NAPHTALINE


Naphtaline

Naphtaline
Scénario : Sole Otero
Dessin : Sole Otero
Éditeur : Ça et là
336 pages
Prix : 25,00 €
Parution :  04 février 2022
ISBN 9782369903000

Ce qu’en dit l’éditeur

Nous sommes en 2001 et l’Argentine est plongée dans une grave crise politique et économique. Rocío, une jeune fille de dix-neuf ans, emménage dans l’ancienne maison de sa grand-mère Vilma, peu de temps après les funérailles de cette dernière.
Dans cet environnement marqué par l’absence, Rocio se remémore la vie de Vilma, une histoire teintée de tragédie qui commence dans les années 1920 en Italie. Les parents de Vilma fuient le pays peu après sa naissance, au moment de l’accession au pouvoir de Mussolini. Arrivés en Argentine sans le sou, ils ne peuvent financer les études de Vilma. Celle-ci doit alors quitter l’école, puis est mariée de force à un voisin après être tombée enceinte et avoir été abandonnée par l’homme avec lequel elle pensait faire sa vie. L’histoire de Vilma dans cette société patriarcale sera une longue suite de désenchantements et de sacrifices, qui la rendront progressivement acariâtre. Vilma terminera sa vie seule, ayant coupé les ponts avec la plupart des membres de sa famille, à l’exception de Rocio. La jeune fille, qui se pose énormément de questions sur son avenir, va tenter de tirer des leçons de cette tragédie familiale.

2001. L’Argentine est plongée dans une grave crise politique et économique. Rocio et ses parents assistent seuls à l’enterrement de la grand-mère paternelle : Vilma. La jeune fille était proche de son aïeule dans son enfance mais plus elle a grandi plus cette dernière l’a repoussée. La voici pourtant qui s’en rapproche symboliquement : elle emménage dans sa maison pour éviter de la laisser vide en ces temps troublés et cela devrait être un lieu propice pour mener ses révisions. Elle vient y emménager aidée de sa meilleure amie Vale et quand elle ouvre la porte elle sent une « odeur chelou » : celle de la naphtaline qui donne son nom à ce copieux roman autobiographique de 330 p ou bien celle des regrets et des rancœurs qui courent dans sa famille et qu’elle va petit à petit (re) découvrir ?

PORTRAIT D’UNE AUTRICE PROMETTEUSE

Récompensé en Espagne par le prix FNAC-Salamandra et celui du festival « Vinetas » de la bande dessinée espagnole et hispanophone de Poitiers « Naphtaline » est le deuxième album publié en France (après « Intense » aux éditions Presque lune) de la jeune dessinatrice argentine Sole Otero aux éditions « Çà et là ». Cette autrice fait partie du collectif latino-américain « Historietas reales » et du collectif international « Chicks on comics » et l’on retrouve bien ces deux dimensions du témoignage réaliste et de l’interrogation sur la place de la femme dans cet album très personnel.

En effet, Rocio c’est un peu Sole. D’ailleurs la jeune héroïne n’est que mollement intéressée par ses études de droit et se passionne pour la photo ; c’est une artiste dans l’âme comme sa créatrice. Et l’on peut dire que cette chronique est une histoire de femmes : on y trouve Vilma, une femme qui n’a pas pu vivre ses rêves ; Antonio, un homme qui n’a pas pu devenir femme et Rocio, une jeune femme qui va tirer parti des leçons du passé pour ne pas redupliquer les mêmes erreurs.

DES HISTOIRES DE FAMILLE

C’est une véritable geste familiale qui s’étend sur 80 ans depuis l’émigration des parents de Vilma en 1923 – peu après la prise de pouvoir de Mussolini – jusqu’à la crise de 2001 qui fut une année tragique pour l’Argentine quand nombre d’habitants venant de la classe moyenne se retrouvèrent sans rien.

L’autrice déclare que l’écriture de cet album lui a en quelque sorte servi de thérapie quand elle a découvert le concept de « constellation familiale » (comment et pourquoi les conflits familiaux se transmettent et perdurent NDLR) et qu’il fait « partie d’un processus de guérison », mais son histoire personnelle pourtant ancrée dans un contexte géopolitique précis renvoie aussi à des problématiques universelles.

A travers cette chronique inspirée de son histoire familiale, Sole Otero aborde ainsi des thématiques majeures, essentielles et universelles : la question du genre et de la sexualité, la politique, les relations familiales, la société argentine patriarcale, l’épanouissement individuel.

UN ROMAN INITIATIQUE

Pour ce faire, Otero met en relation et en écho deux destins à plusieurs décennies d’écart. Rocio « ressemble tant  à [sa]grand-mère » et comme elle, elle a tendance à se replier sur elle-même mais au fur et à mesure que les souvenirs ressurgissent, elle va comprendre et apprendre. C’est donc également un roman graphique d’initiation.

D’ailleurs une partie de la narration est assurée par une voix off en récitatifs avec des ratures qui s’apparente à un journal intime : celui de Rocio ou celui de Sole ? Le scénario, s’il aborde des choses graves et des rêves brisés est aussi très drôle par moments. Un peu comme une comédie à l’italienne ou l’on pleure puis l’on rit ou parfois les deux en même temps.

UN GRAPHISME PERCUTANT

Le graphisme est à l’avenant, la dessinatrice a travaillé pour l’illustration jeunesse et elle conserve un trait rond et doux. Les personnages sont « encombrants » : énormes avec de petites têtes comme s’ils représentaient des individus accablés par le poids du passé. Elle choisit des échelles étonnantes (lorsque Rocio entre dans sa la maison de son aïeule, elle est « géante » car tout lui paraît plus petit que dans ses souvenirs) ou des perspectives axonométriques en pleine page.

Et elle fait preuve d’une très grande ingéniosité dans son utilisation des couleurs qui participe de la fluidité de la narration en délimitant parfaitement les deux époques du récit. Les planches du passé de Vilma et d’Antonio sont ainsi roses tandis que celles consacrées au rêve sont à dominante bleu nuit et celles liées au présent ont des tons jaunes. Le dessin fourmille de petits détails : ainsi les tapisseries permettent par exemple de rendre immédiatement reconnaissable l’époque où l’action se situe (là on retrouve la patte de la designer textile qu’est également Sole Otero).

« Naphtaline » est une vraie réussite. Projet longtemps muri par son autrice (la mort de sa grand-mère en 2006 en est à l’origine), c’est un album poignant qui résonne en nous bien après la lecture. Très maîtrisée tant sur le plan du scénario que du dessin, la narration est inventive qu’il s’agisse de l’utilisation de la voix off ou des graphismes. Sole Otero est actuellement en résidence à Angoulême pour son prochain ouvrage une fiction qui se passe en Argentine avec un peu de magie et d’horreur (des femmes mystérieuses au XVIIIe siècle toujours vivantes au XXIe !). Nous avons hâte de voir comment elle réussira à nous surprendre !


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