Dali T1 & T2

Avant Gala
Scénario : Julie Birmant
Dessin : Clément Oubrerie
Éditeur : Dargaud
88 pages
Prix : 20,50 €
Parution : 8 septembre 2023
ISBN 9782205202762
Ce qu’en dit l’éditeur
Nous sommes en 1930 dans l’atelier de Picasso de la rue de la Boétie. Arrive Éluard, radieux. Dali dîne enfin avec sa femme, Gala. « Éluard n’est pas jaloux ? ? Non. », répond le poète. Picasso est sidéré et met en garde son ami : pour lui, Salvador Dali, du haut de ses 25 ans, est un drôle de coco, vieux et jeune à la fois, un peintre au talent sidérant, à l’intelligence vrombissante, prêt à tout… Et Picasso de croquer Dali en chat Mephisto, un chat qui prend vie, se frotte aux jambes d’une Gala qui se baisse et le caresse, et le chat aussitôt de l’emmener avec lui dans son passé, sa jeunesse, et pour commencer à Figueras, ville de Catalogne.


Gala
Scénario : Julie Birmant
Dessin : Clément Oubrerie
Éditeur : Dargaud
88 pages
Prix : 20,50 €
Parution : 30 Aout 2024
ISBN 9782205206210
Ce qu’en dit l’éditeur
Paris. 1929. Salvador Dali s’enfuit avant la projection du « Chien Andalou » qu’il a co-écrit avec son ami Buñuel. Ignorant tout du succès retentissant du film, il quitte Paris, en quête de gloire et de femmes, et embarque ses angoisses avec lui pour retrouver sa catalogne natale. Cet été-là, à Cadaquès, il fait la rencontre de Gala Eluard dont l’obsédante existence va changer sa vie.
Après avoir raconté la jeunesse de Picasso dans le Montmartre des années 1900 et 1910 dans l’excellente série Pablo, Julie Birmant souhaitait travailler sur les surréalistes, afin d’évoquer « l’immense libération qu’a apportée ce mouvement ». Elle cherchait donc un moyen de raconter « cette histoire qui [la]fascine ». C’est à ce moment-là que « la figure de Dalí s’est imposée parce qu’il a mangé le surréalisme !». Dali est mort depuis plus de trente ans et pourtant tout le monde sait qui il est ce qui n’est plus le cas d’André Breton ou même d’Aragon. La scénariste a donc voulu, avec son complice de toujours, le dessinateur Clément Oubrerie, traiter des liens entre le peintre et ce mouvement pour l’évoquer de biais. Elle y explique aussi comment Dalí est devenu « immortel » dans une trilogie dont les deux premiers tomes « Avant Gala » et « Gala » sont parus chez Dargaud.
GALA : UNE FIGURE CENTRALE
Oui tout le monde connaît Dali mais un Dali « produit » avec une identité visuelle -moustache effilée, yeux écarquillés-et un accent à couper au couteau qui vend des tableaux et du chocolat ! Dans « Dali », Birmant et Oubrerie vont au-delà du « personnage » et du masque et reviennent sur l’élaboration progressive du mythe.
Comme l’indiquent les sous-titres des deux tomes déjà parus, une rencontre va être capitale pour la « création » de ce Dali « public » : ce démiurge, ce sera Gala. Le tome 2 est consacré dans sa quasi-totalité à la rencontre de Dali et Gala à Figueras à l’été 1929 et à leurs retrouvailles en novembre 1929. Il s’achève là où commençait le premier tome. Gala même quand elle est absente est omniprésente : dans les pressentiments du jeune Dali qui voit depuis l’enfance en rêve son inconnue, sa « Galouchka », ou dans les propos des personnages principaux. Ainsi, les pages d’ouverture du tome 1 sont dans la continuité temporelle du dernier tiers du tome 2 puisqu’elle se déroulent en novembre 1929 juste avant que Dali, puceau de 25 ans, soit enfin « initié » par celle qui sera sa muse et sa compagne pendant 50 ans.

UNE NARRATION DOUBLE
Cet incipit constitue en outre un malicieux clin d’œil et fait de cette nouvelle série un « crossover » de Pablo puisqu’on y découvre un Paul Eluard dans l’atelier de son ami Picasso racontant comment sa femme Gala est tombée sous le charme du jeune Dali. Pablo qualifie alors ce dernier de « bellâtre maléfique » et dessine un chat noir qu’il baptise « Méphisto » pour le représenter et faire comprendre au poète que laisser sa femme dans ses griffes n’est pas une bonne idée …

Si Fernande Olivier était la narratrice de « Pablo », le chat Méphisto aux longues moustaches effilées va devenir celui de « Dali ». Dans l’ouverture du premier tome, il sert de guide à Gala pour l’emmener à la découverte de l’enfance et des années d’apprentissage de l’artiste dans un long flash-back.

