SÉRAPHINE

Scénario : Marie Desplechin
Dessin : Édith
Éditeur : Rue de Sèvres
110 pages
Prix : 16,00 €
Parution : 5 octobre 2022
ISBN 9782810215270
Ce qu’en dit l’éditeur
Que faire de sa vie quand on a treize ans et qu’on est une fille pauvre, pas laide, sachant lire, sans autre protection que celle d’un vieux curé, d’une tante prostituée et d’une veuve ronchon ? Nonne ? Jamais. Séraphine est trop insolente. Couturière ? Non plus. Elle a trop envie de parler et de voir du monde. Peut-être qu’un jour les femmes pourront devenir juges, gendarmes ou avocats et faire de la politique… Peut-être même qu’un jour Dieu Lui-même sera une femme. Mais, pour l’instant, nous sommes en 1885, à Paris, ou plutôt à Montmartre. Le souvenir de la Commune est encore vif chez les uns. Les autres s’occupent de l’enterrer définitivement en bâtissant, là-haut sur la butte, le Sacré-Cœur. Et Séraphine ne voit qu’une solution pour mener la vie libre et sans misère dont elle rêve : s’en remettre à sainte Rita, la patronne des causes désespérées…
Montmartre, automne 1884, Séraphine, une fillette reçoit la visite du père Sarrault, le curé qui l’a recueilli quand sa mère est morte en couches à l’hospice. C’est son anniversaire. Elle a treize ans et le curé lui offre une médaille de Sainte Rita la patronne des causes désespérées que la fillette ne manquera pas d’invoquer plusieurs fois parce qu’elle est hébergée par Jeanne, une couturière rude à la tâche et taiseuse qui a fait d’elle son apprentie mais Séraphine ne veut pas prendre sa suite parce qu’elle veut découvrir le monde et puis surtout elle aimerait bien savoir ce qu’il est advenu de ses parents et pourquoi l’année de sa naissance semble avoir laissé de vives plaies auprès des gens du faubourg….

A l’origine de cet album, il y a un joli triptyque jeunesse « Les filles du siècle » de Marie Desplechin dont « Séraphine » constitue le deuxième volet et une éditrice visionnaire de Rue de Sèvres, Charlotte Moundic, qui le fait découvrir à Edith. Cette trilogie, dont les deux premiers tomes ont paru en 2005 et 2006 a été rééditée à L’école des Loisirs suite à la sortie du troisième en 2020. Elle aborde la vie de trois jeunes filles de treize ans issues de milieux différents en 1885. Edith aime bien choisir ses scenarios et n’est pas trop friande d’adaptations même si elle en a réalisé une en tant qu’auteur complet « Le jardin de minuit » de Philippa Pearce parue aux éditions Soleil dans la collection « Noctambule » et effectué la mise en images en trois volumes du chef d’œuvre romantique d’Emily Brontë « Les Hauts de Hurlevent » aux côté de Yann pour la défunte collection « Ex-libris » de Delcourt.



Pourtant elle va se laisser convaincre … par ce titre uniquement. C’est décidé, elle n’adaptera pas la trilogie. Mais en quoi « Séraphine » s’inscrit-il dans le corpus édithien ? Et comment se l’est elle approprié ?
UNE HISTOIRE DE LA BELLE-EPOQUE
La fin du XIXe, elle connaît Edith : sa pentalogie « Basil et Victoria » s’y déroule et on y découvre aussi les différentes classes sociales, la pauvreté, les inégalités tout cela à travers les yeux d’enfants. Dans « Le jardin de minuit », de même, lorsque Tom franchit le passage de l’horloge à la treizième heure, il s’y retrouve transporté.
« Séraphine » met aussi en scène les clivages sociaux qui règnent à l’époque à travers le prisme de l’intime ce qui n’est pas sans rappeler également « Les hauts de Hurlevent » (qui se déroulent bien sûr plus tôt !). Comme dans le roman d’Emily Brontë, il apparaît très difficile de sortir de sa classe sociale. Normalement on ne se mélange pas : le personnage d’Achille – nettement moins présent que dans la trilogie- se marginalise par rapport à la haute bourgeoisie dont il est issu tandis que Charlotte réussit seulement en devenant demi-mondaine c’est-à-dire en n’appartenant finalement à aucun des deux mondes qu’elle côtoie. Il règne une sorte de fatalisme et l’autrice, grâce au personnage de Mistigri, nous montre le dénuement qui régnait dans les faubourgs, sans pathos, mais de façon factuelle et empathique à la fois puisque la jeune héroïne cherche à améliorer la condition de ce gamin des rues. Toutes les pages qui se déroulent dans la rue avec Mistigri ou même dans sa masure sont en teintes éteintes et en camaïeux de marrons et gris et très texturées comme pour montrer le « poids » de la misère et renvoyer à une vie sans espoir comme c’était déjà le cas dans ses œuvres précédentes puisqu’elle a une utilisation narrative des couleurs.

