PERPENDICULAIRE AU SOLEIL

Scénario : Valentine Cuny- Le Callet
Dessin : Valentine Cuny-Le Callet
( & Ronaldo McGirth)
Éditeur : Delcourt
Collection Encrages
436 pages
Prix : 34,95 €
Parution : 31 Août 2022
ISBN 9782413044932
Ce qu’en dit l’éditeur
En 2016, Valentine Cuny-Le Callet entame une correspondance avec Renaldo McGirth, condamné à mort, incarcéré depuis plus de 10 ans en Floride. au fil de leurs lettres, des images qu’ils s’échangent, des rares visites, naît le récit graphique de leurs vies parallèles. Le livre questionne avec une intense émotion la brutalité d’un système carcéral, et l’amitié qui surgit, depuis une cellule de 5m2.


Perpendiculaire au soleil, un album phare de cette rentrée, immense coup de cœur qui vous prend aux tripes et véritable choc graphique. Sur la couverture de cet album de 436 pages paru chez Delcourt, un seul nom : Valentine Cuny-Le Callet. Et pourtant … On tient là entre les mains un album à quatre mains relatant la correspondance écrite et graphique entre l’autrice et un condamné à mort américain, reconnu coupable du meurtre d’une retraitée lors d’un braquage qui a mal tourné. Lui, c’est Renaldo McGirth, dont le nom, législation oblige, ne peut apparaître sur la couverture. Il y bien est présent cependant par le biais de ce titre polysémique énigmatique « Perpendiculaire au soleil », une expression bien à lui, de son portrait réalisé par l’autrice ainsi que par la seule touche de couleur apparaissant sur le dos de l’album et envahissant les pages de garde qui n’est autre qu’un gros plan d’une de ses gouaches. Sur le dos également, en blanc, l’empreinte de sa main …


« J’avais très peu de certitudes, sauf celle que personne ne devrait être condamné à mort »
Très tôt, Valentine Cuny-Le Callet a été confrontée « de façon littéraire » dit-elle, à la peine de mort par l’intermédiaire de la photographie, la littérature, du cinéma : découverte à 10-11 ans de la reproduction de la première photographie d’une exécution par chaise électrique parue dans un journal américain de 1928, lecture de La ligne verte de Stephen King à 13 ans, film La dernière marche de Tim Robbins vu à 15 ans. D’autres éléments vont venir se greffer sur ces premiers chocs culturels et aboutir à son engagement dans ce projet de correspondance avec un condamné à mort.
Qu’est-ce qui en 2016 vous a poussée à participer à ce programme de correspondance qui justement va vous mettre en relation avec Renaldo ? Ce n’est pas anodin, Tout le monde ne s’engage pas, surtout à cet âge-là, dans ce type de démarche …
« En fait, depuis toute jeune, j’ai été sensibilisée à la question de l’incarcération de manière générale en France et ailleurs. Un des amis de ma famille, Nan Aurousseau, a passé un cerain temps derrière les barreaux pour braquage à main armée et quand j’étais petite, il nous parlait de prison à mon frère et à moi, d’abord en adaptant des histoires de prison sous forme d’histoires drôles et au fur à mesure qu’on grandissait, il nous a raconté des choses beaucoup plus dures. Ça a été mon premier contact avec la question de l’incarcération.
Ensuite, le déclic qui fait que je me suis engagée et ai commencé à militer à l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture et de la peine de mort), ça a été les attentats de 2015. À la fin de l’année, la question de la peine de mort était rentrée dans le débat public de manière très brutale en France de nouveau et de manière que j’ai trouvé abslument odieuse de la classe politique française. C’est pour ça que j’ai souhaité m’engager à ma toute petite échelle dans ce programme de correspondance et ce qu’il y a de bien dans ce programme, c’est qi’il ne se fait absolument pas sous la forme de rencontres. On s’inscrit et c’est l’ACAT qui nous met en contact et c’est ainsi que j’ai pu rentrer en contact avec Renaldo qui avait 18 ans au moment de son incarcération. Les études qu’il avait suivies sont du niveau bac aux États-Unis.
Il a été arrêté et condamné pour le meurtre d’une femme retraitée lors du braquage de son domicile. Lui défend son innocence. Moi, ça n’a jamais été mon sujet. C’est à dire qu’en m’engageant dans ce programme de correspondance, j’étais prête à correspondre aussi bien avec quelqu’un de coupable qu’avec quelqu’un qui n’assumait pas ses crimes. Donc cette correspondance, puis les projets de récit et de bande desinée qui ont suivi ne sont pas le sujet d’une contre-enquête, ne se penchent pas sur la question de la culpabilité.«
Propos extraits de la rencontre « Paroles de prison » animée par Sonia Déchamps
Nancy, Le livre sur la Place, 10 septembre 2022

Eh non Valentine à aucun moment ne se penchera sur la question de la culpabilité. Comme elle l’a dit, ce n’est pas le sujet. Le sujet, car elle nous raconte et dessine tout, c’est les raisons de son engagement, la naissance du projet, les diférentes étapes de réalisation de l’album, ses visites à Renaldo lors de son séjour à Chicago où elle a fait une partie de ses études, ses recherches sur l’histoire des États-Unis, le racisme, l’esclavage, son questionnement sur la justice, le système carcéral américain, la censure, la peine de mort …
Mais Perpendiculaire au soleil, c’est aussi une très belle histoire d’amitié entre deux êtres jeunes qui se sont trouvé des points communs : leur amour des mots, du dessin, de la musique. Lui est enfermé, elle, est libre. Dans une de ses premières lettres, il disait vouloir voir le monde par ses yeux. A la fin de l’album il déclarera « tu m’as fait faire partie du monde ».
De la correspondance au récit
Mais comment est née l’idée de relater cette expérience tout d’abord sous la forme d’un livre, puis d’un roman graphique ?

