LE RAYON INVISIBLE


Le rayon invisible

Le rayon invisible
Scénario : Damien MacDonald
Dessin : Damien MacDonald
Éditeur : Denoël Graphic
124 pages
Prix : 25,00 €
Parution : 28 août 2024
ISBN 9782207181812

Ce qu’en dit l’éditeur

Créé à l’occasion de l’exposition du Centre Pompidou « Surréalisme » célébrant le centième anniversaire de la parution du premier du surréalisme d’André Breton (1924), ce joyeux traité graphique n’aborde pas le mouvement littéraire et intellectuel le plus important du XXᵉ siècle sous l’angle strictement muséal. Il le considère plutôt comme l’outil absolument moderne d’une prochaine révolution des consciences et des inconscients, indispensable face aux défis aggravés du XXIᵉ siècle. Une ode rieuse et panthéiste au tsunami poétique et au triomphe de l’esprit, antidote radical à l’étroitesse vénéneuse de l’époque. « Le surréalisme est le “rayon invisible” qui nous permettra un jour de l’emporter sur nos adversaires. » André Breton

Après avoir publié en collaboration avec le Centre Pompidou le catalogue d’exposition « True Love » lors de la rétrospective Posy Simmonds à la BPI, Denoël Graphic présente cette fois « Le rayon invisible » de Damien MacDonald. Cet album paraît alors qu’on commémore au Musée d’Art Moderne le centième anniversaire du Manifeste du surréalisme dans une grande exposition. L’un des commissaires, Didier Ottinger, en signe d’ailleurs la préface.

UN DOCUMENTAIRE ?

On pourrait donc s’attendre à un « docu BD » puisque Damien MacDonald raconte dans sa postface qu’il a toujours été fasciné par Nadja de Breton découvert à l’adolescence et qu’il s’est plongé depuis longtemps dans le corpus surréaliste. Il a aussi déjà fait œuvre de vulgarisation avec les expos qu’il a codirigées au Musée de Monaco et son essai publié chez Flammarion sur le 9e art : « Anatomie d’un art » dans lequel il disséquait des planches d’albums célèbres.

Les pages de garde de l’ouvrage pourraient nous conforter dans cette hypothèse : véritables « Who’s who » du surréalisme, elles nous présentent en effet sur deux fois trois pages un trombinoscope exhaustif des artistes du mouvement.

La première partie en fait de même puisque, prenant prétexte d’une rencontre dans un bistro parisien entre une jeune documentariste au prénom alchimique, Flamelle, et un producteur un peu beauf, M Saillant, auquel elle présente son projet de série consacrée au mouvement, l’auteur nous en rappelle les principales caractéristiques. Flamelle évoque ainsi dans son exposé la modernité d’un mouvement aux positions féministes, anticolonialistes et socialistes et les préjugés qu’il subit tout comme son chef de file André Breton qu’elle révère.

DU PITCH AU PASTICHE

Cette première partie intitulée « Au bal des ardents « est d’ailleurs plutôt réussie. Elle pose les enjeux tout en évitant les écueils du « talking heads » puisqu’entre deux gros plans sur les protagonistes surgissent des images-collages, des associations aléatoires qui ne dépareraient pas dans un catalogue (ir)raisonné surréaliste. Dans Le Manifeste en effet, Breton définit le surréalisme comme un « automatisme psychique pur » permettant d’exprimer la réalité de ses pensées, sans censure, que ce soit par l’écriture, le dessin, ou de toute autre manière. L’écriture automatique permet cette libération.

MacDonald trouve un équivalent graphique de ces visions hallucinatoires dans ces cases « intempestives ». Les objets associés de manière décalée et parfois détournés dans un calembour visuel de leur fonction première y jouent un rôle central comme dans les toiles de Dali ou Magritte. On retrouve dans ces vignettes de la BD la même scénographie que dans les toiles surréalistes : des décors épurés qui semblent faits de carton-pâte, une lumière artificielle et un style hyperréaliste contrebalancé par des couleurs et des formes trop marquées qui accentuent l’impression étrange d’un mélange de vrai et de faux. Damien MacDonald appréhendait l’utilisation de la couleur puisque ses œuvres précédentes étaient en noir et blanc mais il réussit la transition en forçant les contrastes ce que ne renieraient pas les maîtres du mouvement. D’ailleurs au fil de l’album on retrouve des citations d’éléments de leurs toiles telles celles de De Chirico ou Magritte.

