Le voyage de Shuna

Scénario : Hayao Miyazaki
Traduction : Léopold Dahan
Dessin : Hayao Miyazaki
Éditeur : Sarbacane
160 pages
Prix : 25,00 €
Parution : 01 novembre 2023
ISBN 9791040804444
Ce qu’en dit l’éditeur
Shuna, le prince d’une contrée pauvre, regarde impuissant ses sujets souffrir en permanence de la faim et se tuer à la tâche pour tenter de faire pousser des céréales que leur terre, stérile, leur refuse. Un beau jour, un voyageur lui parle d’une graine dorée miraculeuse qui fait onduler les plaines en vagues fertiles.
Elle provient d’un pays, loin à l’Ouest, peuplé d’esprits et hostile à l’homme, dont nul n’est jamais revenu. En dépit des soupirs des anciens et des larmes de ses parents, Shuna empacte ses affaires et se lance, sur son fidèle yakuru, vers cet Eldorado dans l’espoir d’y trouver de quoi sauver son peuple. Sur le chemin, il libère une jeune esclave, Théa, et sa petite sœur, retenues prisonnières par des trafiquants d’hommes. Poursuivis par leurs ennemis, Shuna confie les deux filles à son yakuru qui les emmène vite vers le Nord, tandis qu’il continue, à pied, vers l’Ouest. Quand il atteint enfin la terre des êtres divins, ce qu’il y voit le changera à tout jamais.
Théa reverra-t-elle un jour Shuna? Ramènera-t-il chez lui la précieuse céréale ?
2023, année faste pour les aficionados d’Hayao Miyazaki dont je suis : le 1er novembre, sortie simultanée sur les écrans de son dernier film Le garçon et le héron et aux éditions Sarbacane de son premier récit sur papier Le voyage de Shuna quarante ans après sa parution au Japon. Un petit bijou de près de 150 pages inspiré d’un conte des origines tibétain aux délicates aquarelles narrant la quête d’un jeune prince parti à la recherche de la graine miraculeuse qui fertiliserait la terre et sauverait son peuple de la famine. Tout l’univers onirique du futur sensei de l’animation est déjà là.

Pérégrination vers l’ouest
« Ces évènements ont pu se dérouler il y a fort longtemps. Ou bien allaient-ils se produire dans un lointain futur ? Plus personne ne le sait vraiment. »
On ne sait quand, on ne sait où, si ce n’est que le royaume de Shuna est niché au fond d’une vallée d’une contrée abandonnée par la fertilité contraignant ses habitants à suer sang et eau pour cultiver l’hiwabié qui parvient tout juste à nourrir hommes et animaux.

Ayant eu connaissance de l’abondance d’une graine dorée miraculeuse cultivée à l’ouest sur les terres des êtres divins d’où nul ne revient, ignorant les mises en garde des sages du village, une nuit de pleine lune, le jeune prince sella son fidèle yakkuru, direction le soleil couchant.

Désert, vestiges d’un monde ancien, étrange navire de bois et de pierre qui n’a jamais pris la mer, ville fortifiée rongée par la corruption, tels vont être les différentes contrées aux multiples dangers qui s’offriront à lui avant qu’il n’atteigne l’endroit où naît et meurt la Lune, le territoire des êtres divins.

Chemin faisant, il fera des rencontres plus souvent malheureuses qu’heureuses, se verra affronter goules mangeuses d’hommes et autres trafiquants d’esclaves des griffes desquels il tirera Thea et sa jeune sœur. Thea, première héroïne miyazakienne …

Et Miyazaki créa Thea
À l’âge de 17 ans, Miyazaki avait été profondément marqué par Le serpent blanc, premier long métrage d’animation japonais en couleur de Taiji Yabushita et Kazuhiko Okabe. Il avait notamment été bouleversé par le « dévouement et la noblesse de l’héroïne ».

