Interview Frédéric Brrémaud & Paolo Raffaelli : Le Haut-Fer
au Livre sur la place, Nancy
10 septembre 2023

Bonjour Frédéric Brrémaud et Paolo Raffaelli. Je suis ravie de vous rencontrer au Livre sur la place pour la sortie en avant-première de l’album Le Haut Fer qui paraîtra le 20 de ce mois aux Éditions Paquet. Frédéric, vous en êtes le scénariste et vous Paolo le dessinateur. Alors si a priori le titre n’évoque rien pour beaucoup, il suffira je pense d’en faire le pitch pour qu’immédiatement les plus de 20 ans, voire plus de 50 voient surgir des visages et se remémorent l’histoire. Alors Le Haut-Fer, c’est quoi ?
FB : Le Haut-Fer, on peut le prendre effectivement en parlant du pitch à savoir c’est un bûcheron canadien, franco-canadien qui rentre en France à la mort de son père et qui récupère, qui hérite de son haut-fer c’est-à-dire grossièrement une scierie très traditionnelle et il a l’intention de la faire revivre. Son seul souci c’est qu’il arrive dans les années 60 où tout commence à s’industrialiser alors que le sien fonctionne encore à l’eau et est très traditionnel. Donc il a un problème de main d’œuvre parce qu’il y a une grosse entreprise qui a eu le monopole et qui entend bien le garder. Donc son idée – enfin ce n’est pas vraiment son idée mais c’est par le fait des rencontres – il va demander à des ex-détenus en liberté conditionnelle de travailler pour lui en terme de réinsertion mais aussi en terme de travail tout simplement. Donc ça, c’est la première explication. La deuxième ça serait, en fait que c’est une adaptation très fidèle du roman de José Giovanni Le haut-fer qui a donné le film en 65 de Robert Enrico Les grandes gueules.
1962, Le haut-fer le roman de José Giovanni, 1965 Les grandes gueules son adaptation cinématographique. Pourquoi cette adaptation sous forme de roman graphique 60 ans plus tard ? Qu’apporte-t-elle selon vous? Vous avez repris le titre Le haut-fer, ce qui n’est pas anodin puisque c’est une fidèle adaptation du roman.


FB : L’intérêt, je ne sais pas trop. Si, déjà c’est notre intérêt. En Italie le film est très connu.
Come sia ? una vampata …
PR : Une vampata di violenza
FB : Une tempête de violence. Ils ont pris le côté un peu pulp, voilà. Non seulement, il est très connu mais en plus il y a toute une culture … Moi, je suis dans la région du lac de Côme, la Lombardie; et là c’est vrai qu’il y a pas mal de gens qui sont partis dans les mines entre Mulhouse et Strasbourg. Certains dont je connais des familles où les ancêtres sont partis couper du bois dans la région, donc il y a ce principe. Le deuxième, c’est que, au même titre que Cent mille dollars au soleil, Les grandes gueules c’est un western. Donc l’idée de faire du western, c’est très plaisant et de se dire « on est dans les Vosges, on n’est pas loin de chez nous » : c’est intéressant de faire un genre. La deuxième chose, c’est que finalement les jeunes connaissant très peu le roman parce qu’il était introuvable jusque il n’y a pas longtemps alors que José Giovanni n’a écrit que des best-sellers. Je ne sais pas pourquoi ce roman n’était pas très connu alors que les gens l’avaient très apprécié. Donc l’idée, c’était de faire redécouvrir ça, c’est une première chose; puis la deuxième aussi, c’est que Paolo étant de Rome lui, il a la culture de la Cinecittà, de tout ce genre de cinéma et autre.
Effectivement, vous êtes resté très fidèle au roman. On retrouve d’ailleurs textuellement de nombreux dialogues ainsi que certains récitatifs. Vous avez su gérer magnifiquement les ellipses et la force des images, notamment lors des planches muettes, amplifie la tension. Qu’est-ce qui vous a paru le plus difficile pour passer du roman au roman graphique?

PR (traduction FB) : Le plus dur pour lui, c’était de trouver les personnages. Il ne voulait pas faire quelque chose qui soit trop proche du film. Mais que les caractères soient fidèles. C’est l’étude des personnages qui l’a le plus amusé.
FB : Ce qui était difficile effectivement c’était de s’éloigner de Lino Ventura et autres, sachant qu’on voit très bien que José Giovanni avait écrit le roman en pensant à lui ; donc il fallait quand même garder ce genre de personnage charismatique. La deuxième chose, on en a parlé hier à la bibliothèque Stanislas lors d’une conférence – c’était bien d’ailleurs – ce qui était très difficile, c’était de comprendre techniquement comment ça fonctionnait un haut-fer. Et ça, pour Paolo, c’était important, pour moi aussi : c’est à dire comment fonctionne le système de l’eau, hydraulique, comment tournent les engrenages, en fait comment ça marche parce que c’est quand même un roman graphique qui est destiné au monde entier mais aussi aux gens des Vosges et si on commence à faire quelque chose de précis avec la technique et que c’est faux, ça ne va pas ; et surtout si à un moment dans l’image on voit le haut-fer mais que ça ne correspond pas à la réalité, ça casse tout. C’est comme un avion à trois ailes : ça va pas. Donc voilà, c’était vraiment de comprendre, de bien l’intégrer et là je parle pour moi comme scénariste mais pour Paolo, c’est encore pire. Il fallait vraiment tout comprendre. Esatto, no ?
PR : Si, si
FB : Il aurait répondu ça, je le savais. (rires)

