LE HAUT-FER


Le Haut-Fer

Le Haut-Fer
Scénario : Frédéric Brrémaud
d’après José Giovanni
Dessin : Paolo Raffaeli
Éditeur : Paquet
128 pages
Prix : 19,00
Parution : 20 septembre 2023
ISBN 9782889322992

Ce qu’en dit l’éditeur

Hector Valentin hérite d’une exploitation forestière dans les Vosges. Isolé car « étranger », voyant son bien convoité, il se retrouve vite seul contre tous. Il fait alors travailler des prisonniers en liberté conditionnelle. La gestion de ces hommes n’est pas facile, mais Hector arrive à souder sa petite communauté, jusqu’à ce qu’éclate le drame qui va précipiter la fin de cette belle aventure humaine.

Le Haut-Fer, roman de José Giovanni, adapté au cinéma sous le titre Les grandes gueules, tel le Phoenix, vient de renaitre graphiquement de ses cendres sous la plume de Frédéric Brrémaud et le pinceau de Paolo Raffaelli aux éditions Paquet. Cette histoire d’hommes ayant pour cadre une scierie traditionnelle des Hautes-Vosges s’achemine inexorablement vers le drame car il n’y a pas que les histoires d’amour qui finissent mal en général, les scieries aussi …

« Le système sur lequel était monté la grande lame verticale ressemblait à une guillotine, voilà ce qu’on appelait le Haut-Fer. Un grand bras de levier pendait au-dessus du Haut-Fer. Une pesée libérerait l’eau, entraînerait la roue et la roue et le Haut-Fer entrerait dans la danse.« 

Le haut-fer, c’est une scierie, une scierie traditionnelle vosgienne.

Nous sommes dans les années 60.

Suite au décès de son père, Hector Valentin, bûcheron franco-canadien revient dans les Hautes-Vosges bien décidé à faire redémarrer le haut-fer dont il vient d’hériter.

Mais il sera vite confronté à la méfiance des gens du coin et surtout à Casimir Parmentelier, le propriétaire de la grande scierie moderne de la vallée, bien décidé à conserver son monopole.

Très vite aussi surgira le problème de la main d’œuvre. Laurent et Mick, deux gars qu’il vient d’embaucher vont lui fournir la solution : employer des prisonniers en liberté conditionnelle de la prison centrale de Mulhouse où eux-mêmes ont purgé leur peine.

Alors, vont débarquer dans un premier temps l’élégant Serge, Robert le pieux, François le Belge, Raoul le renard et Nénesse, une force de la nature, tous des gars de la ville …

Du Haut-fer au Haut-fer

1962, Le haut-fer le roman de José Giovanni; 1965, Les grandes gueules son adaptation cinématographique mise en scène par Robert Enrico; 2023, Le Haut-fer, l’adaptation graphique. Comment est né ce projet 60 ans après? Un scénariste vivant en Italie, un dessinateur italien, un film très connu en Italie …

… tout était réunit pour faire redécouvrir le roman original, un peu tombé dans l’oubli à travers une adaptation graphique très fidèle au roman.

Il faut dire qu’avec sa narration très visuelle et ses dialogues incisifs, le roman s’y prête.

On retrouve textuellement de nombreux dialogues ainsi que certains récitatifs. Le côté flamboyant du film porté par les acteurs et la musique cède la place à une interprétation plus fidèle à l’écriture à l’os de Giovanni et plus sobre à l’image de la rudesse des Hautes-Vosges, ce qui ne fait qu’amplifier la tension qui va crescendo.

Deux différences toutefois. Pour une raison de lisibilité, le roman graphique s’ouvre sur Laurent sortant de prison, scène qui n’apparaît pas dans le roman.

L’autre est le traitement réservé aux histoires d’amour notamment celle de Laurent qui perd de sa substance. Les auteurs ont accordé moins d’importance au personnage d’Adeline et son histoire avec Laurent que dans le roman. Était-ce pour resserrer l’intrigue sur le lien qui unissait les hommes à la scierie ou à cause du côté un petit peu daté quelque peu voire beaucoup machiste de Laurent qui n’a pas vraiment le beau rôle par rapport à Adeline ? 

Une scierie et des hommes

Le récit est porté par les différents protagonistes qui gravitent dans l’exploitation d’Hector, à commencer par Hector lui-même, secondé par Laurent et Mick. Laurent, le taiseux dont on sait peu de choses si ce n’est qu’il a été accusé à tort d’un meurtre et qu’il aime fréquenter les belles de nuit et Mick, le fragile, joueur invétéré.

«Il [Hector] s’assit sur la couchette et, sans y toucher, il prit connaissance des titres de livres de Laurent.

Deux romans de J. Steinbeck (Des souris et des hommes et Tendre jeudi, une histoire de prostituée, deux d’E. Hemingway (En avoir ou pas et Cinquante mille dollars), deux de Jack London (Croc Blanc et L’appel de la forêt) et de Constantin Weyer (Un homme se penche sur son passé)…

Les trois derniers livres, Hector les possédait aussi , empilés sur le toit d’une armoire. »

Des souris et des hommes … La relation entre Laurent et Mick n’est pas sans rappeler celle entre Georges et Lenny qui ne se quittent pas, le premier veillant sur le second. D’autre part, on ne peut s’empêcher de penser que le personnage de Lenny a inspiré Nénesse.

A l’écran, ils étaient incarnés par de grandes gueules du cinéma : Bourvil, Lino Ventura, Michel Constantin, Jess Hann … La difficulté pour Paolo Raffaelli a été de les incarner graphiquement tout en s’éloignant physiquement des acteurs, ce qui est parfaitement réussi.

Il était une fois dans l’est …

Le cadre des Hautes-Vosges cher à Stéphane Godefroid qui signe la postface est un personnage à part entière du récit. En témoignent les planches pleine page de paysages qui apportent une respiration au récit. Alors outre la tension du polar et du drame psychologique qui se trame, on retrouve les codes du western : la nature, le danger permanent, les rivalités entre bûcherons, entre propriétaires, les rapports tendus entres les différents protagonistes, les grands espaces de l’ouest américain ayant cédé la place au terroir vosgien.

Portrait d’un lieu et d’une époque

Western oui mais documentaire aussi. C’est aussi l’occasion de découvrir le bûcheronnage, le fonctionnement d’une scierie traditionnelle vosgienne, l’acquisition des parcelles …

C’est la fin d’une époque aussi : celle du haut-fer et de la schlitte pour descendre le bois…

Le trait semi-réaliste, précis sans fioritures de Paolo Rafaelli colle bien au propos et reproduit fidèlement les lieux, les voitures des années 60 qu’il affectionne particulièrement. La difficulté a été la représentation du haut-fer : Il lui a fallu étudier le mécanisme hydraulique du haut-fer et le comprendre afin de pouvoir le mettre en action graphiquement.

Ceux qui comme moi ont vu et aimé Les grandes gueules ne pourront qu’être séduit par cet album. Quant aux autres, c’est l’occasion de découvrir une belle histoire d’amitié virile mais les dés étaient pipés dès le départ. Ce n’est pas Mick qui me contredira.

Les extraits sonores sont tirés de l’interview de Brrémaud réalisée au Livre sur la place.

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