ce ne soit pas de la violence gratuite. On m’a reparlé de la séquence où Bambi se fait plus ou moins agressée dans d’autres interviews que j’ai faites notamment pour me demander comment je me plaçais par rapport à cette scène-là. Moi je l’ai fait pour raconter des trucs sur le personnage de Bambi, pour montrer que même si elle joue un petit peu le rôle de la gentille, en fait, elle peut aussi se montrer hyper-violente.
Il y a des thématiques vraiment dures à aborder dans Slim kids mais il faut que j’aille au bout de la logique. Je ne pouvais pas ne pas mettre une scène comme ça dans cet univers-là alors que je parle de tout le reste, de drogue et tout … J’essaie juste avec cet univers vraiment sombre de faire ressortir justement comme tu disais l’humanité dans ces petits gamins-là et le fait qu’ils sont vraiment imprégnés de leur environnement et que c’est ça qui les fait se comporter comme ça mais on se rend compte à plein de moments qu’ils ont des failles parce que c’est des enfants.

Stigma …
Oui par exemple Stigma qui se met à pleurer et tout. Mais après, je vois vraiment ça comme une bd de divertissement. J’ai été surpris de l’accueil. Il y a beaucoup de gens qui ont été touchés émotionnellement par la bd et j’ai été assez surpris de ça parce que moi, quand je l’ai faite, je ne me suis pas dit que ça pouvait vraiment toucher des gens pour le coup. Du coup, je suis hyper content.
Ça montre que c’est réussi.
Oui c’est ça. Ça montre que j’ai à peu près réussi ce que je voulais faire, oui (rires)
Vous avez d’autres projets en cours?
Oui. Là actuellement je suis sur le tome 2. Enfin j’essaie de m’y mettre à fond mais avec la tournée de dédicaces et tout c’est un peu dur de vraiment rentrer dans le truc mais ça va se faire. Je suis sur le tome 2 et ensuite j’ai des idées pour un tome 3 potentiel à terme mais ça dépendra évidemment du succès de celui-là et du tome 2 qui va sortir, j’espère, fin de l’année prochaine, voilà.
Eh bien merci beaucoup.
Merci à vous.
Interview de Francine VANHEE

POUR ALLER PLUS LOIN
La chronique de l’album

