MIROIR DE NOS PEINES


Miroir de nos peines

Miroir de nos peines
Scénario : Christian deMetter
d’après Pierre Lemaître
Dessin : Christian de Metter
Éditeur : Rue de Sèvres
184 pages
Prix : 25,00
Parution :  08 novembre 2023
ISBN 9782810212767

Ce qu’en dit l’éditeur

Avril 1940. Louise, en état de choc suite au suicide d’un homme âgé sous ses yeux, se retrouve à courir nue dans Paris. Tentant de comprendre ce fait divers dans lequel elle est impliquée, elle se laissera entrainer dans le passé de sa propre mère et se découvrira un demi-frère caché. Sa route croisera au hasard les destins de Raoul, soldat déserteur emmené en prison, Fernand, un garde pénitencier et Désiré, mystérieux personnage aux nombreuses facettes.

Avec Miroir de nos peines, Christian de Metter clôt magistralement l’adaptation de la trilogie Les enfants du désastre de Pierre Lemaître. Ce récit choral, domaine de prédilection à la fois du romancier et du dessinateur nous plonge dans la drôle de guerre avant de nous pousser sur les routes de l’exode aux côtés de personnages plus attachants les uns que les autres sublimés par le trait et le regard plein d’empathie du dessinateur.

Tout comme Au revoir là-haut (2015) et Couleurs de l’incendie (2020) les deux premiers opus, l’ouvrage est paru aux éditions Rue de Sèvres.

Paris, 1940

Paw ! Une détonation. Un long cri dans la nuit. Ce cri, c’est celui d’une jeune femme nue en état de choc qui viendra s’effondrer aux pieds des passants. Un homme, le docteur Thirion vient de mettre fin à ses jours sous ses yeux. Cette jeune femme, c’est Louise Belmont, institutrice arrondissant ses fins de mois en troquant sa blouse contre le tablier de serveuse à « La petite bohème » le weekend. Louise Belmont … La petite Louise d’Au revoir là-haut a bien grandi !

Cherchant à comprendre le pourquoi du comment, Louise va partir en quête du passé de sa mère, ce qui la mènera à la découverte d’un lourd secret de famille. Mais elle n’est pas seule à parcourir les routes de l’exode accompagnée de Monsieur Jules, le patron de La petite Bohème. D’autres vont emprunter ce même chemin : deux soldats l’intègre Gabriel et Raoul le magouilleur, Fernand le garde mobile qui va sortir des clous pour réaliser le rêve de sa femme partie avant lui et puis Désiré – Lupin ou Fregoli des temps modernes – un escroc éminemment sympathique aux multiples identités et professions usurpées poursuivi par un inspecteur du 36 quai des orfèvres …

La quadrature du cercle

Christian de Metter tisse avec brio la toile graphique entremêlant les quatre fils narratifs de ce récit choral. Quatre destins incarnés par quatre personnages complexes avec leurs failles et leur solarité. Le contexte historique – drôle de guerre, débâcle de l’armée française, exode – va exacerber les bons et mauvais penchants de chacun, que ce soient les protagonistes ou les personnages secondaires croisés tout au long du récit. Si certains franchissent la ligne, d’autres en revanche vont faire preuve d’altruisme, parfois les deux à la fois. Tout ce petit monde va converger vers le même point de chute pour un final connecté.

« L’adaptation, ce n’est ni une fidélité, ni une trahison, c’est une autre œuvre. »

Pour l’adaptation d’Au revoir là-haut, désireux d’œuvrer également au scénario mais ne maitrisant pas les codes du medium, Pierre Lemaître a souhaité faire appel a un dessinateur qui soit aussi scénariste. Le choix s’est porté sur Christian de Metter dont ce n’est pas la première adaptation. Il avait fait ses armes dans un domaine que Pierre Lemaître connaît bien, le polar, à travers trois romans graphiques parus dans la collection Rivages/Noir de Casterman : Shutter Island de Dennis Lehane en 2008 (couronné du prix des libraires 2009), Scarface d’Armitage Trail en 2011 et Piège nuptial de Douglas Kennedy en 2012.

