Sang neuf

Auteur : Jean-Christophe Chauzy
Illustrateur : Jean-Christophe Chauzy
Éditeur : Casterman
256 pages
Prix : 26,90 €
Parution : 6 mars 2024
ISBN 9782203250994
Ce qu’en dit l’éditeur
Un témoignage d’une rare intensité d’un combat pour la vie
En 2020, alors que le monde se confine, Jean-Christophe Chauzy, lui, est placé en chambre stérile. On vient de lui diagnostiquer une myélofibrose : sa moelle osseuse ne produit plus de plaquettes. Le pronostic vital est engagé, une greffe va être tentée, sa sœur Corinne sera la donneuse.
S’engage alors un violent combat contre la maladie. Jean-Christophe doit composer avec la lourdeur des soins, le découragement, la peur de mourir. Et quand il n’est pas le malade, comment réussir à être un mari, un père, un fils, un ami alors qu’il ne se sent plus que l’ombre de lui-même ?
Cru et intense, Sang neuf est un témoignage. Le récit bouleversant et sans concession de son combat pour la vie, mais aussi un vibrant hommage à toutes celles et tous ceux qui ont œuvré, avec générosité, à sa guérison.
Début de l’année 2020, Jean-Christophe Chauzy apprend que son corps est atteint d’une maladie du sang rare et très grave une myélofibrose. Quand il est diagnostiqué, il est au grade 3, c’est à dire au niveau le plus élevé. Sa moelle osseuse se dessèche et ne produit plus ni globules ni plaquettes ; il est ainsi privé de défenses immunitaires. Seule solution ? Subir d’urgence une greffe de moelle osseuse et trouver un donneur. Par chance, sa sœur Corinne est compatible à 100%. En avril 2020, Alors que la France est confinée, il entre en chambre stérile. Quatre ans plus tard, sort Sang neuf aux éditions Casterman, récit des années d’épreuves vécues depuis l’annonce de sa maladie. Celui qui dans sa tétralogie Le reste du monde nous parlait de l’effondrement du monde évoque ici l’effondrement du moi.


Le patient français
Pendant de longs mois, l’auteur a été un « patient » dans tous les sens du terme : il a souffert, il a été pris en charge, il a dû attendre. Il nous fait ressentir toutes ces émotions. Alors que le traitement contre le cancer est itératif, routinier et ne semble pas a priori un bon matériel scénaristique, il nous le présente un peu comme un thriller : même si l’on connaît l’issue puisqu’il est là pour nous raconter son histoire, on tremble avec lui devant les rebondissements médicaux et on attend avec lui que la greffe prenne, que son sang se régénère, qu’il ait un « sang neuf » . Nulle volonté de faire un ouvrage scientifique, simplement la décision de rapporter son expérience : tous les bouleversements que crée cette maladie et les montagnes russes tant psychiques que physiques qu’il a subies.

Le refus du pathos et de la grandiloquence
Ce qui est notable également, c’est que le bédéaste va s’élever contre le cliché qu’on trouve souvent dans la littérature sur le cancer : on assène aux malades que tout est une question de moral et qu’il va falloir se battre. Si on n’en a pas la force, Eh bien on est en quelque sorte coupable. Chauzy bouscule le mythe et montre qu’on a le droit de ne pas avoir la force de déclarer la guerre au cancer qu’on soit le malade ou ses proches… Aucun jugement, mais aucun enjolivement non plus et cette franchise s’avère à la fois salutaire, questionnante, et déculpabilisante pour le lecteur.

L’auteur ne se dessine donc pas en héros et ne fait pas de portrait flatteur de lui-même. Il avait déjà auparavant abordé le genre autobiographique en se mettant en scène de façon dégingandée dans « Petite nature » portrait à la fois comique et caustique. Ici l’on pourrait dire que le portrait est authentique. Présenté la plupart du temps de façon réaliste, le corps de l’auteur est parfois également déformé morphologiquement : démesurément grandi, écartelé symboliquement, « pantinisé » ou parfois rendu minuscule afin de montrer la terreur, l’effondrement et la dépendance à autrui que produit la maladie.

