UN CHANT DE NOËL


Un chant de Noël

Un chant de Noël
Scénario : José-Luis Munuera
Dessin : José-Luis Munuera
Couleurs : Sergio Sedyas
Éditeur : Dargaud
80 pages
Prix : 23,00 €
Parution :  10 novembre 2022
ISBN 9782505111559

Ce qu’en dit l’éditeur

Londres, 1843. Tous les habitants, les mieux lotis comme les plus démunis, s’apprêtent à fêter Noël. Tous, à l’exception de Scrooge. 
Aux yeux de cette riche commerçante, insensible au malheur des autres comme à l’atmosphère de liesse qui baigne la cité, seuls le travail et l’argent ont de l’importance. On la dit radine, égoïste et mesquine. Elle préfère considérer qu’elle a l’esprit pratique. Et tandis que les festivités illuminent la ville et le cœur de ses habitants, Scrooge rumine sa misanthropie.

Une nuit, des esprits viennent lui rendre visite. Ils l’emmènent avec eux, à la rencontre de la jeune fille qu’elle était, quelques années plus tôt, lorsque la cupidité n’avait pas encore rongé son cœur. Mais aussi à la découverte de celle qu’elle aurait pu devenir si elle avait choisi la voie de la bonté.

« Silent night, holy night

All is calm, all is bright … »
En cette période de Noël, ce chant serait de circonstance. Mais c’est d’un autre Christmas carol tout aussi célèbre dont il est question ici : celui de Charles Dickens. Alors on peut se douter que la nuit sera loin d’être douce surtout si on ajoute que l’adaptation de ce Chant de Noël aux éditions Dargaud est signée José-Luis Munuera.

Charles Dickens wishes you a Merry Christmas

Qui ne connaît pas le Chant de Noël de Dickens ?

Ebenezer Scrooge, usurier de son état, a tout pour plaire. Ce vieux grippe-sou égoïste, grincheux et misanthrope ne déteste rien tant que les festivités de Noël. Pour lui, ces « sornettes » riment avec gaspillage et paresse. Alors que tout le monde s’apprête à fêter Noël, lui est bien décidé à passer la soirée seul chez lui après avoir décliné l’invitation de son neveu. Seul ? C’est vite dit !

Édition originale de 1843

Une chose est sûre : son ancien associé, Marley, copie conforme de Scrooge, est mort et bien mort sept ans auparavant et pourtant … Cette veille de Noël, il va rendre une petite visite à Scrooge avant que ne viennent à leur tour trois fantômes : L’esprit des Noëls passés de son enfance et sa jeunesse, celui du Noël présent lui dévoilant notamment les festivités chez son neveu et son commis Cratchit auquel il a royalement mais non sans maugréer daigné accorder une journée de congé pour l’occasion et celui des Noëls futurs qui lui donnera à voir sa triste fin s’il ne change pas de comportement et persiste à faire primer l’argent sur l’humanité. Que décidera-t-il au sortir de cette nuit mouvementée ?

Une énième adaptation, à quoi bon ?

Une première ébauche de Scrooge avant que …

Comme il l’avait fait précédemment avec Bartleby, le scribe d’Herman Melville, José-Luis Munuera se saisit d’un grand classique de la littérature et nous offre -c’est Noël- une relecture toute en finesse et plus nuancée que l’original.

On ne compte plus le nombre d’adaptations et ce n’est pas Scrooge McDuck qui me contredira.

D’ailleurs José-Luis Munuera lui-même s’est posé la question du bien fondé de la chose dans la note d’intention envoyée à son éditeur. Eh oui, tel le metteur en scène de théâtre, l’auteur a pour habitude d’écrire des notes d’intention à destination non pas du public mais de son éditeur.

« Comment faire une version qui puisse intéresser le lecteur avec une source qui a été adaptée deux millions de fois du théâtre à la radio, des Muppets à Bill Murray, en dessin animé, en livre, en 3d … une histoire que virtuellement tout le monde connaît ?« 

La solution, il l’a trouvée : le « gender flip » et évidemment, il ne va pas se contenter de changer le genre et les prénoms, il va y voir une opportunité pour pousser la réflexion plus loin et apporter une dimension supplémentaire au récit originel. Partant de l’archétype de l’homme d’affaires, il s’est posé une seconde question :

Alors si on change le genre, ça donne quoi ? Une femme d’affaires, impitoyable, forte, vraiment moderne. Et pas totalement moche.

Elizabeth Scrooge était née.

José-Luis Munuera wishes you un Merry Christmas

Dans sa note d’intention, le bédéiste dit également vouloir conserver deux traits présents chez Dickens : l’humour et le fantastique.

