MI-MOUCHE


Mi-Mouche

Mi-Mouche
Scénario : Véro Cazot
Dessin : Carole Maurel
Éditeur : Dupuis
64 pages
Prix : 13,50 €
Parution :  23 Mai 2025
ISBN9782808504348

Ce qu’en dit l’éditeur

Jusqu’à onze ans, Colette a vécu dans l’ombre de sa sœur Lison, la plus belle et la plus brillante des deux jumelles. Et puis Lison est morte dans un accident de voiture. Sa mère conduisait : elle a perdu un bras et sa fille préférée. Colette s’acharne à continuer la danse classique où sa sœur excellait, provoquant les sarcasmes de son ombre… Ah oui, parce que depuis la mort de sa sœur, son ombre lui parle et ne se gêne pas pour lui dire ce qu’elle pense. Et autant Colette est timorée et prudente, autant son ombre la pousse à prendre des risques et à réaliser ses rêves.

Puis, un jour, le destin amène Colette dans une salle de boxe… et c’est la révélation ! Et le début des ennuis… 

« Mi-mouche », c’est le poids minimum pour faire des combats de boxe. C’est désormais également une série de bande dessinée d’une grande richesse, passant de la tragédie à la comédie. Avec beaucoup d’humour et – on s’en doute – énormément d’émotion.
Vero Cazot et Carole Maurel nous offrent une héroïne fragile mais un personnage fort. Chétive et surprotégée, Colette a devant elle un chemin semé d’embûches (sociales et familiales) pour parvenir à réaliser son rêve : faire de la boxe !

Âge du lectorat : 12 ans et +

UN CROQUIS PERCUTANT

L’histoire trouve son origine sur … Instagram . Véro Cazot la scénariste tombe par hasard sur « le dessin d’une gamine gringalette à l’air furax , affublée de gants de boxe, qui nous regardait droit dans les yeux » sur le compte de Carole Maurel comme elle le rappelle dans la postface à l’album. Elle n’a encore jamais travaillé avec la dessinatrice malgré leurs thématiques souvent partagées mais, aimantée par ce croquis, elle entre en contact avec la dessinatrice et lui demande si elles pourraient inventer ensemble un parcours à la petite fille du dessin. Le duo se forme bientôt et donne naissance à Colette dont les aventures prépubliées dans Spirou paraissent aux éditions Dupuis. Le premier tome « Tu veux te battre ? » vient de sortir avec le fameux croquis utilisé, trois ans plus tard, en couverture.

COLETTE AU TAPIS

Colette vivait dans l’ombre de sa sœur jumelle, Lison, solaire et charismatique jusqu’au jour où elles eurent un terrible accident. Leur mère conduisait. Elle perdit un bras et Lison mourut.

Depuis ce temps la fillette ne grandit plus et cherche sa place dans le cœur de sa mère. Elle essaye de combler le manque et s’est mise à la danse. Lison était très douée, pas elle. Elle s’est reniée jusque dans sa coiffure (elle a adopté le chignon de ballerine de sa sœur) et le garçon manqué qu’elle était est devenu un pâle clone de la disparue ; jusqu’au jour où …

Cet album tout public traite avec pudeur et intelligence du deuil et les autrices manient la litote et le symbole (le lit vide de Lison où Colette vient se blottir par exemple, la perte d’un bras pour la mère amputée de son enfant …) dans des pages quasi muettes qui font ressentir la douleur indicible de la famille toute entière. Il évoque également le handicap et le harcèlement (Elias le meilleur ami est raillé car il fait de la danse, Colette l’est pour sa petite taille).

« Mi-mouche » c’est la catégorie la plus légère en boxe mais c’est aussi la « moitié » : celle qui a disparu, Lison, pour que Colette se sente complète mais aussi celle qu’elle est devenue : une moitié d’elle- même, son ombre. C’est un motif récurrent de l’album : les autrices utilisent un soupçon de fantastique et créent une ombre qui parle. Celle-ci représente ce qu’aurait été Colette si elle n’avait pas vécu ce drame (elle a la coupe de la fillette dans les premières pages et la taille qu’aurait l’adolescente si elle n’avait pas brutalement cessé de grandir depuis la tragédie). Mais, ce personnage à part entière, confidente imaginaire permettant d’exposer de façon bien plus originale qu’une voix off les pensées de l’héroïne, devient aussi l’équivalent du Jiminy Cricket de Collodi, et un moyen efficace d’incarner l’écartèlement éprouvé face à des injonctions sociétales et maternelles qui contraignent son moi profond. C’est enfin un ressort comique qui allège parfois par son franc-parler des pages riches en émotions.

MONTÉE SUR LE RING : UN BILLY ELLIOT AU FÉMININ

Si Colette est petite, fragilisée par la perte de son double, elle n’en est pas moins forte. Elle va se battre contre sa mère, contre les préjugés, contre elle-même aussi pour pouvoir réaliser son rêve et s’affirmer.

