DON QUICHOTTE DE LA MANCHE


Don Quichotte de la Manche

Don Quichotte de la Manche
Scénario : Paul & Gaëtan Brizzi
d’après Miguel de Cervantes
Dessin : Paul & Gaëtan Brizzi
Éditeur : Daniel Maghen
Collection Les grands classiques en bande dessinée
200 pages
Prix : 29,00
Parution :  09 novembre 2023
ISBN 9782356741684

Ce qu’en dit l’éditeur

Don Quichotte passe entre les mains de Paul et Gaëtan Brizzi pour une adaptation somptueuse de ce classique de la littérature espagnole.

Paul et Gaëtan Brizzi reprennent le crayon et, après L’Enfer de Dante, s’attaquent à un autre très grand classique de la littérature espagnole, Don Quichotte. L’Hidalgo de Miguel de Cervantes va passer sous les traits uniques des frères Brizzi pour une nouvelle adaptation spectaculaire !

Ils nous avaient époustouflés il y a tout juste un an avec l’Enfer de Dante. Paul et Gaëtan Brizzi continuent leur tour d’Europe des grands classiques pour le compte des Éditions Maghen. Après l’Italie, ils nous entraînent en Espagne et, revisitant Cervantès, nous livrent une sublime adaptation de son roman emblématique à travers l’album Don Quichotte de la Manche.

« Son tort, voyez-vous, fut d’avoir trop aimé les livres… »

Une tombe. Un nom, Don Alonzo Quijano. 1547-1618. Ce n’est ni plus ni moins que la tombe du célèbre Don Quichotte, qui un beau jour, nourri et obsédé par les livres de chevalerie qu’il n’a cessé de dévorer, décide de changer de patronyme, de se faire chevalier errant et de voler au secours des faibles et des opprimés pour les beaux yeux de sa Dulcinée à qui il compte bien dédier toutes ses prouesses. Tout noble chevalier se doit d’avoir un écuyer. C’est à un paysan du coin Sancho Panza qu’il confiera le rôle. Et voilà notre nobliau de province parti battre la campagne dans tous les sens du terme. Quant à nous lecteurs, nous nous trouvons embarqués dans une histoire rocambolesque, une farce haute en couleur où sous les yeux de Don Quichotte, une auberge misérable se fait château, une gardienne d’oie Noble dame, et les moulins géants à combattre …

Du 7e art au 9e art

Ayant obtenu le César du meilleur court métrage d’animation en 1977 pour Fracture, les deux frères ont longtemps œuvré dans le domaine de l’animation chez Disney, Dreamworks et Sony. On leur doit entre autres Astérix et la surprise de César, la fantastique séquence L’oiseau de feu dans Fantasia 2000 et côté cinéma le storyboard du film Pirates de Roman Polanski.

Storyboard de Pirates (1984)

40 ans plus tard, suite à une proposition de Christophe Malavoy, de poser leur patte graphique sur son scénario de La cavale du Dr Destouches, ils ont été atteints par le virus du 9ème art et sont loin d’être guéris : ils ont déjà à leur actif pas moins de huit albums en huit ans dont quatre pour la seule année 2023.

La seconde vie des frères Brizzi

Pour être tout à fait exacte, La cavale du Dr Destouches n’est pas leur première incursion dans le domaine de la bd. En 1985, ils avaient réalisé 48 pages pour une œuvre de commande de Diaclone dont l’objectif était de promouvoir les « Transformer ». En 2005, ils avaient mis en scène Mata Hari dans Œil du jour, une histoire de 11 pages, parue dans Métal Hurlant.

Après La Cavale du Dr Destouches parue en 2015 chez Futuropolis, Les deux frères se lanceront en 2017 dans leur première adaptation : L’Automne à Pékin, d’après le roman de Boris Vian, toujours chez Futuropolis.

Par la suite, leurs albums reprendront de grands classiques de la littérature, soit sous la forme du texte intégral illustré, soit sous la forme d’adaptation en bande dessinée, avec l’envie toujours de rendre accessible par le biais du dessin au plus grand nombre et notamment à la jeune génération ces livres que tout le monde connaît sans pour autant les avoir lus. Qui parmi nous a lu La divine comédie de Dante ou Don Quichotte ?

