Ulysse & Cyrano

Scénario : Antoine Cristau, Xavier Dorison
Dessin : Stéphane Servain
Éditeur : Casterman
176 pages
Prix : 34,90 €
Parution : 5 juin 2024
ISBN 9782203171473
Ce qu’en dit l’éditeur
Les auteurs nous proposent avec « Ulysse & Cyrano » une quête initiatique très humaine, où la passion de l’art culinaire devient une aventure initiatique La mise en image est magnifique, nous avons aimé le dessin précis et détaillé de Stéphane Servain, les personnages sont très précis, les paysages champêtres de Bourgogne sont magnifiquement mis en valeur. À DÉVORER SANS MODERATION
Ulysse Ducerf va passer le bac. Les maths ne le passionnent guère, mais impossible de se défiler quand on est promis à un brillant avenir : l’École polytechnique puis la reprise, un jour, des cimenteries familiales. Telle est la volonté du père d’Ulysse, mais ce dernier est rattrapé par de graves accusations : 10 ans plus tôt, son entreprise aurait participé à l’effort de guerre allemand. La famille s’installe en Bourgogne, où Ulysse fait la connaissance d’un homme bourru et secret. Le choc est immédiat : Cyrano et la grande cuisine vont bouleverser à jamais la vie d’Ulysse… Ce récit culinaire dans la France des Trente Glorieuses mettra en appétit ses lecteurs tout en posant des questions aussi nécessaires qu’universelles : qu’est-ce que le plaisir ? Où se trouve l’épanouissement… et comment l’atteindre ?
À l’origine d’«Ulysse et Cyrano », roman graphique de Xavier Dorison, Antoine Cristau et Stéphane Servain paru chez Casterman, il y a la Bourgogne et le goût de la bonne chère comme le souligne la dédicace d’Antoine Cristau à sa mère. Mais il y a surtout l’amitié des deux scénaristes, l’envie de travailler ensemble et de raconter à la fois un récit lié à la gastronomie (Cristau voulait au départ écrire un roman sur l’avènement de la nouvelle cuisine) et une histoire de transmission (qui était davantage le but de Dorison).
Tous ces ingrédients se retrouvent donc dans un copieux album de plus de 170 pages qui n’est pour autant jamais indigeste. Son titre est déceptif : il n’est pas question de littérature mais de la formation d’un duo que tout oppose a priori. Nous sommes en avril 1952, Ulysse Ducerf va bientôt passer le bac ; les cours et notamment les Maths ne le passionnent guère, il préfère le dessin. Mais, fils de bonne famille, il est destiné un jour à reprendre les cimenteries familiales. Son père a décidé qu’il rentrerait à Polytechnique, sa voie est toute tracée.

Cependant un grain de sable (on est dans la cimenterie, c’est normal) vient tout faire dérailler : sa mère Huguette et lui doivent partir loin de Paris car Charles Ducerf est accusé d’avoir collaboré avec les Allemands sous l’Occupation. Direction un petit village bourguignon marqué, lui aussi, par un scandale retentissant : juste avant la guerre, alors que son second venait de lui rafler le titre de meilleur cuisinier de France, l’imposant Cyrano a fait flamber son restaurant étoilé, l’auberge des Trois lauriers qui faisait vivre tout le pays. Il est désormais devenu un ermite bourru, ostracisé par toute la population.
À la suite d’une chute d’Ulysse dans la rivière où pêchait l’ancien chef, ces deux personnages vont faire connaissance. Choc des cultures pour les protagonistes mais aussi, devant la cuisine de Cyrano, émerveillement du jeune garçon…

UN RÉCIT HISTORIQUE
Comme souvent avec Dorison, le récit bénéficie d’un substrat historique. Ici, l’élément perturbateur est la période de l’épuration d’emblée questionnée par les auteurs : car les motifs des accusateurs de M. Ducerf sont peut-être moins nobles et plus mercantiles qu’il n’y paraît : il s’agit moins de laver l’honneur de la France que de trouver un prétexte pour nationaliser une entreprise florissante…

On assiste aussi de façon quasi sociologique aux prémices de la nouvelle cuisine (qui naitra réellement dans les années 1970) et à une querelle entre Anciens et Modernes dans un duel des chefs entre Cyrano représentant d’une gastronomie traditionnelle du terroir et Gédéon Lecoq partisan d’une cuisine allégée et moderniste.

Mais au-delà de ce contexte, on a l’histoire d’un coup de foudre amical.
« PARCE QUE C’ÉTAIT LUI, PARCE QUE C’ÉTAIT MOI »…
Le titre met en évidence cette rencontre improbable dans les prénoms choisis : le premier évoque l’odyssée d’un héros qui va se révéler au fil des épreuves et le second rappelle la faconde du mousquetaire gascon homonyme. On a une opposition qui rappelle le ressort comique des numéros de clowns ou des films muets : un « couple » a priori mal assorti tels Laurel et Hardy, l’Auguste et le clown blanc, dichotomie qui se retrouve également dès la couverture dans le physique des personnages : un adolescent fluet et un colosse dans la force de l’âge au physique inspiré de celui des acteurs Raimu et Michel Simon.

Pourtant, la couverture insiste moins sur leur opposition que sur l’harmonie qui règne entre eux. L’arrière-plan rappelle par ses couleurs et sa composition le célèbre fond du tableau de Bonnard « Le Ballon ou les jeux de l’enfance » et place d’emblée la scène représentée dans une tonalité heureuse et nostalgique. Servain – à part la toque portée par Cyrano – n’y évoque pas le thème de la cuisine mais plutôt celui de l’école buissonnière et peint un moment suspendu loin des tourments.