LE MONDE DES ARTS
Edith prend donc grand soin des décors qui même lorsqu’ils ne sont qu’ébauchés demeurent très évocateurs. Et bien sûr, l’histoire se passe à Montmartre comme on le voit dès la longue case inaugurale de l’album ce qui mettait l‘artiste dans son élément. On retrouve en effet ici des lieux de prédilection d’Edith déjà magnifiquement évoqués dans ses collaborations avec Corcal qu’il s’agisse des aventures du petit peintre « Eugène de Tourcoing Startrec » dont le premier tome s’intitulait … « Montmartre no future » paru chez Casterman ou de « La chambre de Lautréamont » aux éditions Futuropolis . Comme dans ces ouvrages, Edith dépeint le monde des artistes non seulement grâce au peintre Raoul, postimpressioniste, mais aussi par ses clins d’œil picturaux à certaines œuvres célèbres de l’époque.


Elle n’a pas voulu reproduire les célèbres toiles de Van Gogh ou d’Utrillo sur les moulins de Montmartre que l’on voit pourtant en pages de garde mais d’autres scènes typiques : ainsi les personnages de « l’Absinthe » de Degas sont présents en arrière plan lors d’une scène au café de Marthe et Eugène , un couple de Caillebotte se fait importuner par des gamins des rues et des danseurs du « Moulin de la galette » de Renoir apparaissent dans la scène finale
Grâce à ces hommages, l’ensemble de l’histoire baigne dans une atmosphère impressionniste et nous replonge dans l’époque, les dernières pages gorgées de soleil dans lesquels l’ombre des feuillages fait des taches sur la robe blanche de l’héroïne éponyme rappelant la peinture de plein air.

DES PERSONNAGES FEMININS HAUTS EN COULEUR
Enfin, dans ses albums, Edith aime mettre en scène, même quand il s’agit d’œuvre pour la jeunesse, des personnages forts. Et là elle est servie sur un plateau par Marie Desplechin ! Les trois personnages féminins principaux : Jeanne, Charlotte et Séraphine ont en effet un caractère affirmé. Les dialogues truculents de l’œuvre source conservés par la scénariste y sont pour beaucoup. Un peu comme Emma G Wilford dans l’album éponyme (avec Zidrou au scénario) elles ne s’en laissent pas conter.

La petite fille et sa tante sont d’ailleurs les seules touches réelles de couleur : la robe rouge de Charlotte tranche sur les tons sourds de la misère et le rose du manteau de l’héroïne, sil permet de la repérer tout de suite au milieu d’une grande case ou de la foule (un peu comme l’avait fait Spielberg dans sa Liste de Schindler) révèle aussi comment elle va réenchanter le monde de ses proches. Certes, ils ne verront pas pour autant la vie en rose, mais elle va s’évertuer tout au long de l’histoire à les rassembler et à se défaire d’un passé trop lourd.


LA COMMUNE EN FILIGRANE
En effet, « Séraphine » c’est aussi un roman d’apprentissage. Tout est vu en focalisation interne et la voix off est celle de la fillette. On a au départ un regard naïf ce cette dernière sur les choses et les gens. Elle accorde ainsi énormément d’importance à Ste Rita et se place sous son haut patronage. Pour autant, elle n’en devient pas « mièvre » car c’est une fillette curieuse qui s’interroge et qui grandit aussi. A la fin de l’album elle entre symboliquement dans l’âge adulte comme « confirmée » par ses proches avec son vêtement blanc et le volume des « Misérables » offert en cadeau. Altruiste, elle prête attention aux autres et acquière presque une conscience politique quand elle se révolte sur le sort des plus démunis.