Illustration ou adaptation ?

Pour ces grands classiques, deux modus operandi : L’illustration pour les récits courts tels les nouvelles d’Edgar Poe, l’adaptation en bande dessinée pour les œuvres plus conséquentes, à plus forte raison pour la collection Grands classiques de chez Maghen.

Leur conception de l’adaptation

Pierre Lemaître évoquant l’adaptation de ses romans en bd a déclaré : « L’adaptation, ce n’est ni une fidélité, ni une trahison, c’est une autre œuvre. » Pour eux, étant donné le caractère quasi sacré des textes mythiques qu’ils choisissent d’adapter, il leur semble essentiel d’être le plus fidèle possible à l’auteur, à son esprit.

Les duettistes à l’œuvre

Leur collaboration n’est pas banale puisqu’ils œuvrent tous deux à la fois au scénario et au dessin. Après relecture de l’œuvre originale, ils en font un résumé à partir duquel, appliquant une démarche cinématographique, ils vont créer leur propre synopsis.

Tous deux dessinent l’intégralité des planches. Pour certaines séquences, Gaëtan réalise les décors sur lesquels Paul viendra greffer ses personnages. Pour d’autres, Paul croque les personnages et Gaëtan vient installer le décor derrière. Quant à la répartition des séquences, tout dépend de ce qu’il convient de mettre en avant : Si c’est le décor, c’est pour Gaëtan ; si c’est le dialogue ou l’action, c’est pour Paul.

El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha de Miguel de Cervantes

Publié en 1605 pour la première partie et en 1615 pour la seconde, ce sommet de la littérature espagnole est à la fois une transposition burlesque d’un roman de chevalerie et une satire de la société espagnole de l’époque. Mettant en scène l’ambiguïté du rapport entre la littérature et la vie, la folie du héros est contrebalancée par la sagesse paysanne de son serviteur.

Et même si on n’a pas lu le roman, on connaît tous peu ou prou son histoire et Don Quichotte, Sancho Panza, Dulcinée et Rossinante devenus des archétypes ne nous sont pas inconnus.

« Don Quichotte avant tout »

Alors bien sûr « qui dit adaptation, dit point de vue subjectif » dixit Paul. Aussi ont-il éliminé, choisi, trié mais aussi développé certaines séquences, guidés par leur propre appropriation de l’œuvre et leur sensibilité. Ils expliquent judicieusement leur démarche dans un avertissement au lecteur que l’on pourrait qualifer de note d’intention.

Ils ont choisi notamment d’introduire le, voire les, narrateurs par une prolepse puisque le récit démarre devant la tombe de Don Quichotte où le curé qui deviendra le narrateur principal de ce récit prend la défense de Don Quichotte en proie aux moqueries des deux aubergistes qui se remémorent ses frasques. L’histoire contée du point de vue du curé permet d’éliminer toutes les histoires dans l’histoire où Don Quichotte n’est pas le personnage central pour ne garder que ses propres aventures. D’autre part, le curé n’ayant de cesse de ramener Don Quichotte à la maison et à la raison afin de le protéger contre lui-même porte sur lui un regard plus humain que Cervantès, ce qui nous le rend plus touchant en dépit de ses fanfaronnades et son extravagance.

La fameuse scène des moulins, elle, s’étire sur 16 pages alors qu’elle n’en occupe que 2 sur les 1000 que compte le roman. A contrario, les épisodes des moutons, du théâtre de marionnettes se résument à une seule image. Les auteurs imposent là leur propre tempo.

Leur Don Quichotte

Il est une chose à laquelle ils ne pouvaient déroger c’est l’adéquation entre leur représentation et celle bien ancrée dans notre imaginaire. Don Quichotte se devait d’être grand, filiforme en opposition avec Sancho Panza petit et rondouillard. Ils accentueront ce contraste par le côté extrêmement décharné et les traits très marqués, les rides profondes du vieil Hidalgo.

