Mafalda, mon héroïne

De (autrice) : Florence Cestac, Aude Picault, Maëlle Reat, Florence Dupré la Tour, Anne Simon, Émilie Gleason, Pénélope Bagieu
Texte de : Marie Bardiaux-Vaïente, Véro Cazot, Agathe Lastic
Dessin de : Soledad Bravi, Gally, Maud Begon
Éditeur : Glénat
96 pages
Prix : 17,50 €
Parution : 28 aout 2024
ISBN 9782344064580
Ce qu’en dit l’éditeur
60 ans ça se fête : quand un collectif d’autrices rend hommage à une figure incontournable de la bande dessinée !
Depuis soixante ans, Mafalda décrypte le monde de ses yeux d’enfant ! Avec candeur, elle n’a cessé de révéler les injustices et souligner les paradoxes de nos Sociétés. Rebelle, fine observatrice et un brin idéaliste, cette figure contestataire et féministe a marqué des générations de lecteurs et continue de nous inspirer. Pour célébrer l’anniversaire de notre jeune héroïne qui n’a pas pris une ride, un collectif d’autrices talentueuses lui rend un vibrant hommage à travers un album inédit et exceptionnel. Et si Mafalda était catapultée à notre époque, que dirait-elle de l’état de la planète et de ses dysfonctionnements, des tâches ménagères, de l’égalité hommes-femmes, de la pauvreté, de la condition animale ou encore de nos politiques ? Une dizaine d’autrices, au style graphique résolument personnel, s’est emparée du personnage en toute liberté pour le croquer chacune à leur manière, à travers des histoires longues ou des gags. Toutes nous dépeignent une Mafalda délibérément moderne qui continue de s’interroger avec humour sur la nature humaine et les grandes problématiques de notre Société. Si Quino a su comprendre la force d’un personnage principal féminin et l’a muée en symbole d’un esprit anticonformiste, ce collectif nous offre une compilation d’histoires audacieuses et rafraîchissantes pour redécouvrir une personnalité dont l’influence a dépassé son créateur. À lire sans modération !Autrices de ce collectif : Pénélope Bagieu, Florence Cestac, Florence Dupré la Tour, Aude Picault, Véro Cazot, Anne Simon, Maud Begon, Soledad, Agathe de Lastic, Maëlle Reat, Marie Bardiaux-Vaïente, Miss Gally, Émilie Gleason…
La Mafalda de Quino vient tout juste de souffler ses 60 bougies ! Et pour fêter dignement cet anniversaire, Glénat propose une nouvelle intégrale qui sortira en novembre et un recueil hommage concocté par treize autrices : « Mafalda, mon héroïne ». Comment et pourquoi Mafalda paraît donc toujours si actuelle ? Et ce recueil est-il un simple « coup » marketing ?
UNE ICONE SEXAGÉNAIRE
Il était une fois …. Une héroïne qui faillit ne jamais voir le jour ! Ce personnage iconique était en effet initialement destiné à soutenir une campagne de publicité pour le lancement d’une marque d’électroménager : Mansfield. Pour cette commande, le client exige auprès de Quino que le personnage porte un prénom en « M » et il souhaite que le dessinateur imite le style des « Peanuts », les héros de Schultz étant déjà très populaires.
Les Peanuts

Ainsi naît Mafalda, petite fille de 6 ans, au nez rond comme Charlie et ses copains, aux yeux « en points », avec ses socquettes, sa robe rouge et son nœud assorti dans ses épais cheveux corbeau coupés au carré.
La campagne est finalement abandonnée mais un an plus tard, Quino ressort Mafalda de ses tiroirs et celle-ci fait officiellement ses débuts dans l’hebdomadaire « Primer Plana » (Le « Nouvel Observateur » argentin). C’est le premier personnage récurrent depuis qu’il est devenu bédéaste. Elle occupe la dernière page du magazine jusqu’en mars 1965 et le succès est tel que bientôt elle a sa parution quotidienne dans le prestigieux « El Mundo ». Quino ajoute de nouveaux protagonistes à sa série.
Les personnages de Mafalda

Il y a des compilations en albums réalisées pour les fêtes… Umberto Eco lui-même fan de la première heure s’occupe de la traduction italienne dès 1968, l’Espagne succombe à la « mafaldamania » en 1970 (mais les albums sont réservés aux adultes et interdits aux enfants !) puis c’est au tour de la France, de l’Allemagne, des pays nordiques et même des Anglo-Saxons quand les dessins animés arrivent en 1972.