DES PERSONNAGES COMPLEXES
Les personnages représentés ici sont tout sauf manichéens et éprouvent de nombreux dilemmes et déchirements. Cyrano, malgré sa grande gueule, n’assume pas réellement d’avoir abandonné la cuisine sur un coup de tête pour vivre en reclus dans la monotonie d’un quotidien désenchanté que seules viennent secouer de temps en temps des agapes secrètes lui rappelant sa splendeur des temps passés. Il n’y a pas qu’Ulysse qui se noie …

Quant à l’unique héritier d’une des plus grosses fortunes françaises, il est programmé depuis la naissance : il doit prendre la succession de l’entreprise familiale et ne peut donc donner libre cours à ses aspirations (d’abord le dessin puis la cuisine) sous peine de décevoir et même de déchoir puisqu’un cuisinier dans son milieu ce n’est rien de plus qu’un « éplucheur de patates ». Comment de toute façon Ulysse pourrait-il ne serait-ce qu’en parler avec ses parents puisque son père lui fixe rendez-vous via son majordome et que sa mère semble avoir comme unique préoccupation de plaire à son époux ?
UN RÉCIT D’ÉMANCIPATION ET DE RÉDEMPTION
Pourtant il s’agit d’un récit d’émancipation et de rédemption. Ce roman graphique est en effet également dédié au père de Xavier Dorison qui a, comme Ulysse, totalement changé de voie en décidant de devenir coiffeur après de brillantes études dans un lycée du 6e arrondissement. Ce parcours atypique préfigure également celui de l’auteur qui a abandonné le chemin tout tracé d’une carrière dans la finance pour embrasser celle de scénariste BD. On a donc des histoires en miroir : entre les héros et leur auteur mais aussi entre les personnages. Ainsi, on apprend que M. Ducerf a dû lui-même renoncer à sa passion (le tennis) pour endosser le rôle qu’on lui destinait… accepter le choix d’Ulysse serait alors pour lui devoir reconnaître que contrairement à son fils il n’a pas eu le courage de poursuivre ses rêves … ce qui rajoute à la fois un ressort dramatique et de la complexité au personnage. De même, la mère d’Ulysse, comme son fils, a du mal à trouver sa place et est victime des injonctions de son époque. Pourtant elle s’avèrera bien plus forte qu’on ne pourrait le croire.

UNE HISTOIRE DE FEMMES
Ulysse et Cyrano ressemble a priori à une histoire d’hommes : les deux héros sont masculins, et sont entourés de rôles secondaires – le père, le grand-père, le traître … – qui se taillent la part du lion d’une intrigue dans le cadre peu progressiste d’une France du début des années 1950 où une femme ne pouvait avoir de compte en banque ni travailler sans l’autorisation de son époux.
Et pourtant… le lecteur réalise rapidement que ce sont les interventions décisives de quatre femmes qui permettront à Ulysse d’accomplir sa destinée. Marie tout d’abord dont l’indépendance et l’amour seront pour le jeune homme une aide pour secouer le carcan familial ; mais aussi Raimonce, la gouvernante revêche en apparence, dont la discrète complicité permettra à l’adolescent de donner libre cours à sa vocation naissante ; puis Simone au franc parler qui convaincra son ex-futur amant de sortir de sa retraite pour transmettre son art au lycéen et enfin Huguette, la mère…
Les personnages sont parfaitement construits, crédibles et terriblement humains, Leur importance est également présentée graphiquement : gros plans, expressions, regard dans des décors comme estompés… L’important dans ce récit ce sont les interactions…
UN DESSIN ÉPICURIEN

À part les personnages, seuls les plats sont représentés de façon détaillée non pas de façon iconique comme c’est traditionnellement le cas dans la bd francobelge ni de façon hyperréaliste comme le font les mangakas. Le dessinateur conserve sa signature graphique et choisit de montrer des ingrédients, puis le plaisir que les personnages ont à confectionner certaines recettes et le bonheur qu’ils éprouvent à les partager ce qui permet au lecteur de projeter lui-même son ressenti dans ce qu’il voit. Les plats paraissent ainsi plus alléchants les uns que les autres et certaines recettes figurent même en fin de volume.
Enfin, comme dans tout restaurant étoilé qui se respecte, le « dressage » du livre est à l’avenant : grand format, couverture au toucher soyeux, papier épais … tout est fait pour mettre en valeur le récit que nous a concocté ce trio d’auteurs.

« Ulysse et Cyrano » est une histoire portée par des dialogues travaillés où l’humour est souvent présent. Développé avec soin et suivant un rythme narratif qui prend son temps comme un mets mijote à feu doux pour libérer toutes ses saveurs, ce récit historique, roman de formation, chronique sociale et culinaire est surtout un livre sur la quête du bonheur. Il pose, sans en avoir l’air de vraies questions : qu’est-ce qui rend vraiment heureux ? Qu’est-ce que la liberté ? Comment trouver sa voie ? Peut-on se libérer des conventions sociales et familiales ? Il apporte comme réponses la maxime de Cyrano qu’il est bon que le lecteur fasse sienne en ces temps moroses – in voluptate veritas ! – ainsi qu’un regard profondément humaniste. Roboratif et réjouissant : un coup de cœur !






Une réponse à “ULYSSE & CYRANO”
C’est hyper intéressant !
Merci pour cet article qui ne fait que renforcer l’amour que j’ai pour cette bande dessinée !
Il faudrait que je change mon compte WordPress, mais voilà qui se cache derrière mon pseudo!
http://www.drawingsandthings.com
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