Le nom de la rose

Scénario : Milo Manara
d’après Umberto Eco
Dessin : Milo Manara
Couleur : Simona Manara
Éditeur : Glénat
Collection 24X32
72 pages
Prix : 29,90 €
Parution : 20 septembre 2023
ISBN 9782344049754
Ce qu’en dit l’éditeur
Quand le maître italien du Neuvième art revisite le chef-d’œuvre d’Umberto Eco.
En l’an 1327, dans une abbaye bénédictine du nord de l’Italie, plusieurs moines sont retrouvés morts. Pour mettre un terme à ces inquiétantes disparitions avant l’arrivée d’une importante délégation de l’Église, le frère Guillaume de Baskerville tente de lever le voile sur ce mystère qui attise toutes les superstitions. Assisté par son jeune secrétaire Adso de Melk, il va progressivement percer à jour les troubles secrets de la congrégation, et se heurter à la ferme interdiction d’approcher la bibliothèque de l’édifice. Pourtant, Baskerville en est persuadé, quelque chose se trame entre ses murs. Et bientôt, à la demande du pape, l’inquisiteur Bernardo Gui se rend à son tour au monastère et s’immisce dans l’enquête. Les morts s’accumulent et la foi n’est d’aucun secours…
Événement ! Milo Manara s’attelle à l’adaptation en deux tomes du chef d’œuvre d’Umberto Eco, vendu à plusieurs millions d’exemplaires et traduit en 43 langues. Après Jean-Jacques Annaud au cinéma (1986), c’est un nouvel artiste de prestige qui s’empare du célébrissime polar médiéval.
À la demande des héritiers Eco, Manara a eu carte blanche pour donner sa vision de l’œuvre, et a pour cela choisi un triple parti pris graphique très audacieux.
Son adaptation s’ouvre en effet sur Umberto Eco lui-même s’adressant au lecteur, dessiné dans un noir et blanc classique. Puis commence l’intrigue médiévale elle-même, et là Manara renoue avec le noir et blanc au lavis, rehaussé d’effets de matières et de modelés qu’il a déjà utilisé pour Le Caravage. Enfin, chacun sait que les livres tiennent un rôle fondamental dans l’intrigue, et Manara s’amuse donc de temps à autre à recréer des enluminures d’époque, réalisées à la manière des moines copistes du Moyen Âge. L’ensemble est mis en couleurs par la propre fille de Manara sous la supervision de son père, là aussi selon la même méthode qui a présidé à la réalisation du Caravage.

Au commencement était le livre et le livre était un roman, un roman d’Umberto Eco. Puis vint le temps du film et viendra le temps de l’opéra. Aujourd’hui, c’est le temps du roman graphique. Le nom de la rose renaît sous le pinceau inspiré du maître italien du Neuvième art, Milo Manara sous la forme d’un diptyque dont le premier tome vient de paraitre aux éditions Glénat. Une splendeur !
An 1327, Nord de l’Italie, entre Provence et Ligurie

Le franciscain Guillaume de Baskerville accompagné du jeune novice bénédictin Adso de Melk, son secrétaire, arrive au pied de l’imposante abbaye bénédictine située au sommet d’un piton rocheux enneigé où il est attendu dans un contexte de forte tension en raison de la tenue imminente d’un séminaire dans lequel Franciscains et riches émissaires de la papauté vont s’opposer, pauvreté et hérésie étant au cœur du sujet.


A peine est-il entré qu’il est informé du décès tragique survenu la veille d’un des moines, le talentueux enlumineur Adelme d’Otrante, retrouvé mort au pied de la tour. Meurtre, suicide, accident ? En raison de son flair holmesien et son passé d’inquisiteur, l’abbé le charge d’enquêter afin d’élucider l’affaire avant la tenue de ladite réunion. Mais le jeune enlumineur n’est que la première victime par mort violente, d’autres suivront.

