Copenhague

Scénario : Anne-Caroline Pandolfo
Dessin : Terkel Risbjerg
Éditeur : Dargaud
296 pages
Prix : 23,00 €
Parution : 02 Février 2024
ISBN 9782505122159
Ce qu’en dit l’éditeur
Fatiguée par la vie à deux avec sa fille adolescente, Nana Miller s’envole, sur un coup de tête, pour un petit séjour de rêve à Copenhague, la ville des contes de fées. Son arrivée est bouleversée par une annonce presque irréelle : on a découvert, en plein centre-ville, un corps… Mais pas n’importe quel corps… Le corps d’une sirène !Le Danemark est en émoi, on décrète un deuil national. Les habitants s’enferment chez eux, les rues se vident, les aéroports sont hors service. Nana est bloquée loin de sa fille, pour une période indéterminée. Dans son hôtel presque désert, Nana fait la connaissance de Thyge Thygesen, grand farfelu terriblement attachant, qui va devenir son compagnon d’infortune.Détectives de pacotille, ils repèrent un type un peu louche qui traîne sur les lieux du drame. Ils se prennent au jeu, le pistent et se retrouvent embarqués dans une histoire trop grande pour eux. Thyge entraîne Nana au coeur de cette ville de contrastes, entre féérie et modernité.
Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg nous transportent dans une enquête troublante autour de ce meurtre bien mystérieux. Un récit poétique noir, porté par un humour décalé et un souffle romanesque, qui évoque parfois le cinéma de Wes Anderson par son côté doux-amer et excentrique.
Vous avez fait vos valises ? Prêts pour un petit voyage au pays de La Petite sirène et du Vilain petit canard? Dans Copenhague, un pavé frisant les 300 pages paru en ce début d’année aux éditions Dargaud, Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg nous entraînent aux côtés de Nana dans la belle capitale danoise. Mais à peine a-t-elle débarqué qu’un drame affreux secoue et paralyse le pays tout entier : on vient de découvrir le corps sans vie d’une sirène ! Et nous voilà partis dans une aventure trépidante complètement barrée tenant à la fois du polar déjanté et de la comédie romantique burlesque. Jubilatoire !
Pour un départ en fanfare, c’est un départ en fanfare au sens propre comme au figuré ! Bloquée dans le taxi qui la conduit à son hôtel, Nana Miller, Parisienne venue faire un break de quelques jours au pays des contes de fées assiste au défilé en fanfare de la Garde Royale qui tous les jours parcourt durant une demi-heure les rues de la ville du château de Rosenborg au palais d’Amalienborg où à midi pile elle assurera la relève. Quand soudain, alors que Nana tente par téléphone de s’expliquer avec Joyce sa fille de 14 ans qu’elle a laissé seule à Paris sans même la prévenir de son départ si ce n’est par un post-it sur le frigo…

le joyeux tintamarre va céder la place à un chaos indescriptible tandis que la radio diffuse une terrible nouvelle : une sirène a été retrouvée morte sur les quais.

Dans son hôtel déserté par les touristes et le personnel, elle fait la rencontre de Thyge, un personnage atypique, animateur de radio pour enfants, collectionneur de boules à neige, président du club de cactus, et heureux propriétaire de « Nom d’un chien » un caniche rose tout aussi farfelu que son maître.


Le pays tout entier en deuil s’est refermé sur lui-même : Frontières et aéroports sont fermés pour une durée indéterminée, nulle information ne fuite hors du Danemark et cela tant que l’énigme de la mort de la sirène n’est pas résolue, ce qui n’arrange pas les affaires de Nana, bloquée loin de sa fille.

