GISÈLE HALIMI L’INSOUMISE


Gisèle Halimi l’insoumise : Avocate pour changer le monde

Gisèle Halimi l’insoumise :
Avocate pour changer le monde
Scénario : Jean-Yves Le Naour
Dessin : Marko
Éditeur : Dunod Graphic
128 pages
Prix : 18,90 €
Parution :  31 mai 2023
ISBN 9782100840847

Ce qu’en dit l’éditeur

Voici l’histoire d’une femme qui a dit non. Au patriarcat, à la colonisation, à l’inégalité.

Militante, femme politique, c’est en tant qu’avocate que Gisèle Halimi a mené ses plus grandes batailles. En 1961, elle dénonce l’emploi de la torture en Algérie lors du procès de Djamila Boupacha. En 1972, elle pose la question de la liberté à disposer de son corps ; en 1978, elle fait le procès du viol à Aix-en-Provence ; et elle parvient en 2000 à faire triompher la loi sur la parité au terme d’un long combat.

Pour transformer ses luttes en victoires, Gisèle Halimi est devenue stratège. Elle a fait des tribunaux des tribunes, s’est adressée à l’opinion au-dessus de la tête des juges afin d’infléchir la loi.
L’histoire de Gisèle Halimi est celle d’une rebelle, d’une enfant qui n’a peut-être jamais guéri de ses humiliations et qui s’est dressée toute sa vie contre les inégalités. Désormais, son histoire est aussi la nôtre.

En l’espace de deux ans sont parus pas moins de quatre romans graphiques autour de Gisèle Halimi alors qu’un hommage national lui était rendu le 8 mars 2023 à l’occasion de la journée internationale du droit des femmes. Deux d’entre eux nous éclairent sur un épisode particulier de sa vie Gisèle Halimi : Une jeunesse tunisienne de Danièle Masse et Sylvain Dorange (Delcourt février 2023) et Bobigny 1972 (Glénat, janvier 2024) de Marie Bardiaux-Vaïente et Carole Maurel bien que ce dernier soit centré sur Marie-Claire Chevalier et sa mère jugées pour avortement clandestin qu’elle a défendues lors dudit procès. Les deux autres Une Farouche Liberté : Gisèle Halimi, la Cause des Femmes de Sandrine Revel et Myriam Lavalle sur un scénario d’Annick Cojean et Sophie Couturier (Steinkis-Grasset, octobre 2022) ainsi que Gisèle Halimi l’insoumise : Avocate pour changer le monde de Jean-Yves le Naour et Marko paru aux éditions Dunod Graphic en mai 2023 balaient la vie de l’avocate.

Féministe et historique

Contrairement à Une farouche liberté où quatre femmes sont aux manettes, Gisèle Halimi l’insoumise est le fruit de la collaboration de deux hommes. Ceci explique peut-être que ces deux albums relatent les mêmes évènements mais avec un angle d’approche légèrement différent. Alors que le premier a une approche très féministe voire hagiographique, le second, sans occulter la veine féministe privilégie le côté historique en contextualisant les différents évènements plus précisément. Rien d’étonnant à cela quand on sait que Jean-Yves Le Naour est non seulement scénariste de films documentaires et de bandes dessinées mais aussi historien spécialiste du XXe siècle, auteur de nombreux ouvrages. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il aborde le sujet de Gisèle Halimi. Il l’a déjà fait dans Halimi à la plage – La Femme engagée dans un transat (Dunod, 2022), un essai co-écrit avec Catherine Valenti et est l’auteur du scénario des documentaires Le procès du viol (2013), prix du public au festival international de Pessac et Gisèle Halimi, la cause des femmes (2022), tous deux réalisés par Cédric Caudon.

Toujours sur le procès d’Aix-en-Provence, Et le viol devint un crime co-écrit avec Catherine Valenti (Vendémiaire, 2014) sera adapté par Alain Tasma dans le téléfilm Le viol (2017) avec Clotilde Courau dans le rôle de Gisèle Halimi.