La clé de l’énigme pourrait bien se trouver au cœur de la majestueuse bibliothèque, la plus grande de toute la chrétienté qui occupe tout le dernier étage de l’Édifice. Oui mais nul n’a le droit d’y pénétrer hormis deux personnes : le bibliothécaire et son assistant. Ils seront plus d’un à enfreindre la règle …
Ecce Eco

Est-il besoin de rappeler le succès planétaire de ce roman paru au début des années 80 traduit en 43 langues, vendu à plus de 60 millions d’exemplaires ? Dans ce premier roman écrit à l’aube de la cinquantaine, Umberto Eco, cet universitaire érudit, professeur titulaire de la chaire de sémiotique et directeur de l’École supérieure des études littéraires à l’Université de Bologne et auteur de nombreux essais a joué avec brio avec les codes du polar historique en y introduisant ses connaissances approfondies de l’Europe médiévale – Art et beauté dans l’esthétique médiévale est son premier livre publié en 1959 – tout en accordant une grande importance aux signes dont l’interprétation structurait la société de l’époque. Offrant ainsi une imbrication complexe de plusieurs niveaux de lecture qui permettra à chacun de choisir le sien, c’est sans doute la conjugaison de son érudition et de son talent de vulgarisateur qui est à l’origine du succès du roman.
La construction d’un monde
« Pour raconter, il faut avant tout se construire un monde, le meubler le plus possible jusqu’aux derniers détails.«
Umberto Eco, Apostille 1983
Roman historique, polar médiéval, chronique sur la vie monacale du début du XIVe siècle, longue réflexion sur l’histoire de l’Église et de ce qu’elle a qualifié d’hérésies, sur la connaissance et la conservation du savoir, histoire à tiroirs d’un livre, de livres, tout cela vu à travers le prisme de la sémiotique : plus qu’un monde, c’est un multivers qu’il a créé.
Ce monde créé par Eco, Manara l’a habité en y apportant sa touche personnelle et comme lui, il est allé jusqu’aux derniers détails. Sa mise en images matérialise les descriptions du romancier à commencer par la fameuse bibliothèque qu’il reproduit avec une grande rigueur. Et c’est là une des forces du roman graphique : L’appropriation visuelle de la configuration des lieux est immédiate.

Le dessinateur indique s’être inspiré pour les lieux et personnages des dessins, croquis et notes préparatoires d’Umberto Eco que l’on peut retrouver dans l’apostille publiée en 1983 qui nous éclaire sur la genèse du roman.
Quelques croquis d’Umberto Eco
Pourquoi l’intrigue se déroule-t-elle au Moyen-Age ? Pourquoi à la fin du mois de novembre 1327 ? Quid de la structure labyrinthique de la bibliothèque? … Si l’auteur ne dévoile pas tout, de nombreuses questions vont trouver ici leur réponse. Celle-ci est entièrement reprise dans la nouvelle édition du roman dans la version revue en corrigée de 2012 publiée par les éditions Grasset en 2022 à l’occasion du 40e anniversaire de parution du Nom de la rose en France.


La confession d’un enfant du XIVe siècle
Le narrateur, c’est Adso. Mais quel Adso ? Le jeune Adso au moment où il vit les évènements ou le vieil Adso qui les couche par écrit au crépuscule de sa vie ? Un peu les deux sans doute, le miroir déformant de la mémoire ayant entre temps fait son œuvre, ce que Milo Manara, traduira graphiquement à travers l’exagération des dimensions des lieux notamment celles de la cheminée. Tout ne parait-il pas plus grand dans nos souvenirs d’enfant ou de jeunesse?


Nous, lecteurs, pénétrant dans un monde inconnu, nous trouvons dans la situation d’Adso. À sa suite, nous allons non seulement mener l’enquête mais également nous identifier à lui quant à la découverte et la compréhension des soubresauts de l’Église à l’aube des Temps Modernes. C’est absolument passionnant !
L’affrontement de deux mondes
En cette fin de Moyen-Âge, on assiste à une double querelle à la fois politique et religieuse qui oppose du côté politique Louis IV, l’empereur du Saint-Empire et le pape Jean XXII qui l’a excommunié et de l’autre le pape aux Franciscains qui prônaient la pauvreté et lui reprochaient la richesse de l’Église.
Et nous assistons ainsi aux conflits internes entre les différents ordres religieux avec l’hérésie en marge et au centre de ces querelles.
Richesse de l’Église contre pauvreté du peuple, la réflexion sur la pauvreté et les inégalités de richesse qui sous-tend tout le roman est hélas toujours d’actualité quelques 700 ans plus tard.
Et Dieu créa la femme …
En filigrane, est également abordée la question de la sexualité des religieux et la vision de la femme considérée comme la cause de perdition des hommes.
Du cinéma à l’opéra
Ce chef d’œuvre de la littérature s’est naturellement invité dans d’autres domaines. Le cinéma pour commencer avec le flamboyant « palimpeste » – c’est ainsi qu’il nomme son adaptation – de Jean-Jacques Annaud en 1986, film devenu culte dans lequel Sean Connery a si brillamment incarné Guillaume de Baskerville.