« Les textes de Dickens sont un délice d’humour très fin, très discret. La tradition satirique anglo-saxonne (Swift, Carroll …) est aussi liée au fantastique. Je veux proposer une version visuellement attractive et littéralement plaisante.

Des images fortes, opératiques, théâtrales avec les différents spectres. Une narration visuelle souple qui profite du format roman graphique. Pour bien profiter d’un imaginaire attractif. Je veux un roman illustré dans le sens où le graphisme sera employé à discrétion et sans alibi.

Des visions de Londres sous la neige et sous la misère.

Des effets spéciaux pour les spectres.

Mais aussi de l’humour par les dialogue percutants, solides parfois tirés directement de Dickens … « 

1843 : Munuera n’a pas choisi cette date au hasard puisque c’est celle de la parution (le 19 décembre pour être plus précise) du premier et plus célèbre des cinq contes de Noël publiés par Dickens entre 1843 et 1848.

À travers son adaptation, on retrouve bien les préoccupations sociales de Dickens : la dénonciation de la cupidité des milieux financiers qui sacrifient le bien-être des individus au profit de la rentabilité, le sort des enfants pauvres dans ce Londres industriel de l’ère victorienne à travers les allégories de la misère et l’ignorance représentées par deux enfants dissimulés sous la robe de l’Esprit du Noël présent.

Si José-Luis Munuera conserve bien la trame et les différents évènements de ce conte en cinq couplets, c’est aux personnages, à leur caractère et aux liens qu’il tisse entre eux qu’il va donner une autre consistance. Le vieil Ebenezer Scrooge va donc céder la place à Elizabeth, toute aussi solitaire, avare, égoïste et odieuse que lui. Le neveu ? Une nièce. Et ce n’est pas seulement une posture de scénariste : Ça fonctionne très bien. On comprend mieux le rejet de Scrooge par son père. Dans la version de Munuera, non content d’être autoritaire, il est également profondément misogyne. Avec Elizabeth, Munuera introduit un nouveau point de vue dans le récit : la place de la femme dans la société patriarcale du XIXe siècle victorien.

Ni sainte, ni sorcière

Contrairement à Scrooge qui va passer progressivement des regrets à la rédemption en passant par la compassion, Elizabeth ne lâche rien, argumente, défend ses positions, s’assume totalement et peu lui importe d’être la méchante de l’histoire.

Il y a des scènes très fortes : celle de la confrontation d’Elizabeth avec une autre femme forte de l’histoire, la femme de Cratchit (à qui Munuera a donné plus d’épaisseur que dans la version originelle) qui elle a choisi la voie toute tracée ou bien celle où Elizabeth défie Dieu.

« Dans ce monde, une femme n’a que peu d’options, en réalité, elle n’en a que deux. Être une sainte ou une sorcière. Vous, comme moi savons qu’aucune femme n’est ni tout à fait l’une, ni tout a fait l’autre. » 

Alors Elizabeth a choisi : Pas question d’être la femme dévouée au père d’abord puis à son mari. Battante d’aujourd’hui transposée en plein XIXe siècle, la petite fille solitaire maltraitée par son père a tout sacrifié à son ambition et est devenue cette femme aux réparties cinglantes obsédée par l’argent, indifférente aux autres. Néanmoins, cette nuit va subtilement faire bouger les lignes mais bien malin qui s’en apercevra.

Elisabeth, rédemption ou rébellion ?

Du New-York fantasmé de Bartleby au Londres fantasmé du chant de Noël.

Si je parle de Bartleby paru l’an dernier, c’est que les 2 albums présentent de nombreuses similitudes dans la forme et pourraient faire partie d’une même collection.

Même maquette extrêmement soignée avec une jaquette XXL dont les rabats couvrent presque entièrement les deuxième et troisième de couverture, aucune inscription sur la couverture même de l’album représentant un mur pour Bartleby, la neige pour Un chant de Noël, même papier de qualité, même style graphique et même coloriste : Sedyas.

Enfin, comme dans Bartelby, Munuera manie l’art du découpage et du cadrage à la perfection et graphiquement parlant, des décors fantasmés du Londres victorien où se dressent les cheminées, silhouettes de St Paul’s Cathedral et Big Ben à la représentation toute en finesse, luminosité et transparence des esprits évanescents magnifiés par les couleurs de Sedyas. c’est absolument splendide.

Avec cette version lumineuse au climat plus sombre que la version d’origine, José-Luis Munuera a atteint son but : Jouant sur l’intemporalité et l’universalité de l’oeuvre d’origine, il nous livre là un récit actualisé plus complexe et profond, plus adulte… plus humain, ce qui n’empêche pas la magie d’opérer.

POUR ALLER PLUS LOIN

La chronique de Bartleby


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