SIMON & LUCIE : Les ciels changeants


SIMON & LUCIE : Les ciels changeants

Simon & Lucie : Les ciels changeants
Scénario : Alain Kokor
d’après Diastème
Dessin : Alain Kokor
Éditeur : Rivages
Collection Virages Graphiques
320 pages
Prix : 29,00 €
Parution :  2 octobre 2024
ISBN 9782743664657

Ce qu’en dit l’éditeur

Ce sont deux adolescents qui s’aiment, et ils ont le monde entier face à eux. En créant leur histoire et en la logeant dans les pages d’une bande dessinée, Diastème et Alain Kokor offrent à Lucie et Simon un sanctuaire d’une infinie poésie.

Simon et Lucie se rencontrent au collège. Il a 13 ans, elle presque 14. Ils sont voisins. Leurs maisons se font face. Lucie habite seule avec sa mère, une ancienne starlette de cinéma qui tente un retour mais a sombré dans l’alcool depuis la disparition de son mari cascadeur décédé dans un accident de la route. Simon, lui, vit avec son père divorcé plus intéressé par son physique que par son fils, par son apparence que par l’éducation et le soutien qu’il pourrait apporter à son rejeton. Simon et Lucie, tous les deux perdus, s’accrochent l’un à l’autre. Elle est littéraire, exaltée et crée des collages, il est scientifique, calme et réservé. Ils se complètent.

Le roman graphique débute un soir de canicule où Lucie appelle Simon à l’aide après avoir découvert sa mère inanimée, ivre morte, devant la télé. On découvre leur relation, leur complicité, leurs espoirs. Ils sont comme dans une bulle de bonheur dans un contexte houleux. Pourtant, après une ellipse, nous retrouvons Simon adulte sans Lucie. Il est interné dans un institut psychiatrique, les membres tailladés. Il est perdu dans ses souvenirs. Lucie occupe toutes ses pensées. Que s’est-il passé entre eux ? Pourquoi considère-t-on Simon comme dangereux ? Pourquoi a-t-il été jugé ? Où est Lucie ?

RENCONTRES

Dans ce roman graphique, tout commence par une rencontre : rencontre entre Simon et Lucie ; rencontre entre Sonia Deschamps l’éditrice de Virages Graphic et une pièce de théâtre quand, adolescente, elle découvre ses rêves et ses tourments incarnés sur scène dans « La Nuit du thermomètre » par ces deux personnages nés sous la plume du scénariste et réalisateur Diastème ; rencontre enfin entre cette dernière devenue adulte et un dessinateur délicat et sensible, Alain Kokor à qui elle propose d’adapter non seulement cette pièce mais la trilogie composée par le dramaturge sur vingt ans.

UN PATCHWORK LITTÉRAIRE

La trilogie de Diastème est protéiforme. Il voulait au départ raconter l’histoire de Simon et Lucie sous forme de pièce, roman et film. « La nuit du thermomètre » (2001) est ainsi une pièce en quatre actes (deux actes de dialogues entre Lucie et Simon encadrés par un premier et un dernier acte entièrement construits sous forme de monologues de Lucie) ; « 107 ans »(2004) d’abord publié sous forme romanesque puis adapté en pièce est constitué du monologue intérieur de Simon après leur rupture et enfin « La paix dans le monde » (2019) jouée 15 ans plus tard est un spectacle hybride dans lequel Simon se raconte à nouveau 15 ans après leur séparation avec des interventions de Lucie sous formes de vidéos ce qui ouvre la porte à toutes les interprétations. Tout ceci est-il bien réel ou est-ce la projection des tourments intérieurs de Simon construisant un mausolée à son amour perdu ?

Alain Kokor avait donc beaucoup de matière à disposition. Certains épisodes de la vie de Simon et Lucie étant relatés dans chacune des pièces, il taille, élague, assemble et réorganise. Il conserve le monologue de Lucie en ouverture, la brutale ellipse entre les deux premières pièces et la construction en flash-back des deux derniers opus de la trilogie au cœur de son roman graphique pour finir de façon linéaire et chronologique et dépeindre le quotidien de Simon à l’hôpital et le dénouement. Il découpe l’ensemble en différents chapitres qu’il matérialise d’ailleurs par des pages de séparation sur fond bleu avec en guise de titre un insert « zoomant » sur un détail : la maison de Lucie, le citron, la porte du docteur Walter…

L’AMOUR OUF

À l’image de la pièce « Andromaque » que lisent les deux adolescents et qui leur permet de se dire indirectement, le bédéaste nous propose une tragédie contemporaine : commençant sur un ton léger, jouant avec beaucoup de drôlerie sur les hypothèses farfelues des deux enfants pour aboutir à une forme de poésie, le récit dérape et devient âpre quand Simon infidèle et quitté s’entaille le bras pour y graver le nom de sa belle. La narration chronologique est rompue. Les « trous » de l’histoire d’amour de Simon et Lucie étant comblés par à coup au gré des entretiens du jeune homme avec son psychiatre ou ses compagnons d’hôpital.