Il inspirera en 1995 à Iron Maiden le titre Sign of the Cross.
Et puis il faudra attendre près de trente ans pour retrouver « Il nome della rosa » au théâtre cette fois en 2017 dans la version théâtrale de Stefano Massini.

Suivra en 2019 la mini-série de huit épisodes réalisée par Giacomo Battiato. Ce diplômé d’histoire médiévale avait rédigé sa thèse sur les Cathares. Aussi a-t-il privilégié le côté historique, notamment en développant l’histoire des groupes hérétiques et donnant à voir leurs actions. Quant au rôle de Guillaume de Baskerville, il est habité par John Turtoro qui n’a pas à rougir de la comparaison avec Sean Connery. Il incarne un Guillaume tout aussi convaincant.
En 2025, Le nom de la rose renaîtra conjointement sur la scène de la Scala de Milan et à Paris, la composition ayant été confiée à Francesco Filidei.
Mais avant l’opéra, Manara …
Du manuscrit d’Adso au roman graphique de Milo
Totale liberté a été laissée à Milo Manara qui a décidé d’être le plus fidèle possible non seulement au roman mais à ses introductions.


Le livre d’Umberto Eco s’ouvre sur un court récit de 6 pages intitulé « Un manuscrit, naturellement » dans lequel il fait part de la façon dont il aurait découvert l’existence du manuscrit d’Adso et des recherches alors effectuées que Manara traduira graphiquement par l’Umberto Eco chercheur de la fin des années 60 et l’Umberto Eco écrivain de 1980 s’adressant au lecteur avant de glisser subtilement – Au commencement était le verbe – au prologue du roman en donnant la parole cette fois au vieil Adso qui comme dans le roman va contextualiser le récit qui va suivre par les apports historiques, politiques et religieux nécessaires à la compréhension du roman.

Au commencement était le verbe …
Il s’est tenu au plus près du roman. Les mots d’Umberto Eco, rien que ses mots, tant au niveau de la narration que des dialogues y compris quelques passages en latin non traduits, voilà une gageure remarquablement réussie. Et là encore, c’est en parfaite résonance avec le roman.
« Laisser sur ce vélin témoignage des évènements admirables et terribles auxquels dans ma jeunesse, il me fut donner d’assister en représentant verbatim tout ce je vis et entendis. »,
déclare Adso dans le prologue. Et le maestro Eco n’a-t-il pas lui-même parsemé son récit de mots issus de ses lectures ?
Les murs porteurs de l’Édifice
« Je me suis retrouvé face à une cathédrale. L’enjeu était d’identifier les murs porteurs et d’enlever des pierres sans la faire s’écrouler, retirer ce qui n’était pas indispensable à sa stabilité ».
Milo Manara
S’il lui a fallu élaguer et couper environ 80 % du roman, il n’en a pas moins conservé l’esprit et la structure.
Conformément au manuscrit d’Adso, le roman est découpé en sept journées divisées elles-mêmes en sept périodes correspondant aux heures liturgiques de Matines à Complies. Par souci de fluidité, ces précisions ont disparu dans l’adaptation graphique.
Les passages supprimés tels la controverse autour du rire, véritable joute oratoire entre Jorge de Burgos et Guillaume de Baskerville ou encore la longue diatribe de l’abbé sur la richesse des objets du culte qui s’étalent sur plusieurs pages dans le roman n’ont aucune incidence sur le déroulement du récit et ne se prêtent guère à la narration graphique.
Arrêt sur personnages
Comme dans beaucoup de romans historiques, Umberto Eco mêle personnages réels et personnages fictifs. Concernant les personnages fictifs, commençons par Guillaume de Baskerville.
Avec un tel patronyme qui caractérise son personnage, il ne pouvait être qu’Anglais : Baskerville en référence à Sherlock Holmes en raison de ses capacités d’analyse et de déduction dont il fait preuve dès le début du récit dans l’épisode du cheval et Guillaume pour Guillaume d’Ockham (1280- 1347), un franciscain, philosophe et théologien anglais, l’un des pères de la méthode scientifique tout comme Roger Bacon auquel Guillaume de Baskerville ne cesse de se référer.
À la pointe de la science, il incarne la modernité face au vénérable Jorge de Burgos, l’ancien bibliothécaire aveugle.

Là encore, le romancier n’a pas choisi le nom au hasard : Jorge de Burgos … Jorge Luis Borges l’auteur de La bibliothèque de Babel, nouvelle dont s’est inspiré Umberto Eco pour créer sa bibliothèque labyrinthique.