De là lui vient sans doute la force et la puissance de ses personnages féminins, une des constantes de son œuvre.
Thea, c’est la grande sœur de Nausicaä, de San de Princesse Mononoké … : une jeune femme intelligente, déterminée, courageuse, faisant preuve d’initiative, en aucun cas un faire-valoir du héros.
Si la première partie du récit est centrée sur Shuna , la seconde en revanche tissera deux fils narratifs en suivant d’une part Shuna et d’autre part Thea.
Emonogatari

Ayant découvert au début des années 70 « Zhi Jia, Jianbing Sun » ou « Le Prince qui fut changé en chien », conte des origines tibétain dont le sujet n’est autre que la découverte de l’orge devenue la céréale de base du pays, Miyazaki depuis lors rêvait de l’adapter en film d’animation mais le sujet n’était pas vendeur. En 80-81, il reprendra ce projet avorté sous la forme d’« une sorte d’adaptation visuelle, à [sa] façon » qui paraîtra en juin 1983 chez Animage, soit deux ans avant la fondation du mythique studio Ghibli, sous le titre de Shuna no tabi, Le voyage de Shuna.

Malgré son sens de lecture à la japonaise et la présence de quelques phylactères, on peut difficilement classer l’ouvrage dans la catégorie manga. Il tient plutôt de l’emonogatari, le récit illustré caractérisé par le minimalisme d’un texte constitué de phrases courtes, réduit à l’essentiel afin de laisser la primauté à l’image. Texte réduit à l’essentiel ne signifie pas pour autant pauvreté du texte. La beauté et le côté poétique de la langue sont particulièrement mis en valeur ici par la traduction de Léopold Dahan.
A world is born
Tout au long des six chapitres qui rythment l’histoire, les magnifiques aquarelles, dont la douceur et la clarté font contrepoint au côté sombre du récit vont envahir l’espace. Certaines semblent même avoir surgi du pinceau d’Hiroshige ou Hokusai. Sublime!

Les somptueux décors : grands espaces désertiques post-apocalyptiques ravagés par la pollution et balayés par le vent, forêt luxuriante, océan déchaîné, prairies verdoyantes, architecture des villes et des ruines sont des éléments que l’on retrouvera dans ses productions futures tout comme ses personnages et ses thèmes de prédilection. Le monde merveilleux et onirique de Miyazaki où la nature animiste tient le premier rôle est né.

Invitation au voyage
Les nombreuses ellipses qui parcourent le récit vont conduire le lecteur au voyage au cœur même de son propre imaginaire. Il va devoir combler les creux et parcourir les zones d’ombre en faisant appel à sa propre imagination. Mais surtout, c’est un voyage au cœur de l’univers unique, poétique et magique peuplé d’étranges créatures de ce conteur hors pair, un monde dur corrompu par les êtres humains luttant ou s’alliant c’est selon avec les kamis, ces divinités ou esprits du shintoïsme, gardiens de la nature, cette nature à la fois belle et cruelle.
Une métaphore de notre monde
Au conte originel, Miyazaki a apporté, outre la dimension écologique, une dimension sociétale et politique à travers la description d’un monde gangréné par la cupidité, véritable métaphore de la mondialisation de l’économie, des dérives de l’industrie agro-alimentaire et l’exploitation par les pays riches de la main d’œuvre dans les pays pauvres.
Le côté post-apocalyptique du sol criblé à perte de vue de nappes d’eau teintées de rouille tire sa source d’inspiration du choc éprouvé par l’auteur lors de la découverte de la catastrophe écologique de la baie de Minamata, dans laquelle une usine pétrochimique déversa de 1932 à 1966 des métaux lourds en particulier du mercure qui ont pollué tout l’écosystème et contaminé la population.