Mais surtout, orpheline, elle soupçonne un lien entre sa filiation et la Commune et se mettra en quête de ses origines. Levant au gré de ses questions petit à petit la chape de plomb qui pèse sur des souvenirs douloureux de la guerre civile meurtrière qui toucha Paris au printemps 1871, elle permet d’évoquer un épisode de l’Histoire qu’on a tendance à éluder dans des scènes de flashbacks qui tranchent avec le reste du récit par leur monochromie.

Mais nulle pesanteur ni exposé didactique dans cette évocation : ainsi, si certains personnages réels apparaissent telle Louise Michel l’égérie de la Commune et qu’Edith nous la rend identifiable au premier regard, elle ne se départit pas pour autant de son style semi-réaliste et ne recherche pas la précision photographique. De même pour évoquer les journées sanglantes, elle ne produit pas un dessin redondant par rapport au récit de Jeanne avec des cadavres et la Seine rouge de sang mais dessine au contraire, tout dans l’allusion, une place vidée à la hâte (le bottillon en premier plan, le drapeau blanc à terre) et un oiseau mort, victime collatérale, des balles.

Edith prend son temps pour développer les personnages et les arcs narratifs du roman originel qui ‘l’intéressaient avec des pages muettes et des pleines pages. Plus qu’une adaptation (très fidèle) c’est une réappropriation et comme la quintessence de son œuvre précédente. Paradoxalement, d’un roman court, elle a fait une bd plutôt longue maïs dont aucune page n’est superflue. Elle fonctionne beaucoup par ellipses et allusions sans aucun didactisme et sans optimisme béat non plus. Ce roman a priori destiné à la jeunesse est donc bien loin d’être simplet comme ont tendance à juger trop rapidement certains. A l’issue de sa lecture vous n’aurez qu’une envie : en savoir plus sur la Commune et aller vous promener du côté de la Butte !
POUR ALLER PLUS LOIN

Les bandes dessinées d’Edith qui se passent dans l’Angleterre victorienne :


Les bandes dessinées d’Edith sur Montmartre :



Un portrait de femme qui va à l’encontre des normes sociales de son milieu :

Bandes dessinées sur La Commune

Le cri du peuple de Tardi et Vautrin (4 volumes) publié chez Casterman en noir et blanc et initialement à l’italienne entre 2001 et 2004 et adapté du roman du même nom (emprunté au journal de Vallès) de Vautrin paru en 1998. La série est ressortie en intégrale grand format pour les 150 ans de La Commune.
L’action plonge en 1871. L’intrigue suit les aventures de différents personnages pris dans la tourmente des événements : le capitaine Antoine Tarpagnan, passé du côté communard et amoureux de Caf’Conc’ ; Caf’ Conc’, une prostituée et chanteuse parisienne de cabaret, aux mains d’un proxénète puis témoin de la Commune ; Grondin, ancien bagnard à la recherche de Tarpagnan qu’il pense être le meurtrier de sa fille adoptive ; Hippolyte Barthélémy, policier avide d’avancement tentant de résoudre son enquête. Il fait aussi apparaître des personnes réelles mêlées à la Commune, notamment Jules Vallès et Louise Michel, tous deux communards ainsi que, plus brièvement, Georges Clemenceau, maire de Montmartre en 1871, ou Gustave Courbet, peintre. Des événements historiques sont relatés, comme l’abattement de la colonne Vendôme, symbole du bonapartisme, ou encore la destruction de l’Hôtel de Ville par les communards.
Ces personnages et leurs parcours sont surtout un prétexte pour raconter l’histoire de la Commune de Paris, les espoirs qu’elle a suscités et la répression qui s’est abattue sur les « communeux » lors de la Semaine sanglante.

Bourgeon Le temps des cerises (2volumes). L’histoire se situe surtout après la Commune dans le premier tome qui raconte l’arrivée de Klervi Stephan, adolescente bretonne à Paris en février 1885 (époque contemporaine de l’album Séraphine) . Sur le chemin qui la mène de la gare à Montmartre, où l’attendent ses employeurs, elle croise les obsèques de Jules Vallès, le communard et défenseur intransigeant du peuple. Là, Klervi fait la connaissance de Clara et du docteur Lukaz. Seule, ne parlant pas le français, elle rejoint, pour y être servante, l’adresse qui lui a été donnée, en longeant l’immense chantier du futur Sacré-Cœur. Trois ans plus tard, Clara retrouve Klervi par hasard, la tire des mains d’un souteneur et l’accueille chez elle. On y voit beaucoup un Montmartre en pleine mutation (érection du Sacré-Cœur, de nombreux artistes viennent s’y installer etc..) mais le second qui vient de paraître est plus centré sur les 72 jours de la révolte grâce au personnage de Zabo et à son récit . Après avoir vengé Klervi, blessée d’un coup de couteau par son ancien souteneur, cette dernière décide de l’emmener loin de Paris et lui confie au cours du voyage en train qui les conduit en Bretagne les traumatismes qu’elle a subis durant la Semaine sanglante jusqu’à sa déportation en Nouvelle-Calédonie en compagnie de Louise Michel et Henri Rochefort, deux figures de la Commune de Paris…