Afin accélérer les choses, Nana et Thyge ayant repéré un type louche qui semble mêlé à l’affaire décident alors de mener leur propre enquête et vont pour cela sillonner la ville en triporteur accompagnés de Nom d’un chien et bientôt rejoints par les membres de l’inénarrable club des caniches …

Quand Nana rencontre Thyge …
… ce ne peut être qu’à la croisée des genres.
Bienvenue dans l’univers décalé plein d’humour, de fantaisie, de poésie et de tendresse d’Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risjberg dans lequel la rencontre d’une quadra impulsive un brin inconséquente – n’oublions pas qu’elle s’est offert cette parenthèse (enchantée?) sans même en parler à sa fille – et d’un hurluberlu débordant d’énergie au cœur gros comme ça va donner lieu sous couvert d’enquête à des situations cocasses et des péripéties plus incongrues les unes que les autres. De la craquante Mia aux membres hauts en couleur du club des caniches les personnages secondaires sont à l’avenant. Peu à peu sous le polar déjanté, va sentir poindre la comédie romantique …

Sans doute y a-t-il un peu d’Anne-Caroline et de Terkel dans cette rencontre d’une Française et d’un Danois ne maîtrisant pas tout à fait le français même si la leur a eu lieu à Paris et non à Copenhague.

« Les sous-entendus, ça fait que des malentendus. »

Et justement, l’une des grandes réussites de cet album est le très subtil travail effectué par Anne-Caroline Pandolfo sur la langue à commencer par le français approximatif de Thyge dont les tournures apportent une touche de poésie supplémentaire et, agissant un peu comme le délicieux accent de Jane Birkin, nous le rendent d’autant plus attachant.
Le récit aux dialogues truculents regorge de références littéraires et culturelles. Le discours de la reine n’en rappelle-t-il pas d’autres prononcés lors de la seconde guerre mondiale ?

La scénariste joue également sur les sonorités, les assonances et les allitérations, You tee rappelant Me too et Thyge Thygesen se prononçant Thüü Thüseun;
Si le caniche de Thyge s’appelle Nom d’un chien, les noms des autres individus de la gent canine ne sont pas en reste … Je vous laisse le soin de vous amuser comme moi à chercher la traduction… Parmi eux s’est même glissé le nom d’un musicien de rock danois.

Connaissant le goût de la scénariste pour les patronymes on peut aussi s’interroger sur Nana Miller. De qui tient-elle son nom ? Du romancier Arthur Miller? De la photographe et égérie du surréalisme Lee Miller ? Ou encore d’Ana Miller, un personnage de Tomb Raider ?
Dans le port de Copenhague …

Copenhague, une ville où tradition et modernité cohabitent est un personnage à part entière.

Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg, fins connaisseurs de la ville – et pour cause : Le dessinateur y est né et y a passé une partie de son enfance – vont nous épargner les clichés. Eh non on ne verra pas la célèbre statue d’Andersen qui fait face aux jardins de Tivoli ni même, sauf de nuit, le port de plaisance si typique avec ses façades colorées, encore que …

… petit clin d’œil de nos facétieux auteurs, on l’a quand même notre carte postale – Le port, Christianborg, La petite sirène, l’hôtel de ville, Stroget, une des rues piétonnes commerçantes les plus longues d’Europe après la rue Sainte-Catherine non pas de Nancy mais de Bordeaux – oui mais par le biais d’un reportage réalisé par le Français Gilles Leblansec (Un descendant d’Adèle?).
En revanche, non seulement les lieux jalonnent le parcours de nos deux apprentis détectives mais ils sont également partie prenante de l’histoire.
Lors d’une inénarrable course poursuite, nous allons pénétrer dans les jardins de Tivoli, un des plus anciens parcs d’attraction d’Europe au charme indéniable. Le temps d’un pique-nique,

Thyge nous transportera à une allure folle en haut de la Rundetårn, l’observatoire astronomique.


La découverte de la sirène nous mènera du 71 Nyhavn Hotel où résident Nana et Thyge au quartier Ofelia et son enterrement sera l’occasion de découvrir l’atypique cimetière Assistens où repose Andersen, ceci dans deux séquences muettes de toute beauté.
Les fans de séries nordiques (dont je suis) ne seront pas en reste puisque les besoins de l’enquête nous conduiront dans le fameux commissariat à l’architecture peu commune qu’ils ont pu découvrir dans Forbrydelsen (The Killing) ou Broen (The bridge). Oserais-je vous avouer qu’il y a tout juste dix ans je m’étais rendue à Copenhague pour voir … le pont, Borgen et le commissariat ?

« Être adulte, c’est tellement l’injustice »
Copenhague, c’est une déclaration d’amour à la capitale danoise mais c’est une ode à l’enfance aussi, à l’imaginaire et la poésie de l’enfance. Et s’il est un être qui est à la frontière entre le monde de l’enfance et le monde adulte et navigue de l’un à l’autre, c’est bien Thüge qui a conservé une part de son âme d’enfant dans la féerie des boules à neige qu’il collectionne.