FLASHBACK : UN ROMAN DE FORMATION
Les auteurs retracent le parcours de leur héros et font de leur bd un roman (graphique) de formation. À 16 ans, Dali écrivait :
« Je serai un génie, le monde m’admirera. Je serai un génie parce que j’en suis certain« .
À 17 ans ce jeune homme timide et fantasque quitte sa Catalogne natale pour Madrid où il va étudier l’art. Il y acquiert un solide background artistique, moins dans son académie d’art de San Fernando où il s’étiole, que dans les Musées. Il connaissait les chefs d’œuvre du Prado sur le bout du pinceau ainsi que l’illustre Oubrerie dans une magnifique séquence onirique où on le voit littéralement franchir les cadres des tableaux pour s’y promener et discuter peinture avec Velázquez.

Mais on comprend surtout que comme Pablo se construisit au gré de ses rencontres (qui donnaient d’ailleurs leurs titres aux volumes de la tétralogie : « Max Jacob », « Apollinaire » et « Matisse » avant l’ultime tome intitulé « Picasso » dans lequel il se faisait un nom), Dali, vingt ans plus tard, ne serait pas devenu Dali s’il n’avait pas rencontré ses grands amis : Luis Buñuel et Federico Garcia Lorca à la résidence des étudiants lors de ses années madrilènes. Ces copains vont permettre à ce grand introverti de sortir de sa gangue.
DANS LA TÊTE DE SALVADOR DALI
Pour ce faire la scénariste s’est appuyée sur l’autobiographie de Buñuel, « Mon dernier soupir », mais surtout sur les écrits de Salvador Dali. C’est la première fois, déclare Julie Birmant, qu’elle a pu à ce point rentrer dans la psychologie d’un homme. Elle s’est servie principalement de La vie secrète de Salvador Dali, les Mémoires qu’il a publiées à peine âgé de trente ans, et des souvenirs qu’il rédigea à l’aube de la vieillesse : Journal d’un génie.
Dans ces œuvres autobiographiques, on « voit absolument comment son esprit fonctionne », il y fait preuve de beaucoup d’autodérision, d’une « franchise extraordinaire », et y apparaît « impitoyable avec lui-même : il ne se voile pas la face et laisse s’exprimer sa part d’ombre ».
C’est ici que le chat Méphisto prend toute sa signification : double irrévérencieux du protagoniste, il donne le ton d’autodérision qu’emploiera plus tard Dali dans « La Vie secrète » et évite ainsi toute tentation hagiographique ou ronron didactique !

Mais en sus des interventions dissonantes de Méphisto, de nombreuses pages sont construites sur des ressorts comiques et des gags. Comme le déclare Oubrerie,
« Dalí est un personnage fantastique à mettre en cases. C’est une sorte de croisement entre Buster Keaton et Don Quichotte. Ses moulins sont des mantes religieuses ou des aisselles poilues ».
Cet aspect burlesque se traduit graphiquement par un aspect dégingandé du personnage dont les yeux écarquillés rappellent les héros du muet, par un comique de situation et des acrobaties (Dali se retrouve accroché non pas à une horloge mais … à des melons !) ou par des angles de prise de vue et des changement d’échelle qui donnent un aspect un peu caricatural au dessin.

Le comique est bien sûr renforcé scénaristiquement par le choix des anecdotes les plus improbables puisées dans ses écrits. Ainsi la mémorable scène d’ouverture du tome 2 dans laquelle l’artiste éperdu se bat contre des blattes à coup de rasoir, ou encore le côté punk du personnage qui pour faire bonne impression auprès de Gala se crée un look destroy et élabore surtout un parfum « fleur de biquette » sont des faits réels !
Birmant et Oubrerie nous offrent donc loin d’une biographie guindée et pontifiante un récit bondissant. Ils savent toujours choisir les moments cocasses et pertinents qui montrent le terreau obsessionnel sur lequel va s’épanouir l’art de Dali.
UN TRAVAIL SUR L’INTERTEXTUALITÉ
Oubrerie se livre à un remarquable travail intertextuel. Il cite et reproduit des toiles « clés » du corpus dalinien de façon documentaire quand il peint le portrait de Paul Éluard par exemple ou lors de ses expositions.


Mais il utilise les œuvres du peintre andalou de façon plus métaphorique également. Ainsi au centre de la couverture du tome 2, se trouve la tête de Dali transformée en rocher : cela rappelle à la fois le rocher de Creus présent dans de nombreuses toiles (y compris sous la forme du visage de Dali dans « Le Grand Masturbateur ») et sa volonté de pratiquer l’illusion graphique mais fait peut-être également référence au mythe de la Méduse : Gala, telle la Gorgone pétrifie le jeune Salvador.