Jacques Damour de Vincent et Gaël Henry d’après la nouvelle d’Emile Zola aux éditions Sarbacane
Alors qu’il arpente les boulevards d’un Paris transformé, Jacques Damour se souvient de son ancienne vie à Ménilmontant… Ciseleur sur métaux, marié à Félicie, il était pauvre mais heureux avec ses deux enfants, Eugène et Louise. Tout a basculé pendant le siège des Prussiens… C’est le début de la Commune, Berru, un peintre en bâtiment affamé, qui mange bientôt matin et soir chez les Damour, tient des propos enflammés, prône la république, la justice et l’égalité et convainc le père et le fils d aller se battre sur les barricades. Mais Eugène est touché par une balle en pleine poitrine et meurt. Peu de temps après, Jacques Damour est fait prisonnier et est déporté au bagne de Nouméa. Berru, lui, a filé trois jours avant l arrivée des troupes… C’est cet « ami » justement que Damour retrouve par hasard sur le pont Notre-Dame. Berru lui apprend alors que Félicie s’est remariée avec un riche boucher des Batignolles. Les deux hommes, grisés par le vin, partent pour la boucherie… Quelle sera la réaction de Félicie en voyant Damour qu’elle croit mort depuis dix ans ? Eugène va-t-il être vengé ? Et Louise, qu’est-elle devenue ?
Communardes ! de Wilfrid Lupano (scénario) et Jean, Mazel et Fourquemin (dessin) :3 tomes aux éditions Vents d’Ouest.

Malgré l’aspect « pétroleuses » un peu anachronique donné aux héroïnes cette trilogie montre bien le rôle capital qu’eurent les femmes durant le soulèvement. Mêlant personnages de fiction et historiques, le scénariste s’attache à dépeindre la Commune sous l’angle féminin. Un aspect non négligeable de la révolte, illustrée bien sûr par la figure de Louise Michel, mais aussi d’autres, comme ici la baronne russe Élisabeth Dmitrieff, envoyée de Karl Marx et véritable égérie du mouvement, au centre du tome 2, L’aristocrate fantôme, illustré par Anthony Jean et magnifiquement mis en couleurs. Les deux autres figures sont, elles, purement fictionnelles. Le premier tome, Les éléphants rouges, dessiné par Lucy Mazel, centré sur une jeune fille rêveuse de 11 ans se prenant de passion pour les éléphants du Jardin des Plantes, évoque le siège de Paris – et la famine de sa population – prélude à la Commune. Quant au troisième tome, Nous ne dirons rien de leurs femelles, de Xavier Fourquemin, il est une sorte de requiem pour les Communards à travers le destin tragique de Marie, jeune domestique d’une « bonne famille » – aperçue déjà dans le tome 2 – qui va s’engager pour la Commune, en rage contre les bourgeois et les religieuses pour le traitement indigne infligé à son amie Eugénie, fille de ses patrons ayant été mise enceinte.

Les damnés de la Commune 3 tomes aux éditions Delcourt avec son approche inédite d’un récit raconté uniquement à l’aide de gravures d’époque, recadrées, multipliées, mises en scène au profit d’une autre enquête passionnante, celle de l’auteur pour retrouver qui était Lavalette, ce Communard dont il apprend qu’il a habité dans le même immeuble que lui. Il a par ailleurs réalisé un documentaire à partir de ces mêmes documents.

Des Graines sous la neige, Nathalie Lemel Communarde et visionnaire de Roland Michon (scénario) et Laetitia Rouxel (dessin) Locus Solus
Cette communarde bretonne, est moins connue que Louise Michel. Elle en a fait pourtant beaucoup plus. Elle a créé l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés mais ne s’est jamais mise en avant car elle n’a pas laissé d’écrits.

Interview d’Édith sur Séraphine
Chronique d’Anne-Laure GHENO
(Bd Otaku)