Contrairement à l’adaptation d’Au revoir la-haut cosignée par le romancier et le dessinateur, pour les deux opus suivants de la saga, Christian de Metter s’est retrouvé seul aux manettes.

« La grammaire de la bande dessinée et sa rythmique propre font que le moment dont je dispose pour raconter l’histoire leur est interdit. »

Si Pierre Lemaître aime démarrer par une scène forte ses récits, il a toutefois le temps de l’installer, ce qui n’est pas le cas de Christian de Metter qui lui nous y fait entrer directement par cette scène choc où une détonation et un cri déchirent non seulement la nuit mais aussi la page.

Medium oblige, il a également dû créer une temporalité autre que celle du roman afin de mettre en parallèle les destinées des différents protagonistes.

« Comprendre le monde à travers la main« 

Si Pierre Lemaître aurait aimé «pouvoir comprendre le monde à travers la main», la main de Christian de Metter a bien compris le monde de Pierre Lemaître. Et l’alchimie entre ces deux mondes, celui du romancier et celui du dessinateur fonctionne à merveille ceci, en raison non seulement du talent de dessinateur de Christian de Metter, mais également de son talent de scénariste hors pair.

In fine, cette expérience de co-scénarisation du premier opus aura des répercussions sur l’écriture des romans ultérieurs de l’écrivain.

« L’adaptation, un équilibre entre fidélité au roman et approche personnelle »

Le personnage de Désiré dont les différentes identités et professions usurpées vont émailler le roman était difficile à mettre en place sans nuire à la fluidité du récit. Aussi Christian de Metter a-t-il opté de l’introduire par un personnage absent du roman : celui du flic qui va le pister tout au long de l’histoire.

Introduction d’un nouveau personnage donc mais également développement d’un épisode qui n’occupait que quelques lignes dans le roman et va ici s’étaler sur une double page.

Cela donnera lieu a une très belle scène quasi muette où des corbeaux s’acharnant sur un pigeon laissent entrevoir à Désiré que le vent est en train de tourner et qu’un danger le menace.

Question fidélité, on retrouve la verve de l’écrivain et l’humour déjà présent dans le roman.

La mise en page des situations ubuesques comme les discours de propagande radiophoniques de Désiré reflète bien le marasme politique ambiant.

« Le verbe est le roi du roman mais pour une bd, c’est le dessin, c’est la peinture, c’est la couleur« 

Au départ, Pierre Lemaitre voulait faire une bd totalement muette ce qui selon Christian de Metter était difficilement réalisable vu la complexité de l’histoire. Les deux se sont rapidement mis d’accord sur une version où le dessin serait au service de l’histoire et des personnages et le verbe réduit à l’essentiel.

« Le dessin est au service des personnages et de l’histoire »

Le carburant de Christian de Metter, c’est l’émotion, une émotion qu’il partage avec nous à travers son sens aigu de la mise en scène, de la composition mais également l’expressivité toujours juste de ses personnages, le tout servi par la virtuosité de son trait réaliste.

Ses personnages, il les aime et il nous les fait aimer. Il y a Louise bien sûr au charme solaire, qui va venir étoffer la galerie de magnifiques portraits de femmes dont dont il sait si bien capter la force et la fragilité : Louise mais aussi Madeleine dans Couleurs de l’incendie ou encore Marilyn, Emma, Jackie.

Les personnages ne sont pas figés mais s’étoffent et évoluent tout au long de l’histoire, Raoul en étant le parfait exemple. Quant à Désiré, il n’a pas fini de nous étonner et de nous amuser.

Et puis il y a Monsieur Jules, au grand cœur et au cœur gros, sans doute avec Louise le personnage le plus touchant à qui, sans même se concerter, romancier et dessinateur avaient prêté les mêmes traits : ceux de Michel Simon.

Les couleurs du miroir

La palette assez sombre est en adéquation avec la période traversée et la teneur du récit, les différents ambiances et atmosphères étant subtilement retranscrites par ses variations de tons avec une très belle utilisation de la lumière notamment lors des scènes en extérieur nuit.