L’exercice du strip quotidien s’avère cependant harassant pour son « papa » qui manque y laisser son mariage et sa santé et ne veut pas se répéter. Quino arrête donc les histoires de Mafalda définitivement en 1973. Pourtant l’intérêt pour la fillette, ses saillies et sa révolte contre le monde des adultes n’a jamais faibli et compilations et nouvelle éditions florissent.
MAFALDA, REVIENS !
Peut-être est-ce dû comme le supposait Quino lui-même en 2014 « au fait qu’une grande partie des questions qu’elle se pose sont encore sans réponse ». Il confessait d’ailleurs qu’il était lui-même parfois surpris « de voir comment « certains strips qu’[il avait] dessinés il y a plus de quarante ans s’appliquent à des questions d’aujourd’hui ».
Extrait de l’histoire de Maëlle Reat

Peut-être est-ce aussi parce que Mafalda nous interroge tous et toutes : les « Peanuts » et Charlie Brown vivent entre eux dans un monde infantile en marge du temps ; Mafalda elle se confronte au monde des adultes dont elle soulève les paradoxes et contradictions. Elle évolue aussi dans un pays qui présente de nombreux contrastes sociaux et cela apparaît dans les albums quand elle interpelle ses parents sur les problèmes socio-économiques, les inégalités, la corruption, la guerre, l’injustice, l’environnement ou la place de la femme. Cette figure de l’indignation dont le prénom signifie fort symboliquement « puissance » et « combat » permet également par sa candeur de braver la censure du gouvernement militaire qui règne à l’époque comme le soulignera en son temps la présidente Cristina Kirchner : Mafalda « dit des choses qu’il n’était pas possible de dire à une époque où la parole était muselée, elle interpelait la société ». Son auteur dut même s’exiler à Milan pendant la dictature militaire qui a ensanglanté l’Argentine (1976-1983).
Photogramme extrait du documentaire de Lucia Sanchez

C’est cette popularité ainsi que cette acuité et cette actualité « classiques » que souligne la documentariste Lucia Sanchez dans sa préface au recueil collectif. Celle qui a réalisé en 2023 le film « Mafalda, reviens ! » qui multiplie les parallèles entre le monde de Mafalda des années 1960 et notre monde du XXIe siècle déclare ainsi dans son introduction : « Mafalda chérie, tu as traversé le temps et les frontières. Si tu nous plais encore tant, c’est que tu nous ramènes à notre capacité première à ne pas comprendre le monde, à l’interroger, à le contester. Comme les enfants, nous n’avons pas toujours envie d’avaler la soupe qu’on nous sert chaque jour. »
CULOTTÉES !
Ainsi cette héroïne, premier personnage de bd à avoir reçu la légion d’honneur en 2014, rejoint le panthéon des femmes inspirantes. Alors, même si on regrettera que Pénélope Bagieu ait réduit sa participation à la simple couverture du recueil, on ne pourra qu’admettre que sa présence était bienvenue puisqu’ainsi la fillette de Quino est adoubée « Culottée ».

L’histoire inaugurale est de Florence Dupré-Latour ; là aussi cela fait sens. Parce qu’elle est née à Buenos Aires peut-être ? Mais surtout parce qu’elle déplorait dans son autobio-graphique « Pucelle », combien dans la bande dessinée et la littérature les représentations féminines sont stéréotypées : Falbala, Bonnemine, La Castafiore, Chihuaha Pearl ou encore Constance Bonacieux sont des « êtres fades, rares et secondaires à peine esquissés, relégués dans le silence, le décor ou des positions subalternes » (tome 1 p.100). Ici elle déclare au contraire « Mafalda, c’est moi ! ». Elle se met doublement en scène : enfant avec son amie imaginaire Mafalda qui lui sert de modèle émancipateur mais aussi dans son quotidien d’autrice et de femme adulte où Mafalda par les questionnements qu’elle engendre permet de faire un bilan sur notre monde actuel.
Florence et Mafalda durant l’enfance et à l’âge adulte


Elle souligne ainsi avec cette double confrontation à son héroïne comment la BD « Mafalda » est « tout public » ce que rappelle également la scénariste Marie Bardiaux-Vaïente qui a aussi collaboré à l’ouvrage dans une interview : « On peut le lire à tous les âges et on y trouve toutes les leçons à en tirer. Quand je la lisais petite, je comprenais certaines choses, et en la relisant encore et encore, j’ai soulevé toutes les couches du millefeuille».
L’ouvrage se poursuit avec une nouvelle histoire en dix pages de Maëlle Réat, jeune autrice qui monte. Elle aussi met en scène sa rencontre imaginaire avec Mafalda qui y trouve d’ailleurs une nouvelle cause d’indignation : le statut précaire des auteurs de BD ! La dessinatrice reprend avec bonheur des codes et objets des strips originaux : quand la Mafalda des années 70 piquait les crèmes de beauté de son amie Susanita pour embellir le monde en en étalant sur son globe, dans la version moderne la fillette tente de faire avaler à ce dernier un des anxiolytiques de Maëlle pour qu’il aille mieux. La dessinatrice utilise aussi à plusieurs reprises le strip en trois six ou neuf cases auquel elle donne un titre « Époque », « erreur système » … et surtout une punchline finale, format qu’adopte également Anne Simon.