Autant dire que Jean-Yves Le Naour connaît son sujet !

Le récit chronologique reprenant les grands chapitres de son essai Halimi à la plage fait bien ressortir la cohérence de ses actions centrées sur la lutte contre toute forme de discrimination et la défense de la cause des femmes.

On ne guérit pas de son enfance

Avocate de la décolonisation

L’affaire Boupacha : le procès de la torture

Bobigny : le procès de la répression de l’avortement

Aix-en-Provence: le procès du viol

Madame la députée

Le combat pour la parité

On ne guérit pas de son enfance

1927 à la Goulette en Tunisie, naissance de Zeiza Taïeb plus connue sous le nom de Gisèle Halimi

« Je suis née en terre d’islam escortée de rabbins, quatre foi dominée : juive, pauvre, colonisée et femme. »

C’est dans son enfance qu’il faut aller chercher les sources de ses futurs engagements. C’est là qu’eurent lieu ses premières révoltes et ses premiers combats. Aimée par son père, elle était persuadée que sa mère qui n’avait d’yeux que pour ses frères ne l’aimait pas. À l’âge de 10 ans, elle tiendra tête à cette mère traditionaliste en refusant de servir ses frères, dénonçant ainsi l’injustice de l’inégalité fille-garçon. Première victoire ! À 11 ans, elle sera marquée par la grande manifestation indépendantiste de 1938 à Tunis. De là viendront ses futurs engagements qui l’amèneront à lutter contre l’iniquité de la justice coloniale et défendre les indépendantistes.

Elle se rebellera très tôt contre la religion en défiant Dieu ou contre l’autorité, se refusant à honorer Pétain.

En observant ses parents, elle comprendra très vite que sans indépendance financière, il ne pouvait y avoir d’autonomie.

Dans son journal intitulé Journal d’une mal aimée, elle écrira Personne ne doit me faire vivre.

C’est dans les livres qu’elle dévore qu’elle goûtera aux grands principes de liberté et d’égalité.

Et elle, la petite juive séfarade née en Tunisie, dont le rêve n’était pas de se marier et dépendre d’un homme mais de faire des études s’envolera pour la France à l’âge de 18 ans avec la ferme intention de devenir avocate afin de changer le monde en combattant toute forme d’iniquité.

La femme et l’avocate

Brisant l’image d’Épinal, les auteurs nous livrent une Gisèle Halimi plus humaine en nous faisant pénétrer dans son quotidien et son intimité. Ils nous brossent non seulement le portait de l’avocate mais également celui de la femme, ses difficultés à mener de front combats sociétaux et vie familiale.

Et ces deux portraits s’entremêlent comme dans cette scène du jugement de l’affaire de Moknine en 1953 où défendant 57 prévenus accusés de l’assassinat de trois gendarmes, elle fut contrainte à quitter le tribunal suite aux conséquences de son deuxième avortement.

Le récit à la première personne est rythmé par une Gisèle Halimi aérienne qui survolant sa propre histoire nous entraîne d’un chapitre à l’autre. Une belle façon d’aérer le récit.

Une sociétalisation par la médiatisation

À travers ses combats, elle a abordé des questions sociétales fondamentales et a réussi à faire bouger les lignes.

En défendant les indépendantistes tunisiens puis algériens, elle s’élèvera contre la politique coloniale.

Pour l’affaire Boupacha, le procès de la jeune militante du FLN séquestrée et torturée par des militaires français durant la guerre d’Algérie, elle s’entourera des intellectuels de l’époque pour dénoncer la torture dont Simone de Beauvoir avec laquelle elle cosignera le livre Djamila Boupacha avec en couverture le portrait de la jeune femme par Picasso.

Partant à la conquête de l’opinion publique, elle médiatisera les procès de Bobigny (1972) et d’Aix en Provence (1978) et transformera les tribunaux en tribunes pour la dépénalisation de l’avortement pour le premier qui aboutira deux ans plus tard à la loi Veil et en transformant le procès de trois violeurs en procès du viol pour le second.