Le personnage de Louise n’est pas le seul lien avec Au revoir là-haut. La couverture l’est aussi par ses couleurs à dominante verte et son titre en jaune et puis il y a ce regard …

Miroir de nos peines clôt en beauté la saga Les enfants du désastre. Ce volume peut se lire indépendamment des deux autres, mais ce serait vraiment dommage de passer à côté des deux premiers opus dont je ne peux que conseiller la lecture à ceux qui ne l’ont pas encore fait. Miroir de nos peines, Les enfants du désastre : Un album, une série à ne pas manquer !

POUR ALLER PLUS LOIN

4 novembre 2013 : Attribution du prix Goncourt à Pierre Lemaître pour Au revoir là-haut

10 ans plus tard

Mercredi 7 novembre 2023 : jour de l’attribution du Goncourt, conférence de presse l’adaptation de l’œuvre de Pierre Lemaître en bande-dessinée organisée par les éditions Rue de Sèvres réunissant Pierre Lemaître et ses adaptateurs autour d’une table ronde animée par Marie-Madeleine Rigoupoulos à l’occasion de la sortie de Miroir de nos peines le lendemain.

La boucle est bouclée, du moins pour ce qui concerne la saga des enfants du désastre, ce qui n’est pas le cas mais ne saurait tarder pour les deux autres séries en court : Cadres noirs et Brigade Verhoeven. Quant à Christian de Metter, il va aller parcourir Le grand monde

« Alain Delambre est un cadre de cinquante-sept ans complètement usé par quatre années de chômage. Ancien DRH, il accepte des petits jobs qui le démoralisent. Au sentiment d’échec s’ajoute bientôt l’humiliation de se faire botter les fesses pour cinq cents euros par mois… Aussi quand un employeur, divine surprise, accepte enfin d’étudier sa candidature, Alain Delambre est prêt à tout, à emprunter de l’argent, à se disqualifier aux yeux de sa femme et de ses filles, et même à participer à l’ultime épreuve de recrutement : un jeu de rôle sous la forme d’une prise d’otages. Il s’engage corps et âme dans cette lutte pour retrouver sa dignité. S’il se rendait compte que les dés sont pipés, sa fureur serait sans limite. Et le jeu de rôle pourrait alors tourner au jeu de massacre…« 

Cadres noirs la trilogie tirée du roman éponyme et adaptée par Pascal Bertho avec Giuseppe Liotti au dessin tirera sa révérence dans le tome 3 intitulé Après le 20 mars, les tomes 1 Avant et 2 Pendant étant parus respectivement en février 2022 et mars 2023. Nous vous en reparlerons en temps voulu.

« Le lundi 7 avril 2003, Camille Verhoeven, commandant à la Brigade criminelle, est appelé sur une scène de crime, dans une friche industrielle de Courbevoie. Deux femmes ont été torturées, tuées, dépecées… Un crime particulièrement épouvantable et déroutant. Un assassin qui a tout prévu, jusque dans le moindre détail, et qui, semble-t-il, connaît bien Verhoeven. Un peu atypique, notre commandant : la quarantaine, chauve comme un œuf, amoureux d’Irène et bientôt père de famille. Extrêmement petit : 1,45 mètre, il voit le monde en contreplongée. Rien d’un Rambo.

Les affaires qu’on lui confie sont souvent, elles aussi, hors normes. Travail soigné, Alex, Rosy & John, Sacrifices : des thrillers glaçants qui jonglent avec les codes de la folie meurtrière, une mécanique diabolique et imprévisible, des intrigues aux apparences trompeuses et aux rebondissements saisissants. »

Quant à Brigade Verhoeven autre série adaptée par Pascal Bertho mais avec cette fois Yannick Corboz au dessin, c’est une tétralogie dont trois tomes sont déjà parus : Rosie en janvier 2018, Irène en mars 2019 et Alex en octobre 2021. Le tome 4 devrait paraître en 2025.


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