On y trouve également les vestiges de civilisations disparues, certains énigmatiques, d’autres plus évocateurs, tels ceux ces immenses visages dans la roche faisant songer aux bouddhas de Bâmiyân aujourd’hui disparus. Sarinagara … Ce constat pour le moins pessimiste contient cependant un message d’espoir porté par une jeunesse forte, courageuse et solidaire porté par Shuna et Thea en quête d’un monde meilleur en symbiose avec la nature.
La matrice de Nausicaä, Princesse Mononoké et les autres…
A contrario de nombre de ses films dont les décors évoquent l’Europe, les décors du voyage de Shuna tout comme ceux de Nausicaä, Princesse Mononoké ou encore de son tout premier manga Sabaku no Tami (Le peuple du désert) – conte sur les tribus rivales sur la route de la soie publié en 26 épisodes sous le pseudo d’Akitsu Saburo en 1969-1970 – sont inspirés par les paysages de l’Asie centrale.
La gestation de Nausicaä de la vallée du vent s’est déroulée en même temps que celle du Voyage de Shuna et les deux ont de nombreux points communs. Le manga a commencé à être publié début 1982. Le succès rencontré donnera naissance au film d’animation en 1984. On y retrouve l’intemporalité du récit, les paysages post-apocalyptiques contaminés par la pollution, la forêt luxuriante, la raréfaction des ressources naturelles … Et le chara-design des deux héroïnes est très proche. Seule leur tenue vestimentaire les distingue.


Quant à Princesse Mononoké, il suffit de voir Shuna sur son yakkuru pour qu’immédiatement surgisse l’image emblématique d’Ashitaka sur Yakkuru. Shuna et Ashitaka : deux princes d’un petit royaume, héros solitaires qui au cours de leur quête vont rencontrer l’un Théa, l’autre San.


L’objet livre
Ce petit bijou méritait un bel écrin. Comme à l’accoutumée Sarbacane nous gratifie d’un objet extrêmement soigné, la forme étant au service du fond, à commencer par le format considérablement agrandi – supérieur au A5 alors que l’édition originale japonaise parue dans la collection Juju Bunko d’Animage était au format A6 -– ce qui non seulement permet de sublimer les aquarelles du seinen mais aussi offre une visibilité et donc lisibilité au texte.

Outre la qualité du papier à l’aspect de papier aquarelle et de l’impression, l’ouvrage est doté d’une belle couverture carton et enrichi de la note de contextualisation d’origine de Miyazaki ainsi que d’une postface signée Alex Dudok de Wit, celui par qui tout a commencé. En contact avec les studios Ghibli à l’occasion de l’écriture de son étude sur Le tombeau des lucioles (autre chef d’œuvre d’animation des studios Ghibli signé Isao Takahata) parue en 2023 chez Akileos, il a négocié la traduction étasunienne du Voyage de Shuna. Shuna’s Journey traduit par ses soins est paru en 2022 aux éditions First Second Books. Suivront bien que négociées après la version française, les versions allemande en septembre, italienne et espagnole en octobre 2023.
Un tirage de 150 000 exemples dont 75 000 pour la première édition, plus de 100 000 exemplaires vendus : un succès phénoménal amplement mérité, une belle reconnaissance aussi pour les éditions Sarbacane qui fêtaient en 2023 leurs 20 ans d’existence !
« Le voyage de Shuna était loin d’être terminé. La route dans la vallée était longue et d’autres épreuves l’attendaient : mais cette histoire sera pour une autre fois.«
Et la suite me direz-vous ? La suite ? C’est toute son œuvre …

POUR ALLER PLUS LOIN
Le manga Nausicaä








Nausicaä a été prépublié entre février 1982 et mars 1994 dans le magazine japonais Animage, parralèlemnt à sa carrière de rélisateur.

Affaire à suivre …
L’un deux serait-il Sabaku no Tami (Le peuple du désert)? Aucune précision pour l’instant.

Naissance d’un grand réalisateur


©MIYAZAKI, Un mythe au présent, Le 1 des arts, hors-série

Ses longs métrages d’animation












À part Le château de Cagliostro et pour l’instant Le garçon et le héron, tous les films ainsi que d’autres réalisations des studios Ghibli sont disponibles sur Netflix.


