UNE EXPO, UN LIVRE :
exposition « La dernière rose de l’été » à la galerie Barbier
et Nachave aux éditions Martin de Halleux
En seulement deux albums, Lucas Harari est devenu une figure marquante du 9e art. Trois ans après son premier opus « L’Aimant » (2017), il faisait paraitre, toujours aux éditions Sarbacane : « La dernière rose de l’été ». Des planches de ces deux albums sont actuellement exposées à la galerie Barbier jusqu’au 8 octobre alors que son troisième ouvrage « Nachave » paraît le 6 octobre.
Texte d’Anne-Laure GHENO
(Bd Otaku)




UN ALBUM POP
Alors que L’Aimant jouait de trois couleurs seulement (bleu et rouge assourdis de noir) et se déroulait dans les Alpes suisses en hiver, La dernière rose de l’été utilise une palette de couleurs plus vives les unes que les autres … Ce côté très pop est renforcé par le façonnage avec les pleines pages de couleur unies qui ponctuent l’album et le scindent en chapitres tout en faisant penser aux différentes « couches » de couleur utilisées en risographie. L’auteur diplômé de l’ENSAD en section « images imprimées » y joue de la technique : on voit des trames apparentes et du grain sur les pages ce qui confère une dimension expérimentale, sensuelle, esthétique et rétro à l’ouvrage.



Une redécouverte

Lucas Harari fonctionne en techniques mixtes : il commence traditionnellement par des crayonnés bleus, puis utilise des pinceaux et de l’encre de chine et numérise ensuite ses planches, les scanne et fait la couleur sur ordinateur en les travaillant à la manière d’une sérigraphie en les « montant » couche après couche. Il rajoute une sorte de grain qui donne un aspect photo argentique. Cela vient de l’Aimant son premier livre (qui constituait également son diplôme de fin d’étude) qu’il avait voulu auto éditer en risographie qui crée des trames aléatoires, un effet sablé, qui casse le froid de l’aplat pur.
Ici, les planches sont dépouillées de leurs couleur (sauf une) ; Elles paraissent donc « à l’os », et on a une nouvelle vision de l’œuvre d’Harari. On aperçoit le bleu des crayonnés mais l’encrage véritablement mis en valeur et l’on perçoit de façon frontale cette beauté du noir et blanc. On passe du pop à l’abrupt style Charles Burns dans les pages nocturnes très encrées et à une ode à la « ligne claire » dans les pages plus dépouillées et blanches.

DU NOIR ET BLANC A LA MASEREEL
L’ensemble est magnifique. Le public ne s’y est pas trompé : c’est déjà un grand succès et les visiteurs de marque y furent nombreux : Jacques Loustal (à qui on compare souvent le style Harari pour ses couleurs pastel), Serge Clerc dont il est l’héritier pour la ligne claire, Jean-Claude Götting avec qui il partage l’amour de l’architecture, du noir et blanc et du « tramé » ou encore Christophe Blain dont il possède le sens du cadrage et de la composition et la cinéphilie.




Une très belle exposition donc ! Un seul petit bémol : On regrettera qu’il y ait très peu d’illustrations supplémentaires à part l’ex-libris conçu pour la librairie « Super Héros » alors que parallèlement à son activité de bédéaste, Lucas Harari effectue moult Illustrations de commande pour la presse, l’édition, des affiches …
Chronique de l’album « La dernière rose de l’été »

Cette symphonie en noir et blanc a comme un goût d’avant-première pour le 3eme ouvrage de l’auteur qui sort le 6 octobre : « Nachave » aux éditions Martin de Halleux dans la collection « 25 images ». Celle-ci reprend le principe de Frans Masereel défini dans son livre « 25 Images de la Passion d’un homme », premier roman sans paroles moderne.


Lucas Harari est le troisième auteur à relever le défi de créer un format court en 25 images, une par page, en noir et blanc, sans textes. Il compose un récit de 25 images muettes et en noir et blanc dans la tradition du roman noir, inspiré par les drames sociaux et les faits divers urbains. La succession inéluctable des images renforce le côté tragique de l’histoire en enfermant à la fois le protagoniste et le lecteur dans un destin/dessin joué d’avance.


L’histoire ? Un adolescent en banlieue connaît un destin tragique contre lequel il n’a pas même eu le temps de se révolter. Pourtant, les signes sont là, « Nachave » (1) : va-t’en, casse-toi, décampe ! Autant de graffitis qui lui disent de fuir, de partir, de s’échapper, mais cela n’a pas suffi…
On admirera dans cet ouvrage la peinture de la banlieue (dans laquelle a grandi Harari) et on y trouvera un complément contemporain à la topographie parisienne dressée par Tardi dans ses albums. A avoir absolument dans sa bibliothèque.
(1) Nachave, nachav, [naʃav] : « va t’en, casse-toi, décampe, file »… Argot manouche, tiré du romani, dérivé de l’indien ancien « naś », s’échapper