Pour camper ces personnages, tous plus expressifs les uns que les autres, Manara a voulu d’emblée s’écarter de Sean Connery tout en en conservant le caractère charismatique. À un monstre sacré, il a opposé un autre monstre sacré, Marlon Brando. C’est par la description même que fait Adso de son maitre dans le prologue, que Marlon Brando s’est imposé comme une évidence.
« Il avait les yeux vifs et pénétrants; son nez effilé et légèrement aquilin conférait à son visage l’expression de quelqu’un qui veille… Son menton aussi révélait en lui une forte volonté.«
Poussant le détail jusqu‘au bout, Adso ayant précisé que Guillaume était âgé d’environ 50 ans, c’est le Marlon Brando du Dernier tango à Paris qui lui prêtera ses traits.


Toujours par souci du détail, pour être au plus de la réalité dans la représentation des moines, il s’est inspiré notamment de tableaux de Giotto et Zubarán. Aussi a-t-il pris grand soin à différencier la bure brune ceinte d’une corde à noeuds des franciscains de celle noire des bénédictins, la différence de tons étant subtilement rendue par sa fille Simona à la couleur.
Les mots d’Eco, le trait de Milo, les couleurs de Simona
Milo Manara, « Le maître italien du Neuvième art » est également considéré comme le maître de l’érotisme en bd. Et c’est cet aspect qui vient immédiatement à l’esprit dès qu’on prononce son nom. Mais Manara, ce n’est pas que ça. J’en veux pour preuve son diptyque Le Caravage (Glénat, 2015-2018) somptueuse biographie inspirée. Ce n’est pas la première fois qu’il se frotte à la bd historico-religieuse. Il l’avait déjà fait à travers la tétralogie Borgia (2004-2010) sur un scénario de Jodorowsky, qui précisons-le comporte quand même plus d’une scène sulfureuse.
Pour Le nom de la rose, Milo va adapter son trait au propos. Tout au long de l’album, pour retracer les évènements, le dessin est réalisé en noir en blanc et modelé par le lavis. Pour les passages oniriques ou porteurs de visions diaboliques, il ira puiser du côté de la fantasy.

Le diable est aussi dans le détail. La transgression, l’opposition entre la règle et les pulsions ou fantasmes est admirablement rendue à travers les reproductions à l’identique de marginalia, ces dessins préfigurant Jérôme Bosch tracés par les copistes en marge du texte.

Enfin, permettant de nous échapper du huis-clos étouffant de l’abbaye, Milo Manara va ouvrir des fenêtres vers l’extérieur nous livrant dans des camaïeux de beige des récits dans le récit à l’esthétique des gravures médiévales semblant tout droit sortis de livres d’histoires.

Il est grand temps à présent de parler de la couleur qui met parfaitement en valeur les différentes atmosphères ; Aux couleurs vives et joyeuses des enluminures, vont s’opposer les tons froids des extérieurs de l’abbaye figée par le froid et la neige et les tons désaturés à dominante brune des scènes intérieures de l’abbaye.
Le tome 1 s’achève fort à propos à la moité du roman sur une sublime apparition qui va laisser Adso bouche bée et le lecteur sur sa faim. Il ne nous reste plus qu’à attendre la fin 2024 pour passer du temps de la découverte à celui des tourments avec l’entrée en scène du terrible Bernad Gui, inquisiteur à la tête de la délégation papale.

POUR ALLER PLUS LOIN
« Manara se met en 4«

Rencontre à l’Abbaye de l’Épau lors de la sortie de l’album


La BD au coeur d’un roman d’Umberto Eco

Dans le roman illustré, La Mystérieuse Flamme de la reine Loana paru en 2005 chez Grasset, Umberto Eco raconte comment Yambo, un libraire antiquaire de soixante ans réchappé d’un accident, recouvre la mémoire grâce aux images qui ont marqué son enfance dont la bande dessinée.



Le titre même du roman est celui d’un épisode des aventures de Raoul et Gaston (Tim Tyler’s Luck, série créée en 1928 par Lyman Young).













3 réponses à “LE NOM DE LA ROSE”
Pour quand le tome 2 ?
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Bonne nouvelle : Le tome 2 va sortir le 21 janvier !
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Il était prévu pour fin 2024. Il ne fait pas partie des prévisions du premier semestre 2025. Nous n’en savons pas plus. Il ne nous reste plus qu’à espérer qu’il paraisse en fin d’année…
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