SLAVA


SLAVA

SLAVA
T1 : Après la chute
Scénario : Pierre-Henry Gomont
Dessin : Pierre-Henry Gomont
Éditeur : Dargaud
104 pages
Prix : 20,50 €
Parution : 26 Aout 2022
ISBN 9782505115250

Ce qu’en dit l’éditeur …

Les années 1990, quelque part en Russie. L’URSS a cessé de vivre. Son utopie appartient au passé, tout juste bonne à figurer dans les livres d’histoire. Dans un décor qui fait la part belle à l’immensité des espaces russes autant qu’aux vestiges de l’architecture soviétique, deux maraudeurs se livrent à une activité pour le moins douteuse : mettre la main sur toutes sortes de babioles susceptibles d’intéresser de riches investisseurs.
L’un, Dimitri Lavrine, est un trafiquant sans scrupules. Selon lui, tout s’achète et tout se vend. L’autre, Slava Segalov, ancien étudiant en arts et ex-membre des Jeunesses communistes, a dû renoncer à ses rêves de culture. Il suit Dimitri à contrecœur, déchiré entre son éthique et la dette qu’il a contractée envers ce dernier. Au moment où commence cette histoire, ils sont occupés à récupérer, dans un bâtiment à l’abandon, tout ce qui peut se monnayer. Mais rien ne va se passer comme prévu… 

À travers la destinée tragi-comique de deux pieds nickelés emportés dans la tourmente de l’Histoire, Slava est une saga en trois tomes qui brosse le portrait d’un pays déboussolé, qui amorce une transition incertaine, et annonciateur de la Russie d’aujourd’hui.

SLAVA
T1 : Après la chute

Scénario : Pierre-Henry Gomont
Dessin : Pierre-Henry Gomont
Éditeur : Dargaud
Collection : Les tirages Canal BD
112 pages
Prix : 25,00 €
Parution :  26 Aout 2022
ISBN 9782505119012

Connu pour ses adaptations de romans (« Les nuits de Saturne » et le multi primé « Pereira prétend »), son album partiellement autobiographique « Malaterre » et son récit déjanté inspiré d’une anecdote bien réelle « La fuite du cerveau », Pierre-Henry Gomont revient aux éditions Dargaud et se lance pour la première fois dans une série !

Premier tome d’une trilogie, « Slava : après la chute » se déroule dans un contexte inattendu et met en scène une époque et un lieu que nous connaissons mal : la Russie – non pas celle de Poutine dont on entend bien trop parler, hélas, – mais celle des années Eltsine où les repères vacillèrent par suite d’une transition trop violente après la chute soudaine de l’URSS. « Libérée du joug communiste, la Russie est livrée en pâture au capitalisme sauvage » écrit-il dans sa préface. L’auteur nous surprend donc une fois de plus en se renouvelant. Il lance comme boutade qu’une « BD sur l’ex-URSS c’est un suicide commercial » et avant de le lire, on serait également tenté de le penser ! Comment donc parvient-il à nous faire changer d’avis ?

Une grande première : la série

Ce tome introductif commence au moment où Slava, un artiste peintre sans succès, s’est associé à Lavrine un escroc et trafiquant patenté qui profite de toutes les opportunités qu’offre la chute de l’URSS pour tenter de s’enrichir car « tout s’achète et tout se vend ». Alors qu’ils viennent de piller une impressionnante bâtisse à la gloire du régime délaissée par ses occupants, ils sont attaqués par des brigands et sauvé par la jeune Nina qui, avec son père Volodia, se bat pour sauvegarder la mine qui fait vivre la région…

petite leçon d’économie

Pierre Henry Gomont a fait des études d’économie et de sociologie et s’en sert dans cet album. En dix ans, les Russes et tous les membres de l’ex-URSS ont vécu une transition d’une violence inouïe qui s’est étalée sur plus d’un siècle chez nous, ce que le bédéaste appelle « un précipité du monde moderne ». « L’arrivée du capitalisme dans un pays pas préparé » lui a donc semblé être « un matériau romanesque passionnant ». C’est l’argument principal du roman : comment des conceptions antithétiques (celles communistes de Nadia, capitalistes de Lavrine et plus nuancées de Volodia et Slava) vont s’affronter pour le devenir de la mine.

Mais la leçon d’économie du professeur Gomont est dispensée de façon extrêmement légère et graphique. Ainsi quand dans les premières pages Lavrine explique à son jeune apprenti Slava les tenants et aboutissants du nouveau monde capitaliste qui s’ouvre à eux, tout passe dans la fluidité du dialogue. De même, pour faire comprendre aux mineurs et au lecteur, le tour de passe-passe auquel se livrent les oligarques lors du rachat d’entreprises en faillite avec la vente des actifs, le dessinateur crée une pleine page explicative et graphique dans laquelle Dimitri expose les manigances de façon pédagogique. Des concepts compliqués sont ainsi transmis au lecteur dans une double énonciation de manière ludique et claire, sans parasiter pour autant la narration, comme dans le film « The Big shot » que l’auteur cite comme modèle.