Les huit chapitres reprennent la galerie de personnages crées par Quino : le père employé de bureau, la mère au foyer, Guille le petit frère, Manolito le chantre du capitalisme, Susanita qui rêve déjà de devenir maman, Felipe le doux rêveur, Miguelito l’anarchiste critique ou la petite Libertad la fervente gauchiste.
Les personnages originels

Gally et Marie Bardiaux-Vaïente sont celles qui mettent en scène la quasi-totalité de ces derniers ; elles y ajoutent même un nouveau protagoniste : Solveig un jeune scandinave pour débattre des pratiques éducatives.

Ces deux autrices poussent le souci du détail jusqu’à penser à placer la 2CV familiale dans le décor ! Mais toutes, de façon « culottée », vont donner leur version et leur variation de Mafalda.
Si les histoires d’Anne Simon, Gally & Vaiente se déroulent dans une temporalité indéterminée, la majorité des participantes a choisi de « déplacer » les histoires de Mafalda à l’époque actuelle ce qui est savoureux parfois. On s’amuse de découvrir ainsi que Susanita est devenue influenceuse tandis que Manolito est épicier bio chez Véro Cazot & Maud Begon par exemple.

Ce qui est intéressant également c’est que seule Aude Picault s’astreint à reprendre le noir et blanc d’origine et à faire « du Quino » dans sa représentation des personnages avec les mêmes gimmicks quand Mafalda doit par exemple avaler la soupe qu’elle abhorre.

Mais elle s’autorise pourtant une entorse et non des moindres en décidant de faire « grandir » Mafalda et de la représenter en jeune femme. Cette attitude non pas irrévérencieuse mais émancipée du modèle qu’adoptent toutes les autrices est plaisante et dans l’esprit de Quino qui n’aurait pas aimé qu’on le statufie.
Chacune des dessinatrices croque l’héroïne avec son style graphique personnel : minimaliste pour Soledad, très chargé et aux feutres et crayons de couleur pour Emilie Gleason, en camaïeux arc en ciel pour Anne Simon, monochrome pour Gally etc…Cette variété fait partie du plaisir et de la surprise de lecture !
Variations de Soledad Bravi et Émilie Gleason


Donc mis à part peut-être la convocation du nom « vendeur » de Florence Cestac qui fournit seulement deux illustrations placées en fin d’ouvrage n’apportant guère au propos, on ne peut pas dire que l’hommage des autrices soit un « coup » de marketing. L’album permet de broder sur un thème et présente des histoires qui comme dans tout recueil collectif ont plus ou moins d’intérêt selon l’implication mise en œuvre par les personnes sollicitées et la sensibilité du lecteur. Les notices biographiques consacrées à chacune des participantes en introduction des différents chapitres permettent en outre de dresser le début d’un panorama de la BD française au féminin (on attend la somme !)
On aura deux regrets cependant. Tout d’abord que l’autrice Sole Otero, angoumoisine d’adoption mais d’origine argentine révélée au public par « Naphtaline », n’ait pas donné sa version de la fillette alors qu’elle parle très bien du style« amargado », de Quino c’est-à-dire « doux et amer à la fois ». Elle ajoute : « il y a une sorte de malaise, un manque d’espoir, une plainte. Et en même temps, ses personnages sont des enfants, chez qui il y a encore une volonté de changer les choses ». Or, on ne trouve pas toujours ces nuances dans les histoires retenues…qui plaquent parfois des discours et intentions louables certes mais éloignés du style originel.
Il est ensuite dommage aussi qu’on ait exclusivement donné la plume et le crayon à des autrices. Certes Mafalda est « féministe » (une compilation parue chez Glénat a naguère choisi de mettre cet aspect de la BD en avant) mais pas « radicale ». C’est un homme qui l’a créée et des propositions d’auteurs qui n’auraient pas pour autant fait preuve de «male gazing » auraient été bienvenues … Alors, à quand un tome 2 ?

POUR ALLER PLUS LOIN
La compilation Mafalda féminin singulier (2022)


Mafalda. Anniversaire 60 ans (intégrale)
Sortie le 13 novembre.


Quino, papa désabusé de Mafalda, une gamine de 50 ans (lemonde.fr) dont sont extraites les citations de Quino présentes dans cette chronique.

Mafalda, inlassable voix de l’indignation | France Culture (radiofrance.fr) (dont la citation de Sole Otero présente dans cette chronique).

Pénélope Bagieu sur Quino : BD Mafalda est orpheline

Mafalda reviens ! documentaire de Lucia Sanchez

Il y a 60 ans naissait à Buenos Aires, sous la plume géniale de son auteur Quino, une petite fille rebelle qui se souciait des choses de la vie. Mafalda s’intéressait au monde et posait des questions. Mafalda, reviens ! raconte l’histoire de cette héroïne, symbole d’un esprit contestataire et anticonformiste célèbre dans le monde entier. À l’aide d’archives, d’images animées et de prises de vues réelles, la petite Mafalda devient une insolite porte d’entrée pour regarder le monde d’aujourd’hui.
Ce film pose ainsi la question de ce que pourrait penser et faire Mafalda aujourd’hui avec des interrogations sur le féminisme, la guerre, l’écologie, la société

