Le prolongement

Scénario : Gwendal Le Bec
Dessin : Gwendal Le Bec
Éditeur : Casterman
208 pages
Prix : 25,00 €
Parution : 9 avril 2025
ISBN 9782203280823
Ce qu’en dit l’éditeur
Camille et Gloria, un couple de retraités, semblent avoir tout pour être heureux. Mais leur relation vacille face à une révolution techno-médicale : le Prolongement, une intervention coûteuse qui redonne aux organes la vitalité de la jeunesse. Gloria a pris sa décision : elle se fera prolonger. Camille, lui, préfère vieillir » normalement « . Alors que leurs chemins divergent, ils sont aussi contraints de vendre le restaurant familial pour couvrir les frais de l’opération.
Dans ce récit choral plein de vie, Gwendal Lebec brosse avec justesse et humour un portrait touchant de nos fragilités contemporaines : l’amour, le désir, la vieillesse et le sens de la vie.
Pour son premier roman graphique qui paraît chez Casterman, Gwendal Le Bec dessinateur de presse (notamment pour le « New York Times », « Le Monde ou « Le Nouvel Obs »), auteur jeunesse primé, s’intéresse à … la vieillesse dans « Le Prolongement »
Nous sommes en 2070, tout a commencé comme un conte de fées soixante années plus tôt pour Camille et Gloria. Ce chef du restaurant « Les trois mamelles » a rencontré jadis la fille de son riche patron, un self made man qui a fait fortune dans la tomate. Coup de foudre, mariage, famille, jolie maison avec piscine et vue sur mer dans le Finistère …. Mais si Camille se réjouit de fêter bientôt leurs 80 ans, ce n’est pas le cas de Gloria. Ces deux-là ne vieillissent littéralement pas ensemble. Il laisse faire le temps et la nature ; elle a choisi « le prolongement » : un traitement douloureux qu’elle effectue tous les 5 ans et qui la laisse éternellement quadragénaire. La prochaine cure a lieu bientôt. Elle est très onéreuse mais Gloria ne peut s’en passer … elle a déjà utilisé la quasi-totalité de la fortune laissée par son père ; et si elle vendait le restaurant ?

UNE DYSTOPIE ?
À la lecture, on ne s’aperçoit pas vraiment qu’on est dans le futur. Quelques manifestations politiques soulignent une santé à deux vitesses (seuls les riches peuvent être prolongés), mais cela semble, hélas, déjà d’actualité. Les cures se déroulent dans des centres high tech comme il en existe de nos jours ; les voitures et les habits sont ceux d’aujourd’hui. Des messages avec des hologrammes ont certes remplacés les SMS … mais le Bec saupoudre vraiment son récit d’une toute petite pincée de futurisme.

Le dessinateur s’intéresse plus à la nature humaine. D’ailleurs la couverture est intemporelle et programmatique : on y découvre les visages en très gros plans du couple sur la première et la 4e de couverture : ils sont d’emblée « graphiquement » séparés, Camille semble se noyer, Gloria surnage un peu plus. Ils ont un regard inquiet et l’angoisse pointe aussi avec la citation d’un fragment de dialogue : « Vieillir c’est pas un suicide/ si, un peu quand même ». Dans le corps de l’œuvre, il y a peu de décors, Le Bec se concentre sur les sentiments, les expressions de ses personnages dans des cadrages serrés et de longues scènes de dialogues. Il choisit une simplicité du trait (parfois trop, on dirait des roughs) et emploie la bichromie pour ne pas diluer son propos.

LA TYRANNIE DU JEUNISME
On a donc un récit sombre aux couleurs pastel. Une dualité en rose et bleu. Gwendal le Bec reprend le cliché du bleu lié au masculin et du rose lié au féminin pour les opposer. D’emblée il a choisi de faire de son héroïne celle qui se fait prolonger alors qu’il aurait pu décider que ce soit Camille. Il souligne ainsi les injonctions sociétales qui pèsent sur les femmes à travers les trois générations de la lignée de Gloria : sa fille Mila a déjà commencé ses cures depuis longtemps et toutes deux offrent à Avril, sa petite fille, un prolongement pour ses 20 ans !

La société paraît donc impitoyable à l’égard des femmes. Durant la cure on fait remarquer à Gloria qu’elle a pris du poids, elle doit proscrire gras et sucre, tandis que Camille se fait des omelettes au lard, mange des gâteaux et se promène sans honte ses bourrelets à l’air ; son cousin Jérémy, tout « prolongé » qu’il est garde sa calvitie parce qu’être beau n’est pas une exigence demandée aux hommes. Les femmes, au contraire, à travers la relation entre Gloria et sa condisciple de lycée, sont présentées comme en compétition et l’importance du paraître au féminin (et des complexes) est accentuée par les réseaux.
UNE MEILLEURE VERSION DE SOI MÊME ?

Si « Le prolongement » n’a rien du récent body horror, « The Substance » de Coralie Fargeat (2024) film dans lequel on promet à Elisabeth Sparkle de devenir « la meilleure version d’elle-même » en rajeunissant à l’aide d’une substance dangereuse et miraculeuse, Gwendal le Bec pose également la question en pointillé.
Ce n’est pas parce qu’elle n’est pas ridée que Gloria est une belle personne, bien au contraire… Son obsession du « prolongement » l’amène à faire preuve d’égoïsme, à être dépourvue d’empathie lors d’un deuil et à refuser systématiquement ce que son mari lui demande obstinément : fêter leurs 80 ans. Cette requête qui pourrait créer du comique de répétition souligne le tragique au contraire d’un couple, aux aspirations radicalement différentes, qui se distend. « Le prolongement » et « l’éterniseur » qui conservent les corps deviennent alors les instruments d’accélération de l’usure d’un couple.