L’ŒIL DU SOCIOLOGUE

Mais plus encore que l’économie, c’est la sociologie qu’il convoque. En effet, lors de ses études d’économie on lui avait présenté les choses de façon extrêmement monolithique : la chute de l’URSS était une bénédiction car elle permettait la libéralisation de l’économie et la libération des peuples. Or, quand il a beaucoup voyagé dans les pays d’Europe centrale durant sa jeunesse et même travaillé là-bas, il a ressenti une nostalgie pour la grandeur perdue et il a lu ensuite les ouvrages de la prix Nobel Svetlana Alexievitch dont le plus connu « La fin de l’homme rouge » retrace ce moment charnière de la fin de l’URSS. Donc, il a voulu témoigner de cela et éviter le manichéisme.

Ce refus va jusque dans sa présentation de l’architecture soviétique : il combat l’idée reçue qu’en URSS l’architecture était monolithique et montre la finesse de l’art dans les vitraux abstraits et colorés ou les lustres arachnéens. Il souligne la splendeur de la nouvelle liturgie du peuple qui a remplacé la liturgie religieuse dans les maisons du peuple telle celle que dépècent les héros à l’ouverture. Le livre est extrêmement documenté, HP Gomont a refait un voyage de repérage en Géorgie et confie volontiers qu’il aurait souhaité être architecte s’il n’avait été auteur.

Cette volonté de neutralité se retrouve aussi dans le portrait assez acide du héros éponyme : peintre qui, pour avoir fondé sa carrière sur l’opposition au régime soviétique, se retrouve décoté après la chute de ce dernier. Cette anecdote permet une légère satire des artistes engagés prosélytes tout en donnant un mode d’emploi de l’écriture « sociologique » de l’album. Gomont met en scène divers personnages qui incarnent différentes attitudes possibles et ne prend pas parti. Il utilise d’ailleurs la voix off, celle de Slava, pour rendre à travers le prisme de son regard, sympathique un Lavrine qu’on aurait pu présenter comme une ordure si l’on avait adopté un point de vue omniscient. L’auteur ne regarde jamais ses personnages de haut ni ne donne de leçons au lecteur.

« Slava, c’est moi! »

WILD WILD EAST

En effet, loin d’être un pensum ou un traité « Après la chute » est tout d’abord un véritable récit d’aventures. Cette ruée vers l’or des années 1990 rappelle celle du XIXe siècle par son aspect sauvage : c’est le règne de la loi du plus fort. Les gens y sont sans foi ni loi. Dès les premières pages ça flingue à tout va ! On y trouve « Le bon » Slava, « la brute » Volodia, « le truand » Lavrine et on y ajoute même la belle Nina, Calamity Jane à la gâchette facile.

Le dessinateur plante la scène dans un décor grandiose en technicolor et en cinémascope. Il dépeint de grandes étendues de désert blanc neigeux ; il consacre de superbes grandes vignettes sur un voire deux strips à la mine  de Tchiatoura creusée au milieu d’un canyon et alimentée par des téléphériques. Ce lieu authentique donne un aspect « Far-West à l’est » à l’album et constitue également un clin d’œil historique car ce fut le premier bastion du bolchevisme au temps où Staline détroussait les trains pour remplir les caisses du parti.

Un western à l’Est

On a donc une sorte de western burlesque. Les personnages s’agitent dans tous les sens. Il y a beaucoup d’énergie dans le trait et plus encore que l’amour des lieux on ressent l‘amour des personnages.

UN HUMOUR DISTANCIÉ ET UN AMOUR DES PERSONNAGES

Les silhouettes sont élastiques, les visages exagérément expressifs voire cartoonesques. Ce style caricatural et jeté, insuffle immédiatement de l’humour et de la légèreté dans un sujet grave. Lavrine est petit et rond et Slava longiligne ce qui donne un côté comique à la Laurel et Hardy mâtinés de Christophe Blain. On serait tenté de parler de « Pieds Nickelés chez les Soviets » mais avec un duo au lieu du trio qui se transforme rapidement en un quatuor.

Au bagout et à la gouaille de Lavrine, succède le personnage « bigger than life » qu’est Volodia, un géant grand buveur de vodka qui se promène en slip tout au long de l’album. Tous deux sont inspirés de personnes ayant réellement existé que le jeune Pierre-Henry Gomont a rencontré durant ses séjours à l’Est. Volodia a le verbe imagé tandis que sa fille Nina a le sens de la répartie. L’auteur nous régale alors de dialogues à la Blier et d’aphorismes à la Audiard qui font souvent mouche.