La femme politique

Passant des bancs des tribunaux à ceux de l’Assemblée nationale, elle sera élue députée en 1981.

Ostracisée parce qu’elle n’était pas inscrite au PS, ce fut une grande déception.

Son dernier grand combat sociétal portera sur la parité qui aboutira à la loi promulguée en 2000.

Une narration graphique d’une grande lisibilité

Marko, de son vrai nom Marc Armspach, avec son trait rond évolue plutôt dans le secteur jeunesse. On lui doit notamment les 4 tomes de la série La brigade des souvenirs (Scénario de Carbone/Cee Cee Mia, éditions Dupuis, 2020-2023), la série en 4 tomes Géo BD (Scénario BeKa, éditions Dargaud 2011-2015), et aux éditions Bamboo la série en 5 tomes Les Godillots (Scénario Ollier, 2011-2018) et les 8 tomes de la série feel-good Le jour où … (Scénario BeKa, 2016-2024). Ce n’est pas la première collaboration de ce passionné d’histoire avec Jean-Yves Le Naour. Aux éditions Dunod déjà ils avaient publié À bâbord, toute ! Histoire de la gauche en BD (2021) et À tribord toute ! Histoire de la droite en BD (2022).

Il lui tient maintenant à coeur de mettre en lumière de grandes figures telles Gisèle Halimi ou Robert Badinter.

Un des atouts majeurs de Gisèle Halimi l’insoumise : Avocate pour changer le monde c’est, malgré la densité du propos, sa grande lisibilité due au grand format de l’album, à la colorisation et au choix graphique fait par le dessinateur : épurer son trait le plus possible.

Dans une mise en cases très variée, alors qu’à certains moments, il se refusera à charger la page pour céder la place à la puissance des mots, à d’autres il convoquera de puissances métaphores visuelles frappant le lecteur telles ces aiguilles à tricoter se métamorphosant en croix …

… où le procès du viol.

La colorisation rythme la narration. Le rouge et le noir, couleurs de la la lutte, la colère, la violence vont venir percuter les jaune et bleu pastel des moments plus paisibles.

Gisèle Halimi l’insoumise nous convie à une belle traversée du siècle de René Coty à Jacques Chirac aux côtés de Gisèle Halimi qui en toute légalité par son combat de tous les instants contre l’injustice et les discriminations a réussi à faire évoluer la société. Puisse le « C’est pas juste ! » de la petite Zeiza qui rêvait de changer le monde continuer à résonner dans notre tête et nous conduire à nous élever nous aussi contre les iniquités de notre monde en pleine mutation.

POUR ALLER PLUS LOIN

Gisèle Halimi, la jeune fille insoumise | France Inter

Podcast de l’émission de Stéphanie Duncan Autant en emporte l’histoire du 3 avril 2022.

Le texte de Jean-Yves Le Naour a été écrit spécialement pour l’émission.

« Je sais bien qu’on vous encourage aujourd’hui à voter la mort. L’opinion, les médias, la foule amassée devant ce tribunal qui vocifère, vous encourage, mais vous savez bien qu’un jour la peine de mort sera abolie. […] Alors le temps passera. C’en sera fini du tumulte, des encouragements, et vous demeurerez seuls avec votre jugement. Vous resterez seuls avec votre jugement. Et vos enfants, vos petits-enfants sauront un jour que vous avez décidé la mort d’un homme… »

« 20 janvier 1977, procès de Patrick Henry.  C’est avec ces mots que Robert Badinter fit le procès de la guillotine et le remporta. Jean-Yves Le Naour et Marko retracent les combats d’un homme qui a consacré sa vie à la justice. Avocat, intellectuel et homme politique, il incarne aujourd’hui encore la lutte contre la peine de mort. Ravivant les tensions ainsi que les enjeux politiques et sociétaux de l’époque, cette bande dessinée restitue la force des engagements de Robert Badinter et laisse entrevoir l’homme derrière le combattant. »


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