Donner à voir l’invisible
L’enjeu principal du livre c’est d’arriver à transmettre comment on réagit à cette épreuve et les émotions qu’on éprouve pour une maladie qui ne se voit pas. JC Chauzy devait donc affronter un double défi : transcrire à la fois ce qui se passait dans son corps et dans sa psyché.

Pour cela, nous l’avons vu, il a joué sur les dimensions dans son portrait mais il a aussi utilisé des métaphores. Pour monter son chemin de croix et la douleur engendrée par la maladie sur ses proches, il évoque une pietà et se peint comme un Christ en croix.
Il convoque aussi également un tableau de Frida Kahlo qui permet d’inscrire sa démarche dans celle cathartique et artistique de sa prédécesseure.


Frida Kahlo, La colonne brisée, 1944
Mais il pratique surtout la technique du lavis. C’est phonétiquement assez ironique d’utiliser le « la vie » pour dépeindre la mort en action, mais en même temps cela produit un équivalent graphique à la myélofibrose. Il déclare en effet :
« Je tenais à l’encre de Chine parce que c’était mon sang de dessinateur posé sur une surface mouillée ».
Le papier devient alors comme la moelle une substance spongieuse qui donne des formes et des couleurs plus ou moins précises et différents niveaux de gris au fur et à mesure des traitements qu’il subit. Ainsi, la réaction de l’encre fusant sur le papier est un peu imprévisible, comme sa maladie…



Pour évoquer « sa vie d’avant » , il utilise au contraire des crayonnés à la mine de plomb qui ont un rendu « estompés », comme si les souvenirs et les moments heureux étaient déjà lointains.

Ensuite, il met en scène une symbolique de la couleur. Il choisit le noir et blanc pour transcrire l’isolement physique et mental mais aussi pour ne pas distraire le lecteur afin que ce dernier reste concentré sur l’essentiel : son histoire. Il ajoute cependant une couleur, le rouge, pour dire son intériorité, signifier les changements et rappeler le sang avant de passer dans les dernières pages à des couleurs directes franches et douces pour incarner la vie retrouvée.

Un livre hommage
Comme l’indique la dédicace inaugurale, cet album est également un hommage. C’est tout d’abord un témoignage de gratitude à ses proches et en particulier à sa sœur Coco qu’il transfigure en super héroïne car selon lui « c’est le seul héros du bouquin, c’est la seule dotée de supers pouvoirs ».

C’est aussi un remerciement à son hématologue qu’il dépeint sous les traits d’une madone en Majesté ; puis, de façon plus réaliste, comme Manara dans Lockdown Heroes ou Miles Hyman dans la série de timbres réalisés au moment du confinement, Chauzy rend un vibrant hommage aux héros du quotidien que sont les infirmiers, les aides-soignants, et les médecins.
Enfin, il ne faudrait pas oublier non plus que pour l’auteur – également professeur en école d’art – Sang neuf est aussi « une dette rendue à la BD » et un « hommage à la capacité de la BD à pouvoir traiter de tout ».
Sang neuf est un album somme : on y retrouve utilisées avec maestria différentes techniques graphiques, mais aussi l’humour noir de l’auteur ainsi que le thriller genre dans lequel il excelle ; on perçoit enfin une dimension politique de récit social dans l’évocation de la déshérence de l’hôpital public et du quotidien des soignants et des malades. C’est également un ouvrage à vocation universelle : au-delà de l’anecdote – si l’on peut s’exprimer ainsi- Sang neuf invite, en effet, à une réflexion profonde sur la fragilité de l’existence, et la mort en rappelant à tout un chacun qu’une vie « banale » peut basculer en une fraction de seconde.

Cet ouvrage cru, sans concession, est à la fois désespéré et lumineux comme ses pages finales. Sorte de carpe diem mélancolique il est en même temps d’une haute maîtrise graphique. Essentiel et capital.