Alors oui, Don Quichotte est narcissique, imbu de lui même, exécrable avec le fidèle Sancho qu’il prend de haut  et se ridiculise plus souvent qu’à son tour et pourtant …

Contrairement à Cervantès qui est sans pitié avec son personnage qui tout au long du roman ne récolte que quolibets et bastonnades sans l’once de la moindre compassion, à l’instar du curé, Paul et Gaëtan l’aiment leur Don Quichotte et nous le rendent attachant malgré sa folie.

Une langue choisie, une belle langue

Il leur a fallu également travailler sur la langue. Ils pouvaient difficilement conserver le texte initial. Il leur fallait cependant garder le ton de Cervantès, le ton de la farce. Les rapports entre Don Quichotte et Sancho sont mis en évidence dans les dialogues : À la condescendance du maître, répond le bon sens paysan du serviteur à travers ses dictons. Ils jouent avec le lecteur, souvent pris à partie par le curé, allant même jusqu’à pratiquer la double entente. Ainsi, juste avant la scène des moulins, je les cite : « Et il allait encore et encore en voir de toutes les couleurs. Et nous donc ! » fin de citation. Et effectivement, on en voit de toutes les couleurs !

Une narration graphique époustouflante

Et puis, et puis, il y a le dessin. Absolument sublime avec ce noir et blanc où toutes les variations de gris jouent sur la lumière et la profondeur de champ comme dans leurs précédents albums, avec aussi l’intrusion de la couleur qui à l’instar de la caméra subjective au cinéma nous fait pénétrer dans le monde de Don Quichotte en nous donnant à voir par ses yeux sa réalité sublimée.

Le choix des deux couleurs complémentaires orange et bleu aux nuances pastel nous plonge dans un univers onirique tout en évoquant la chaleur et la lumière de l’Espagne.

Leur crayon vibre, virevolte et nous offre des planches ultra dynamiques où l’action est démultipliée – on s’attendrait presque à voir les personnages s’animer –

ou de véritables tableaux fourmillant de détails sublimés par le format généreux de l’album (25 cm x 34 cm). Une mention toute particulière pour la scène grandiose des moulins mais aussi pour l’épisode de l’inénarrable farce théâtrale organisée par la duchesse, grande prêtresse du divertissement. Les frères Brizzi sont des orfèvres non seulement du dessin mais également de la théâtralisation.

Dernier point fort : l’extrême expressivité des personnages. Pour eux, il est important que l’expression du personnage reflète à la fois ses pensées, ses paroles et ses actes. Le trait forcé parfois presque cartoonesque ne fait que renforcer le caractère caricatural du roman originel.

Une narration cinématographique

Le sens de la composition, le rythme, le travail magnifique sur la lumière, la fluidité du mouvement, la grande expressivité des personnages, en un mot la théâtralisation, autant de savoir-faire acquis durant leur période animation qu’ils réinvestissent ici avec brio. Leur traitement de l’image tire son influence de l’expressionnisme allemand notamment pour le choix du noir et blanc et l’utilisation de la lumière. Certaines scènes évoquent d’autres images gravées dans nos mémoires, celles de grands classiques du cinéma tels le King Kong de 1933 pour la scène du sacrifice, Freaks de Tod Browing ou encore Le Cirque de Chaplin pour celle du cirque, scène dans laquelle un des forains s’inspire du Zampano de La Strada de Fellini incarné à l’écran par Anthony Quinn.

Outre le cinéma, leurs compositions se nourrissenr également des grands maîtres de l’illustration et la peinture : les deux Gustave, Doré bien sûr et Moreau mais aussi Arnold Böcklin et son Île des morts, les préraphaélites, les orientalistes et les peintres d’histoire du XIXe.

L’Italie, L’Espagne … what else ?

Paul et Gaëtan planchent actuellement sur Le fantôme de l’opéra de Gaston Leroux qui paraitra chez Futuropolis. Parallèlement, ils vont poursuivre leur tour d’Europe des grands classiques chez Maghen. Quel sera le prochain pays ? Eh bien, ce sera l’Angleterre avec le barde de Stratford-upon-Avon. Hamlet ? Macbeth ? Entre les deux leur coeur balance.

Quant à la France, j’ai bien ma petite idée … Mais là, ça n’engage que moi.

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