Simon narrateur fait alors le récit d’un amour trop grand pour perdurer, d’un amour voué à l’échec. Comme la musique tient un grand rôle dans ce roman graphique, l’on serait tenté de paraphraser le titre des Rita Mitsouko : « les histoires d’amour finissent mal en général ». C’est peut-être d’ailleurs pour cela que Simon n’arrive jamais à finir les romans de Jane Austen qui eux se terminent bien ? Parce que la réalité a rattrapé les deux adolescents intransigeants ? Ou bien alors comme le lui dit le Dr Walter il ne se souvient pas des fins « parce qu’il ne veut pas que cela finisse ». Et il ressasse Simon, il noircit des carnets de ses souvenirs avec Lucie et tient comme un journal dans lequel il s’adresse à elle en voix off reprenant en cela la structure monologiste de la deuxième pièce. Cette partie occupe plus du deuxième tiers de l’album.

D’UN DUO À UNE TROUPE : UN RÉCIT DOUX-AMER

Kokor dans la partie centrale de son roman graphique alterne donc entre deux temporalités : le passé des souvenirs et le présent de l’internement. C’est là qu’il va développer et inventer toute une kyrielle de personnages qui n’existaient pas dans la pièce ou seulement brièvement comme simples figurants dans la parole de Simon.

Il y en a un qui déclame son amour sans arrêt pour Adèle, l’une des infirmières, et qui prend les traits d’un des personnages précédents de Kokor, Alexandrin de Vanneville le héros de « Alexandrin ou l’art de faire des vers à pied » ; il y a Gilbert, un petit bonhomme lunaire qui ressemble à un nain de jardin avec son ballon. Les soignants et les patients sont tous nommés, parfois à l’aide de flèches comme pour une légende de documentaire. Kokor souligne la patience et la bienveillance des soignants et la solidarité entre les malades. C’est dans cette partie du roman graphique que se produisent les scènes les plus drôles. Paradoxalement, ces scènes du quotidien à l’hôpital, « c’est ce qui donnait une certaine douceur en contrepoint » pour l’auteur.

UN HOMMAGE À L’ART

Dans les pièces de Diastème, il était beaucoup question de musique et Kokor, bassiste professionnel, ne pouvait faire l’impasse sur une véritable bande son pour sa bande dessinée. À travers le personnage de « La Gosse » , il nous permet à la fois de (re)plonger dans le « Top 50 » des années 1980 et de montrer comment l’art est un moyen d’apaiser les souffrances. Il en va de même pour les protagonistes puisque Simon trouve du répit en écrivant dans ses carnets tandis que les collages de Lucie l’aident à exorciser ses peurs (portrait de sa mère à la bouteille), à rendre hommage aux disparus (son père puis Bartholomé) et à surmonter ses deuils. Dans les textes initiaux, Lucie ne dessinait pas. Ici, elle devient même une artiste reconnue et l’art apparaît comme un moyen de résilience.

VARIATIONS GRAPHIQUES

Enfin, il serait bon de souligner que Kokor utilise un graphisme poétique dans des pleines pages métaphoriques qui symbolisent les rêves des enfants et leur imaginaire dans la première partie

mais également l’enfermement de Simon dans son passé et dans sa tête dans un noir et beige charbonneux quand il est à l’hôpital ; L’idée fixe est matérialisée par l’inscription du lieu originel (la chambre de Lucie) dans son cerveau. Pour marquer les obsessions, Kokor utilise aussi des volutes dignes de l’Op’art et pour représenter la fragmentation du moi, il sort complètement du gaufrier en dessinant des cases en « éclats » ou bien il ajoute des morceaux noirs comme des pièces de puzzle manquantes sur les têtes des gens…

Il n’y a pas de réelle mise en couleurs. L’auteur utilise une monochromie de beige ou bichromie de teintes plutôt fanées comme pour marquer à la fois l’évanescence du sentiment et du souvenir et créer une atmosphère intimiste qui convient bien au propos.

L’exercice était ardu. Le résultat est tout en délicatesse. Une vraie réussite et une jolie histoire qui évite (malgré un dénouement détonnant) la mièvrerie et nous fait souvent passer du rire aux larmes ou les deux en même temps … comme des « ciels changeants ».

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