Expo Cabu:La rafle du Vel d’hiv


CABU : LA RAFLE DU VEL D’HIV

une expo
UN LIVRE
La rafle du Vel d’hiv
Auteur : Laurent Joly
Dessins : Cabu
Éditeur : Tallandier
58 pages
Prix : 18,00 €
Parution : 10 juin 2022
ISBN : 9791021053984
une rencontre
Rencontre avec Véronique Cabut au Livre sur la Place 2022

Texte et photos d’Anne-Laure GHENO

(Bd Otaku)

UNE ŒUVRE COUP DE POING : LES DESSINS DE LA RAFLE DU VEL D’HIV

PAR CABU EN 1967

UN LIVRE, UNE EXPO

Cette année c’était le triste anniversaire de l’été 42 qui pour la France – donc non seulement à Paris mais aussi dans de nombreuses régions – avait marqué le début des grandes déportations. Le Mémorial de la Shoah voulait donner à la commémoration toute l’ampleur qu’elle nécessitait. Un petit miracle s’est alors produit : Laurent Joly, spécialiste de cette période, et Véronique Cabut sont venus proposer au musée d’organiser une exposition avec les dessins que Cabu avait effectués en 1967 pour illustrer la parution des bonnes feuilles du premier ouvrage à être consacré aux journées du 16 et 17 juillet 1942 : « La Grande Rafle du Vel d’Hiv’ » de Claude Lévy et Paul Tillard, dans l’hebdomadaire : «  Le Nouveau Candide ».  Ce sont ces 17 dessins, jamais exposés depuis leur parution et « contextualisés » par Laurent Joly, que l’on peut découvrir au Mémorial de la Shoah de Paris (depuis le 1er juillet jusqu’au 7 novembre) et dans un livre paru aux éditions Tallandier.

CABU DESSINATEUR DE PRESSE

Quand l’hebdomadaire d’obédience gaulliste fait appel à lui en 1967, Cabu a déjà une carrière établie en tant que bédéaste et dessinateur de presse. Il a publié ses premiers dessins dans « Hara-Kiri » depuis le n°3 jusqu’en 1960 et lorsque ce dernier est interdit par la censure en 1961 pour cause d’ «outrage aux bonnes mœurs », Cabu développe un côté moins satirique en rejoignant l’équipe de « Pilote » et en créant le personnage du Grand Duduche. Il poursuivra sa collaboration au journal satirique à chaque fois qu’il renaîtra de ses cendres et couvrira également pour « Le Figaro » le procès Ben Barka en 1966. Dès ses débuts on voit donc qu’il manie aussi bien la satire que l’émotion et la tendresse.

LE LIVRE CHOC A L’ORIGINE DU PROJET

Le livre de Lévy et Tillard retrace, 25 ans après les faits, grâce à des documents et surtout des témoignages, le déroulement de la rafle des Juifs de Paris et de banlieue : plus de 13 000 personnes, adultes et enfants, sont arrêtées les 16 et 17 juillet 1942. C’est un choc pour beaucoup puisque comme l’indique Laurent Joly « Jusque-là, la vision de la rafle du Vel d’Hiv est extrêmement parcellaire, quand elle n’est pas erronée » : nombre de Français pensent alors qu’elle était le fait de la Gestapo et des autorités allemandes. Mais les deux auteurs anciens résistants déportés démontrent dans leur ouvrage qu’il n’en est rien : le gouvernement de Vichy et la police française ont tout orchestré dans cette funeste entreprise d’épuration, qui mena la plupart des déportés à la mort. Préfacé par Joseph Kessel, il imprime l’expression « Rafle du Vel d’Hiv’ » dans la mémoire collective et impressionna l’opinion par ses récits émouvants portés par la plume de Tillard romancier talentueux primé à de nombreuses reprises.

Véronique Cabut : Cabu et le Vel d’hiv

Cabu lit donc « La Grande rafle du Vel d’Hiv » et en sera durablement ébranlé. Il découvre l’horreur de l’événement avec, sous-jacents, le tri des « fichiers juifs » de recensement, la mobilisation de 4 500 policiers, le parcage des familles, la séparation des enfants… dans ce lieu qui avait été pour lui synonyme de jours heureux. Il choisit anecdotes et scènes marquantes pour réveiller son lecteur et également faire œuvre de pédagogie. Grâce à sa mémoire photographique, il reconstitue de façon ébouriffante un lieu détruit dix ans auparavant où ce natif de Châlons en Champagne ne s’est rendu que deux fois seulement durant son enfance et son adolescence.

Véronique Cabut : Le choc de la lecture

UNE SCENOGRAPHIE IMMERSIVE ET POIGNANTE

La scénographie de l’exposition est remarquable : On y entre par une sorte d’étroit couloir puis l’on débouche sur une pièce fermée où sont reproduits de façon monumentales les 16 dessins (et un inédit) qui furent publiés en quatre livraisons en avril-mai 1967 dans « Le Nouveau Candide ». Au centre, une grande vitrine réalisée spécifiquement pour l’occasion abrite les originaux du dessinateur dans une atmosphère de recueillement créée par l’éclairage tamisé.

Les dessins sont présentés dans l’ordre « chronologique » de la journée : « les équipes d’arrestation », « aux portes des victimes », « les raflés sous escorte policière », « la petite fille », « l’autobus », différentes scènes au Vel d’Hiv, « l’émeute des femmes », « l’évacuation vers les camps du Loiret » pour terminer sur le départ des premiers convois de Drancy et Pithiviers vers Auschwitz … presque comme un chemin de croix.