Votre écriture graphique réaliste ancre vraiment le récit dans la réalité pour les lieux d’abord mais également l’époque. J’ai pris vraiment plaisir à retrouver les voitures de mon enfance : la dauphine de la mère d’une de mes amies, la 4CV de mon oncle … Ce soin apporté au détail pas seulement des personnages mais des lieux, des voitures, ça nous fait enter dans la réalité de l’époque


FB : Ce n’est pas parce que c’est une fiction que les choses doivent être complètement irréelles. Un exemple, modestement quand même parce que là on n’est pas à son niveau, mais Jacques Tardi, quand il représente Paris, le fait d’être tellement précis sur Paris, fait que ça ne bride pas l’imagination, au contraire : On est super libre pour son histoire.
Paolo, c’est une période historique qui lui plaît énormément C’est une passion pour les voitures françaises de l’époque. Et il avait la documentation parfaite par rapport à ça. Paolo est un dessinateur réaliste. Il travaille beaucoup chez Bonelli; Bonelli, c’est les fumetti italiens en noir et blanc qu’on trouve dans les kiosques. Et ça, il en a fait … Là bas les gens ne se posent pas tant de questions: ils font des centaines et des centaines de pages et c’est réaliste. Donc le cerveau est prêt pour ce genre de choses.
Le cerveau et la main
FB : Mais c’est vrai qu’il a fait pas mal de choses. Il a fait pas mal de bd – ensemble il y a très longtemps – mais il a fait aussi pas mal de bd d’avions où il était aussi scénariste, donc le côté technique, mécanique, il aime bien. C’était tout mon contraire.

Vous avez accordé moins d’importance au personnage d’Adeline et son histoire avec Laurent que dans le roman. Était-ce pour resserrer l’intrigue sur le lien qui unissait les hommes à la scierie ou à cause du côté un petit peu daté quelque peu machiste de Laurent qui n’a pas vraiment le beau rôle par rapport à Adeline ?
FB : Il y a un petit peu ça mais l’idée ce n’était pas de l’éluder. Le parti pris, c’était à la fin que les moments que j’ai choisis entre Adeline et Laurent pour moi étaient les moments forts et qu’avec une bande dessinée, parfois une image ça vaut dix pages. Alors après, est-ce que c’est réussi ou pas, je ne sais pas. J’aurais bien aimé développer un peu plus leur relation mais après c’était aussi au détriment d’autre chose et on voulait quand même qu’il y ait des moments de silence dans la forêt donc il y avait ce genre de chose.

Et dans leur relation, il y a un tel déterminisme à savoir que – je ne veux pas dire que c’est perdu d’avance – il a la délicatesse lui, de comprendre qu’elle est plus jeune que lui et qu’il est ex-détenu. Il le dit de toute façon, elle mérite autre chose. Autre différence dans le traitement : quand Mick et Laurent annoncent à Hector Valentin, donc l’employeur, qu’ils sortent de prison, c’est très dilué dans le roman et on en parle souvent et là, ç’aurait été très difficile dans la bd d’en parler comme ça et très redondant, ce qui fait qu’on ouvre avec Laurent qui sort de prison. C’est une scène qui n’existe pas; au moins les choses étaient claires.


Ce qui est bien rendu aussi c’est le clin d’œil qu’a fait José Giovanni à Des souris et des hommes dans la référence à la relation entre Georges et Lenny qui ne se quittent pas, le premier veillant sur le second : c’est un peu la relation entre Laurent et Mick et d’autre part le personnage de Lenny va inspirer Nénesse. Dans la bd, vous avez bien pris soin de remettre dans la chambre les livres, comme Des souris et des hommes par exemple, cités dans le roman.
FB : Pour moi, c’est facile parce qu’il suffisait d’envoyer une couverture de Tintin à Paolo pour qu’il la dessine. Mais oui, moi je ne voulais pas louper Tintin. Je suis un fan d’Hergé quand même.
Frédéric Brrémaud, vous êtes un scénariste prolifique. Quels sont vous projets en cours?
Là, en ce moment, chez Dupuis, je suis en train de travailler sur un projet qui s’appelle Havana Split. C’est un polar de 150 pages sur Cuba dans les années 50. Après, je travaille sur Camomille, le tome 12, alors là, pour les plus jeunes lecteurs. Avec Bertolucci avec qui j’ai fait Love et Brindille, on continue Perceval et on a d’autres projets animaliers. Puis je continue Tête de pioche chez Dargaud avec Giovanni Rigano. Je vais sortir Rendez-vous à Bagdad qui est le deuxième tome d’une adaptation d’Agatha Christie. Je vais faire un manga avec une autrice chinoise, donc ça, ça me plaît bien. Et puis quoi d’autre ? Il y pas mal d’autres projets projets mais pour plus tard.
Quand je disais que vous étiez un auteur prolifique…
Non mais il faut y aller quoi ! Maintenant il y a quelquefois des choses qui sortent qui ont été écrites il y a plus ou moins longtemps.
Et vous Paolo ?
FB : En fait, on a un autre projet ensemble, voire deux. On aurait un autre projet où la période serait un peu la même mais aux États-Unis. Il faut savoir que Paolo a aussi la possibilité de travailler en Italie directement. Mais on aimerait bien continuer parce que ça s’est bien passé.
Eh bien merci beaucoup à tous les deux de nous avoir accordé un peu de votre temps.
Merci à vous.

Interview de Francine VANHEE

POUR ALLER PLUS LOIN
La chronique de l’album