Ailleurs, les éléments du « Rêve causé par le vol d’une abeille » (qui sera peint bien après) sont utilisés pour matérialiser la passion de Gala et Dali au moment de leur premier baiser, ou encore les décors sont élaborés à l’aide d’éléments issus des toiles du peintre.
RÉFÉRENCES : DES TOILES AUX CASES








UNE RÉFLEXION MÉTALINGUISTIQUE OU LA MÉTHODE PARANOÏA-CRITIQUE DALINIENNE
Oubrerie et Birmant se servent aussi des écrits théoriques de Dali et appliquent sa méthode de la paranoïa critique.
Kezaco ? Eh bien nous en avons un exemple remarquable dans une séquence centrale du tome 2 où sur plusieurs pages, Dali se livre à une exégèse pour le moins surprenante du tableau « l’Angélus » de Millet. Là encore on pourrait croire que les auteurs veulent seulement souligner ses outrances (et aussi celles du mouvement surréaliste car tous sont conquis par l’interprétation proposée sans recul critique) mais au-delà de la scène savoureuse, encore une fois on retrouve une documentation béton ! En effet, Dali développa effectivement une théorie dans « Le Mythe Tragique de l’Angélus de Millet », écrit en 1938 et publié en 1963 dans laquelle il livre son interprétation du tableau en puisant dans ses souvenirs à l’aune de la psychanalyse, dans ses sensations, dans l’histoire de l’art et des artistes, dans le recueil de productions populaires (cartes postales) pour percer le mystère du malaise que la représentation du tableau, d’apparence banale, produit sur lui dans la démarche interprétative qui nous est donnée à voir dans la séquence citée.
Au-delà de l’anecdote, ils nous fournissent donc un mode d’emploi de leur album: eux aussi , comme Dali à l’égard de Millet se muent en enquêteurs.
ENQUÊTES DE TOILES
Pour rechercher ses obsessions, ils ont ainsi beaucoup regardé ses tableaux, qu’ils ont « pris comme des pièces à conviction, avec une question : qu’apprend-on de lui en les regardant ? » Les sauterelles et les mantes religieuses par exemple sont un thème essentiel de l’œuvre de Dalí, visibles ou cachées dans bien des toiles telles « Le Grand Masturbateur » et liées à la terreur sexuelle.

Mais Oubrerie se livre aussi à un travail de collage et d’évocations surréalistes pour donner à voir la psyché et l’art de l’artiste dans des concrétions-créations nouvelles de toute beauté. Dans une demi-page, au tome 2 on voit l’assemblage hétéroclite du « Jeu lugubre » se refléter en gros plan dans l’œil de Dali (référence par ailleurs au plan d’ouverture du « Chien andalou »). Dali y déclare à Bunuel « je peins mes visions ». Oubrerie quant à lui dessine lui ses visions des visions de l’artiste dans une réflexion (reflet) métalinguistique et c’est du grand art !
Dans une des pages finales du tome 2, Breton et Aragon déambulent de façon allégorique dans les œuvres du peintre. Ils font l’amer constat de leur impuissance à « plonger le lecteur de plain-pied dans [leur] délire » et célèbrent la faculté qu’a Dali de réaliser cela dans ses tableaux. Ce « don » peut aussi s’appliquer au duo Birmant-Oubrerie … au carré car ils nous offrent une biographie délirante (mais structurée !) d’un peintre halluciné !

Alors qu’on vient de célébrer le 100e anniversaire de la publication du Manifeste du Surréalisme d’André Breton, la scénariste (récemment couronnée du prix Goscinny) et le dessinateur font revivre dans des scènes drôles, poétiques et truffées de références à la fois le mouvement surréaliste et l’artiste excentrique. Vivement la parution du 3e tome « Avida dollars » qui devrait raconter, après la naissance de l’artiste et celle de l’amour, la fabrication du mythe.
POUR ALLER PLUS LOIN
SUR SALVADOR DALI ET GALA
Que s’est-il passé à Cadaquès entre Salvador Dali et Gala ? – RTBF Actus
Salvador Dalí raconte sa rencontre avec Gala
( il y évoque l’épisode du parfum de biquette)

ÉCRITS DE DALI
La Vie secrète de Salvador Dali
Journal d’un génie (1952-1962)
Le Mythe tragique de « L’Angélus » de Millet



Le Mythe tragique de « L’Angélus » de Millet, interprétation paranoïaque-critique a été écrit en 1938 et publié en 1963 (réed. Allia 2011).

Dali, L’Angélus de Millet vu par Dali – du 21 novembre 2012 au 25 mars 2013

Interview des auteurs de »Dali »
Dalí en BD, une biographie de l’artiste par les auteurs de Pablo – Photo – DARGAUD dont sont extraites les citations de Julie Birmant et Clément Oubrerie présentes dans cet article.

L’expo Julie Birmant « Les Herbes folles » au FIBD Angoulême

Compte-rendu étayé par l‘ITW de Cathia Engelbach, co-commissaire de l’exposition
Chronique d’Anne-Laure SEVENO