L’historien du CNRS Laurent Joly a créé des cartels qui permettent une compréhension claire de chaque épisode qui se trouve contextualisé avec des victimes citées nommément des photos et parfois des vidéos de témoignages. On en sort sonné. Comme l’écrit Laurent Joly :

« Cabu est mort le 7 janvier 2015 sous les balles de l’islamisme, dans les locaux de Charlie Hebdo à Paris. Il a dessiné le pire du XXe siècle et a été lui-même la victime du pire du XXIe siècle. Ce destin confère à ses dessins une charge émotionnelle particulière, et pour tout dire vertigineuse. »

DU GRAND ART

Mais c’est également grâce à la virtuosité de Cabu que nous sommes émus et emportés. En effet, nous retrouvons les différentes facettes de son talent : le trait oscillant entre tendresse et empathie pour les victimes (il privilégie d’ailleurs la représentation des enfants) et satire des forces de l’ordre puisqu’il fait le choix militant de ne présenter que des policiers français mais aussi de la France silencieuse : toutes les scènes se déroulent sans témoins extérieurs comme si les gens se désintéressaient par avance du sort réservé aux prisonniers… Les agrandissements nous permettent d’admirer pleinement son sens de la composition et du détail.

Cadrages variés, plongée pour montrer la fatalité écrasante ou au contraire contre-plongée pour souligner la force brutale. Individualisation de tous les personnages même ceux du troisième plan comme son maître Dubout, expressivité des traits et des regards et magnifiques jeux sur la symbolique de l’ombre et de la lumière d’une du Rembrandt qu’il admirait tant tout en flirtant parfois avec l’Expressionisme.

Les originaux permettent quant à eux de restituer les différentes textures et les contrastes quelques peu écrasés par le changement de dimension. On y perçoit aussi les « remords » de l’auteur au sens pictural du terme ; les techniques du dessinateur de presse qui colle, rustine, découpe pour que tout rentre bien dans le cadre. L’œuvre est organique et non figée.

Il faut d’ailleurs signaler que les reproductions des œuvres dans le catalogue d’exposition bénéficient d’une très belle qualité d’impression qui nous permet de nous replonger dans ces admirables illustrations. D’un format BD, Il reprend les explications historiques, les photos des personnes dont nous est racontée l’histoire en regard des illustrations courant sur une page voire une page et demie. Il bénéficie également d’un façonnage soigné : vernis sélectif sur la couverture, papier à l’épais grammage, c’est vraiment un bel objet qu’ont réalisé les éditions Taillandier pour un prix somme toute modique (18€).

Hormis « le départ des autobus », il n’y a pas de photos de la Rafle du Vel d’Hiv. Mais le stylo isographe habité de Cabu comble ce vide. Habilement mis en valeur par une scénographie épurée et efficace ses dessins font office de « coup de poing dans la gueule » et nous rappellent une histoire pas si lointaine en nous questionnant sur la notion de « désobéissance civile ».

Parallèlement aux débuts de l’exposition était inauguré un nouveau lieu de mémoire : l’ancienne gare de Pithiviers d’où partirent six convois vers les camps de la mort transformée en musée. Pour que les jeunes générations n’oublient pas ou découvre cet épisode noir de l’Histoire de France je recommande également l’achat du superbe catalogue d’exposition à tous les CDI de collèges et lycées de France et de Navarre et je rêve de voir cette exposition tourner dans les écoles…

Photo extraite du quotidien « La Montagne » : Véronique Cabut et Laurent Joly devant leur dessin préféré, celui d’une fillette qui réussit à échapper à la rafle des policiers français, tandis que son papa est arrêté.
© Agence DREUX

Memorial de la Shoah

17 Rue Geoffroy Lasnier 75004 jusqu’au 7 novembre

Du dimanche au vendredi de 10h à 18h. Nocturne le jeudi jusqu’à 22h

Entrée gratuite ( exposition Cabu au 3e étage)

POUR ALLER PLUS LOIN

Le livre à l’origine des dessins de Cabu. Il vient d’être réédité par Taillandier. il n’a pas été écrit par des historiens mais par des résistants eux-mêmes déportés. Très littéraire, il se lit de façon passionnante. Comme il contient tout de même quelques erreurs, on pourra si l’on souhaite une restitution plus rigoureuse de l’événement consulter le livre somme de Laurent Joly.

Le documentaire de Patrick Rothman commence par le cèlèbre discours de Jacques Chirac du 16 juillet 1995 et traite du statut des Juifs de 1940 à 1944. On évoque aussi les trois rafles de 1941 dont celle des notables comme des répétitions générales ce celle du Vel d’Hiv’ étudiée à partir de la 28e mn.

Exposition commentée par Laurent Joly

quelques bandes dessinées sur le même sujet

Toutes sont postérieures au discours choc de Jacques Chirac en 1995.

sur cabu lui-même

Sa biographie « Cabu une vie de dessinateur » par Jean-Luc Portet

Le catalogue de l’exposition à L’Hôtel de ville de Paris « Le rire de Cabu »

« Indélébiles » de Luz sur les attentats du 7 janvier 2015 et surtout sur l’aventure « Charlie Hebdo ».


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