Et c’est cette part d’enfance qui le rend si juste et si touchant quand il donne la parole aux enfants dans son émission de radio Les vraies génies ont la parole autrement dit « l’actualité vue par les seuls qui se posent les bonnes questions : les enfants ! » C’est d’ailleurs une réflexion d’enfant qui l’amènera à voir dans la reine du Danemark une passerelle temporelle, passerelle entre deux mondes notre monde bien réel et celui des contes de fée.

Autre remarque à méditer :

Seront également abordées les relations parents/enfants ou plus exactement mère/fille dans le cas de Nana et Joyce et celle d’un fils à sa mère à travers l’admiration que porte Thyge à sa mor dont il ne cesse de vanter les talents de cuisinière.

L’imaginaire ? Essentiel !
« L’idée de la sirène assassinée est née pendant le confinement, période où l’imaginaire était une échappatoire face à l’angoisse. Cette tragédie, bien que fictive, reflète les défis et les drames auxquels nous sommes confrontés dans la vie réelle, tels que le terrorisme, les problèmes climatiques et les conflits ».
Anne-Caroline Pandolfo
Sous la plage, les pavés … Cette farce déjantée cache en son sein les problématiques liées à notre société : intolérance, et fanatisme menant au terrorisme ; Lars, le principal suspect, en est la personnification même. Sa haine des enfants va l’amener à ourdir un attentat contre une école. Cela fait résonner en nous d’autres actes terroristes : la tuerie dans une école juive de Toulouse perpétrée par Mohammed Merah en 2012 ou encore ceux de la sombre année 2015 qui un mois après Charlie Hebdo endeuillèrent Copenhague lors de la conférence « Art, blasphème et liberté d’expression »
Paraphrasant Nietzsche – Dieu est mort. Dieu reste mort. Et c’est nous qui l’avons tué. – un personnage ayant lui trouvé refuge dans l’alcool, déclarera « Dieu est mort. L’art est mort. On a tué l’amour. » Imaginaire, art, amour ne sont-ils pas des éléments essentiels pour combler les pertes de valeurs de notre société à la dérive ?
Y’a du rythme dans l’air
Il est grand temps, avant de conclure, de s’arrêter un moment sur le narration graphique qui est en totale adéquation avec le ton du récit.
On reconnaît bien le style du dessinateur : son trait enjoué, dynamique et élégant ainsi que son découpage efficace qui impose son rythme au récit.
Avec une intrigue somme toute assez simple reposant sur le burlesque, il fallait tenir pour maintenir l’intérêt du lecteur sur 286 pages ! Pari réussi notamment grâce d’une part au sens du mouvement et au rythme imposé, d’autre part au soin apporté aux détails. Le rythme est inculqué par l’alternance. Alternance de scènes d’action trépidantes dans lesquelles une grande importance est également apportée à l’environnement sonore et de scènes contemplatives muettes telles les magnifiques séquences nocturnes ou celles relatives à la sirène. Alternance aussi de séquences très colorées aux couleurs des façades du port et de séquences très sombres. Alternance de scènes pleines de folie et de gaieté, de scènes à l’atmosphère plus sombre, plus inquiétante …

et de scènes poétiques ou oniriques à l’instar des nuits de Nana peuplées de rêves.

Quant aux détails … Une pléthore de clins d’œil humoristiques vont émailler le récit : Une cigogne semblant s’envoler de la fontaine aux cigognes de la place d’Amager …

le vilain petit canard traversant devant la fanfare,

le portrait de Flix de Tomi Ungerer côtoyant La naissance de Vénus revisitée au Club des caniches …

Quand la narration graphique porte à ce point le récit, je me dis qu’il serait vraiment dommage de passer à côté de cette comédie loufoque pleine de fantaisie, de poésie et de sensibilité, véritable ode à l’imaginaire, à l’enfance et à Copenhague bien sûr ! Un beau moment de gaîté et de douceur dans un monde de brutes !

POUR ALLER PLUS LOIN

Les autres albums du duo Pandolfo/Risbjerg
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