« IDÉAL »
Dans le soap qatari alambiqué, aux acteurs refaits et plus beaux que nature, qu’affectionnent Camille et Myriam, le prolongement se mue en ressort de l’intrigue en rebattant les cartes des relations entre les personnages. Il devient une sorte de mise en abyme fantaisiste et outrancière de ce qui se produit dans l’histoire principale puisque Gloria en se livrant à un pacte presque « faustien » manque de perdre son âme et son amour pour gagner la jeunesse éternelle. De plus, le soap ne permet pas seulement d’apporter des respirations et un registre comique dans une histoire un peu plombante mais aide à la dramaturgie car c’est en partageant des moments devant sa télévision avec sa voisine que Camille s’aperçoit de l’éloignement progressif de sa femme. Cette structure en miroir permet alors de distiller de façon presque légère une réflexion sur les priorités dans la vie.

Dans cette irruption de la technologie dans les sentiments amoureux et la quête d’une image de soi idéale on trouve une parenté avec un autre premier roman graphique récent : « Idéal » de Baptiste Chaubard et Thomas Hayman paru chez Sarbacane dans lequel également la dystopie permet d’évoquer nos craintes actuelles et surtout la conjugalité.
L’HYPER RÉALISME COMME ANTIDOTE
Si Hayman (illustrateur comme notre auteur) choisissait dans « Idéal » d’accentuer un côté, graphique, léché et presque artificiel pour donner un côté éthéré à l’intrigue et souligner la quête de beauté, Gwendal Le Bec semble lui prendre la position inverse. Il tend à l’hyperréalisme et n’omet aucun détail généralement tabou : on voit les corps affaissés se délitant sous l’effet des ans et surtout on assiste à deux longues scènes de sexe plutôt frontales entre des personnes âgées. Il est très rare de voir cela. Hormis une scène réaliste mais bien chaste dans « Le plongeon » sous les pinceaux de Victor Pinel ou la présentation poético-comique de la sexualité du 3e âge par Tiffanie Vande Ghinste dans « Plutôt jouir », le 9 e art semble se censurer sur ce point comme la peinture ou le cinéma, l’éditeur a ainsi cru bon de préciser qu’il s’agissait d’« une bd pour adultes ».
Rappelant certains passages marquant de « L’Amour au temps du choléra » de Gabriel Garcia Marquez, l’absence de pudibonderie dans l’album fait du bien. Elle rappelle que l’essentiel n’est pas la beauté corporelle mais les sentiments éprouvés par les personnages et que la sexualité fait partie intégrante de cette communion.
Alors certes, cette première œuvre n’est pas exempte de défauts : parfois bavarde, elle aurait gagné à être plus condensée avec moins d’intrigues accessoires. On aurait souhaité également que le côté politique/sociologique soit accentué et le trait moins jeté parce que parfois on a du mal à reconnaître les personnages mais « Le Prolongement » est cependant un ouvrage prometteur !

POUR ALLER PLUS LOIN
L’âge de déraison de Dounia Georgeon et Pascal M. Steinkis (2025)

Cette œuvre au si joli titre parle de l’automne de la vie et de l’heure des bilans. Doit-on se résigner à rester dans une routine mortifère parce qu’il est trop tard pour changer le quotidien ou bien peut-on encore faire un pas de côté et sortir des sentiers battus pour se retrouver quitte à sembler « déraisonnable » aux yeux des biens pensants ? Voilà la question que nous pose le personnage de Corinne, une coquette retraitée asphyxiée dans une vie de couple avec Gilles son mari casanier plus colocataire que partenaire… Par petites touches et saynètes, Dounia Georgeon décrit ce quotidien bien terne, la solitude à deux puis l’évolution de sa protagoniste après ses retrouvailles avec une amie d’autrefois, Marthe, aussi expansive, dynamique et émancipée que Corinne est éteinte et ankylosée. Au contact de cette dernière, elle va renaître …
Avec un dessin tout en délicatesse aquarellé et éthéré, Pascal M., auteur d’origine suisse dont c’est ici le premier album, met en scène cette version féminine des « Gens honnêtes » de Gibrat et Durieux. La couverture entre ombres et lumière montre l’évolution du personnage qui danse en pleine lumière en envoyant valser ses pantoufles et s’éloigne de l’obscurité qui symbolisait la vieillesse. Les petites cases en lavis de gris qui introduisent chaque chapitre et s’attachant à un détail de son quotidien (la planche à repasser, le lit vide) présentées dans des lignes géométriques qui soulignent l’enferment se trouvent à la fin remplacées par une grande vignette en couleur. De même, le dessinateur représente la métamorphose de l’héroïne grâce au changement des expressions de son visage : figé, terne, au début, il se transforme peu à peu dans une palette dorée, s’illumine littéralement et rayonne dans un large sourire. Tout est subtilement suggéré d’autant que de nombreuses pages sont muettes.
C’est également le premier scénario BD de Dounia Georgeon, on sent parfois un éparpillement des arcs narratifs mais l’ensemble reste frais et les personnages bien croqués sans être caricaturaux. On aurait aimé un peu plus de folie à la manière de « Plutôt jouir » de Meralli et Vande Ghinste mais cette chronique douce-amère, réconfortante et « senior positive » est malgré tout réjouissante !

Chronique Le plongeon


Chronique Plutôt jouir !

Chronique d’Anne-Laure SEVENO