Les onomatopées en cyrillique donnent l’impression d’être ailleurs et créent comme une bande son. Le dessinateur a imaginé une police de caractère qui rappelle le constructivisme communiste et qui retranscrit de façon phonétique des onomatopées françaises. Il joue beaucoup sur le côté graphique et utilise à plein le langage de la BD : comme dans l’ouvrage précédent, les bulles se déforment, serpentent, bondissent et parfois les mots sont remplacés par des images et cela crée des respirations drolatiques. Enfin, par la voix off de Slava : on obtient une distanciation et un humour un peu désespéré. Là encore Gomont surprend en refusant de traiter cette période sous l’angle du drame et en choisissant la comédie.

Un humour distancié

« Slava » devait au départ s’appeler « Les Nouveaux russes » car cet album évoque l’émergence d’une caste d’oligarques suite au pillage et à la dilapidation de l’héritage soviétique mais ce titre apparaissait à la fois polémique et réducteur. Jean Giono déclarait à propos de « Deux cavaliers de l’orage » :

« Si j’écris l’histoire avant d’avoir trouvé le titre, elle avorte généralement. Il faut un titre, parce que le titre est cette sorte de drapeau vers lequel on se dirige ; le but qu’il faut atteindre, c’est expliquer le titre. « 

Dans ce premier tome, Gomont « explique le titre » : Slava c’est tout à la fois le personnage éponyme qui s’interroge sur le bien-fondé de son art et le rôle de l’artiste, c’est aussi la peinture d’une société en mutation et l’expression d’une âme slave comme le suggèrent les consonnances. Ce titre polysémique et intrigant rend bien compte de la richesse d’une œuvre combinant documentaire, polar économique, critique sociale, causticité, lucidité, humour et tendresse dont on attend avec impatience les deux prochains volets !

NB : les enregistrements ont été effectués lors de la rencontre organisée par Babelio à Paris le 8 septembre 2022 et également lors de l‘ITW qui nous a été accordée par PH Gomont à l’occasion de sa venue au livre sur la place à Nancy le 10 septembre en partenariat avec la librairie La Parenthèse.

POUR ALLER PLUS LOIN
LES SOURCES D’INSPIRATION de PHG

Des films

« Red Army” documentaire de Gabe Polsky (2015)

On lui doit le nom du protagoniste de l’album et les revers du personnage (déclassé)

RED ARMY retrace le destin croisé de l’Union Soviétique et de l’équipe de hockey sur glace surnommée « l’Armée Rouge » : une dynastie unique dans l’histoire du sport. L’ancien capitaine de l’équipe Slava Fetisov revient sur son parcours hors du commun : d’abord adulé en héros national, il sera bientôt condamné comme ennemi politique. La « Red Army » est au cœur de l’histoire sociale, culturelle et politique de son pays : comme l’URSS, elle connaît la grandeur puis la décadence, avant d’être secouée par les bouleversements de la Russie contemporaine.
Red Army raconte l’histoire extraordinaire de la Guerre Froide menée sur la glace, et la vie d’un homme qui a tenu tête au système soviétique.

« The big short » de Adam Mc Kay (2015)

Modèle de narration pour PH Gomont

En 2005, un gestionnaire de fonds américain découvre avant tout le monde, et simplement en observant certains chiffres, qu’une nouvelle dépression économique arrive. Il décide alors de parier contre le marché immobilier florissant : le jour où cette bulle explosera, il fera, lui, d’énormes bénéfices. Les banquiers le prennent pour un gogo et empochent la mise. Une grande partie de « Qui plume qui ? » commence.

Mise en scène comme un reportage en direct, cette histoire véridique, issue du livre-enquête « Le Casse du siècle », de Michael Lewis, devient tantôt farce, tantôt tragédie. Avec une énergie drôle ou mordante, le réalisateur démonte les mécanismes d’un système financier tellement perverti que même les spécialistes n’en voyaient plus les failles. Pour donner du panache à ce sujet sérieux, des stars ont été invitées à camper les busines­smen. Les compositions croustillantes de Christian Bale ou de Brad Pitt donnent du chien à l’exposé, aussi plaisant qu’instructif. — Frédéric Strauss Télérama

Des livres

Svetlana Alexievitch « La fin de l’homme rouge » (adapté en pièce de théâtre par Emmanuel Merieu au théâtre des Bouffes du Nord en 2021-22)

Les « Gus » de Christophe Blain :

pour le découpage, le rythme et le trait

sur slava

Analyse de l’incipit et dans les coulisses de l’album
Les 5 mots de PH Gomont
(rencontre Babelio du 8 septembre 2022)

Une exposition

Chronique d’Anne-Laure GHENO

(Bd Otaku)

L’intégralité de l’interview effectuée au Livre sur la place sur « Les sentiers de l’imaginaire » en cliquant sur le lien ci-dessous

:::Les Sentiers de l’Imaginaire::: (sdimag.fr)


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