À la manière du Surréalisme, MacDonald pratique l’intertextualité en convoquant et détournant aussi de grandes œuvres du passé comme par exemple le romantique « Voyageur contemplant une mer de nuages » de Friederich, les symbolistes « L’Ile des morts » de Böcklin et « Des Caresses » de Khnopff ou la couverture du populaire roman-feuilleton de la Belle Époque « Fantômas » d’Allain et Souvestre dans un syncrétisme artistique.

Le titre même de l’album enfin est emprunté au surréalisme puisque Breton écrivait à la fin du Manifeste : « Le Surréalisme est le Rayon Invisible qui nous permettra un jour de l’emporter sur nos adversaires ».

MacDonald décrète dans une interview qu’il « sème des cailloux blancs » « qui ne parasitent pas la narration principale » mais sont destinés à « ceux qui veulent aller plus loin ». Force est de constater cependant, que parfois cette narration est parasitée. Ainsi, dans cette double page on trouve des citations de « La Révolution surréaliste » (pas toujours correctement attribuées par ailleurs : celle d’Artaud est en fait d’Aragon) ou du « Cornet acoustique » de Léonora Carrington mais aussi ainsi des allusions à Roger Daumal et à son groupe rémois avec le vocatif « phrères » et enfin un rappel des collages de Max Ernst avec l’introduction du personnage d’oiseau humanoïde Loplop. Ce millefeuille de citations devient alors indigeste.

EXERCICE DE STYLE(S)

De plus, Damien MacDonald décide de prendre au pied de la lettre dans la 2e partie de son ouvrage la phrase énigmatique qui donne son origine au titre : et si les Surréalistes avaient réellement construit un « rayon invisible », un pistolet laser qui permette de convoquer l’esprit révolutionnaire, que se passerait-il ?

Il reprend par ce biais la volonté surréaliste de se libérer de la vie matérielle et réelle par l’entremise du rêve et décide de faire fonctionner son album selon le principe des « Vases communicants ». À la première partie diurne s’oppose alors une suite nocturne, à la veille le sommeil (ou la transe), et au conscient, l’inconscient. Il multiplie alors les pages muettes et les pleines pages. Pourtant, si le côté didactique finissait par devenir indigeste, le côté onirique l’est encore plus.

La mise en scène du rêve n’est pas aisée. Si De Chirico dans ses peintures, Dali dans ses toiles ou dans les séquences de « La maison du docteur Edwards » d’Hitchcock y parviennent magistralement, ici, le résultat est inégal. L’onirisme s’essouffle et devient fastidieux parce qu’il court sur trop de pages. Finalement l’album se mue en pochade malgré lui et l’étalage érudit des « petits cailloux blancs » donne au lecteur la désagréable impression d’être un abruti quand il ne retrouve pas la référence évoquée tandis que la narration flottante finit par le plonger dans un abîme de perplexité et l’incite à se demander où veut vraiment en venir l’auteur.

D’aucuns argueront que c’est à ce même genre de réactions « réactionnaires » que se heurtèrent Buñuel et Dali lors de la sortie d’« Un Chien andalou ». Or, en même temps que « Le rayon invisible », paraît le deuxième tome de la série « Dali » de Julie Birmant et Clément Oubrerie. Cette bio-graphique y met en scène également les acteurs majeurs du Surréalisme tout en pratiquant l’intertextualité (la couverture du 1er tome convoquait elle aussi celle de Fantomas) et les clins d’œil à la culture de l’entre-deux guerres. Elle s’appuie sur les tableaux de l’artiste ainsi que sur ses écrits théoriques et autobiographiques. L’ensemble loin d’être didactique est surprenant et pétillant d’intelligence et de culture. Sa forme est certes plus classique mais moins vaine dans tous les sens du terme et plus à même, à mon sens, d’apporter un réel éclairage sur la période et le mouvement Surréaliste.

POUR ALLER PLUS LOIN

« Surréalisme« , l’exposition hommage au mouvement est visible au Centre Pompidou du 4 septembre 2024 au 13 janvier 2025. L’album est publié à cette occasion en partenariat avec le Musée.


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