« Un instant après l’autre »
Une correspondance écrite et graphique
Les images sont au cœur même de leur relation et occupent une place essentielle dans ce contexte où la prison exerce un contrôle quasi total sur leurs échanges et censure. Bon nombre des images de la dessinatrice ont été rejetées sous divers prétextes que je vous laisse le soin de découvrir à la lecture de l’album. Depuis le début de leur correspondance, outre les lettres manuscrites, les formulaires relatifs au règlement de la prison (telle la fiche de retour de courrier non autorisé comportant 40 motifs plus une ligne avec la mention « autres » !), les recherches qu’elle effectue pour lui, ils échangent des dessins.
Des représentations graphiques variées
Par ses choix graphiques, l’autrice a voulu rendre compte non seulement de son point de vue à elle mais aussi de celui de Renaldo. Aussi, va-t-elle utiliser deux techniques différentes pour ses représentations.
Renaldo raconte, se raconte : souvenirs d’enfance, moments heureux et malheureux, ses conditions d’incarcération, ses combats. Il se tait aussi quand il traverse des périodes de désespoir, atteint de ce qu’elle appelle « le syndrome du couloir de la mort ». Valentine, elle, dessine. Pour tout ce qui est représentation de son vécu, elle utilisera le crayon gras afin d’obtenir un dessin réaliste le plus détaillé possible. En revanche, pour réinterpréter les souvenirs, les lettres et les pensées de Renaldo ainsi que les scènes fantasmées, en digne héritière de Frans Masereel et Lynn Ward, l’ancienne étudiante à la section image imprimée des Arts déco de Paris, puis de lithographie à la « School of the Art Institute » de Chicago va opter pour la gravure sur bois ou sur lino.



Black and white. Quelques planches faites d’après les photographies de lynchage aux États-Unis sont réalisées en papier brûlé afin d’éviter le voyeurisme sans pour autant édulcorer le sujet. Leur liseré brun orangé est la seule touche de couleur qu’elle s’autorise.

Aux quelques 400 planches de la dessinatrice, viennent s’ajouter une trentaine de dessins de Renaldo. Lui travaille au crayon et au stylo bic noir quand il reproduit l’univers carcéral tel ce dessin de sa cellule vue de l’extérieur. Mais pour les cartes qu’il lui envoie et dans la plupart de ses dessins réalisés eux à la gouache, il fait éclater la couleur en peignant la beauté d’un monde duquel il est exclut.

Les mains, le serpent, la végétation luxuriante














La représentation du corps noir

Mettant son récit en perspective avec le racisme, l’esclavage, la question de représentation du corps noir et plus particulièrement du corps noir en prison s’est vite posée. Valentine Cuny-Le Callet s’est alors penchée sur l’imagerie raciste afin de ne pas reproduire inconsciemment des représentions connotées.

« Je savais que dans mon histoire, j’avais besoin de raconter son enfance, ses gamineries et je n’avais pas envie de me retrouver dans certains travers sachant que dans la bande dessinée, forcément, on simplifie le trait. Et quand on simplifie le trait, à quel moment il s’agit d’un choix graphique et à quel moment, on tombe dans une caricature grotesque ?«
Propos extraits de la rencontre « Paroles de prison » animée par Sonia Déchamps
Nancy, Le livre sur la Place, 10 septembre 2022
Le commentaire de l’autrice sur une planche faisant implicitement référence à l’esclavage.

« Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années.«
Perpendiculaire au soleil ? Un album incontournable, puissant, bouleversant au graphisme sublime dans lequel le talent incontestable de la jeune autrice-dessinatrice qui prépare actuellement une thèse en arts plastiques et création contemporaine à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne éclate à chaque planche. Son projet, intitulé « Témoigner et résister dans le couloir de la mort : contraintes, censure et Do It Yourself », porte sur la pratique des arts plastiques par les détenus condamnés à mort aux États-Unis.
Les enregistements de Valentine Cuny-Le Callet sont tirés de l’entretien réalisé le dimanche 11 septembre 2022 au Livre sur la Place.
POUR ALLER PLUS LOIN
L’album regorge de références historiques, sociétales, artistiques (trois pages sont consacrées en fin d’album aux sources d’inspiration iconographique), Aussi la lecture de l’album offre-t-elle un très grand nombre de pistes d’investigation et d’approfondissement. A chacun de se faire son propre cheminement selon ses aspirations … perpendiculaire au soleil ou sous le soleil exactement …