Son parcours (de la danse classique à la boxe) est la trajectoire exactement inverse de celle d’un autre héros populaire tout aussi attachant que la petite Colette : celui éponyme du film Billy Elliot de Stephen Daldry (2000).

La réalisatrice de Joue-la comme Beckham (2002) Gurinder Chadra avait transposé dans le foot féminin les difficultés qu’elle avait eues pour échapper aux injonctions sexistes et culturelles de son milieu avant de devenir metteur en scène. Véro Cazot s’est, quant à elle, inspirée de la « vraie vie » d’une adolescente de son entourage qui pratique les arts martiaux mais également de la boxeuse Sarah Ourahmoune « qui racontait [dans des articles] ses débuts à l’époque où elle était l’une des rares filles à pratiquer ce sport » pour mettre en scène cet itinéraire de résilience et d’accomplissement de soi. Cela donne au récit une dimension authentique loin des mièvreries et de l’édulcoration graphiques ou des poncifs scénaristiques que l’on retrouve souvent dans les animes sportifs féminins.

Si la vie de sa mère s’est arrêtée avec l’accident, si Colette aussi s’est dans un premier temps comme « figée » et endormie dans sa douleur, elle va se réveiller trois ans après le drame. Elle ne va pas effacer le passé mais l’accepter, se libérer de son complexe du survivant, et arrêter de s’empêcher de vivre.

UN UPPERCUT ÉMOTIONNEL

Comme toujours le trait de Maurel a du punch. Il est très dynamique (elle a fait elle-même de la boxe), presque chorégraphié. La dessinatrice retranscrit très bien le mouvement des corps, nous fait sentir l’âpreté des combats, la sueur, la fatigue… Les visages sont très expressifs et l’artiste prête une attention particulière aux regards. Cette histoire douce-amère qui raconte une renaissance joue sur la variation chromatique : les pages après l’accident sont plus noires et la lumière regagne peu à peu du terrain quand la fillette trouve la voie de l’accomplissement. La palette chaleureuse reflète alors le sentiment de bien-être et d’élan vital retrouvé et enveloppe le lecteur sans tomber dans la guimauve écœurante.

Face à ces deux poids lourds de la bd, le lecteur de cette série jeunesse (qui peut faire mouche à bien des âges) baisse alors sa garde et se laisse envahir par l’émotion. On rit, on pleure, on admire, on se révolte, on vibre à l’unisson … on vit ! Et surtout, loin de jeter l’éponge, on attend avec impatience le 2e round à venir ! Coup de cœur.

POUR ALLER PLUS LOIN

Mi-Mouche : la nouvelle héroïne de SPIROU – Spirou

Dargaud réédite cet album paru à l’origine chez Casterman et vainqueur en 2018 du Prix BD Fnac-France Inter. Vaste récit muet, à la manière d’un film avec cartons, Betty Boob nous invite à suivre le parcours d’une femme après une mastectomie. Au lieu de se focaliser sur la maladie et son traitement, la scénariste Véro Cazot s’attache au parcours de reconstruction au sens large.

Au fil des séquences, les autrices évoquent le traumatisme de l’amputation (le cauchemar expressionniste saisissant), la réaction des proches confrontés à une sortie de la norme corporelle ; la médecine à deux vitesses avec la monétarisation des prothèses et une chirurgie réparatrice accessible uniquement aux nantis ; la panique irrépressible à l’idée de perdre ce qui rend normale (la perruque) et le travail de deuil de l’image de soi à effectuer pour Élisabeth.

Le trait caricatural permet de façon saisissante de pointer voire dénoncer le vide, l’incompréhension et la solitude dans lesquels l’héroïne est plongée mais surtout d’éviter le pathos. Le travail graphique de Julie Rocheleau est dynamique, varié et inventif. Elle installe peu à peu la transformation et la renaissance (telle le Phoenix qui jaillissait du sein de l’héroïne sur la couverture originelle) d’Elisabeth en « Betty Boob ». 

Pour y parvenir, les autrices s’appuient sur le burlesque dans tous les sens du terme : avec des courses poursuites littéralement échevelées (Elisabeth court après sa perruque) dignes du comique de geste burlesque du cinéma muet à la Buster Keaton mais également par les numéros de la protagoniste qui reprennent le spectacle d’effeuillage du cabaret qu’on nomme burlesque servant de toile de fond au diptyque de Marini Noir burlesque. Cette dernière dimension donne une teinte « années folles » à l’histoire pourtant contemporaine et à Elisabeth des apparences de Joséphine Baker, des pinups de Vargas et de la …. Betty Boop de Grim Natwick comme le souligne le savoureux jeu de mots onomastique et anglophile du titre.

Tous ces clins d’œil réussissent à nous faire sourire voire rire et fait renaître l’espoir. Un antidote au pessimisme et à l’apitoiement sur soi qu’on vous prescrit d’urgence !

(car il y a certes Gisèle Halimi mais également le combat de Michèle Chevalier et sa fille Marie Claire auxquelles les autrices rendent hommage).

Chronique d’Anne-Laure SEVENO


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