Hound Dog

Scénario : Nicolas Pegon
Dessin : Nicolas Pegon
Éditeur : Denoël Graphic
200 pages
Prix : 24,90 €
Parution : 13 avril 2022
ISBN 9782207159064
Ce qu’en dit l’éditeur
César et Alexandre, deux losers magnifiques, et le clébard sans nom qui leur colle au train, sur la piste d’un accident maquillé en meurtre maquillé en suicide (pas forcément dans cet ordre). Une virée funky entre Twin Peaks et Bukowski dans une Amérique périurbaine préapocalyptique sous l’œil impavide et miséricordieux du dieu Elvis…
Après Nicolas Dehghani et son « Ceux qui brûlent », son camarade des Gobelins et cofondateur du collectif CRCR, Nicolas Pegon, s’est lui aussi attaqué au polar urbain dans un ouvrage a priori déroutant mais carrément jubilatoire, paru aux éditions Denoël Graphic, tout récemment récompensé par le fauve polar au 50e festival d’Angoulême.
C’EST L’HISTOIRE D’UN MEC …
Les premières séquences s’enchaînent en apparence sans lien entre elles : on assiste ainsi au brainstorming d’une agence de pub pour le relooking d’une bouteille de whisky, à un show d’Elvis période las Vegas et au réveil du héros de l’histoire : César. Malgré son prénom impérial, celui est un laissé pour compte du rêve américain. Chômeur, dans la cinquantaine, célibataire, il vit en coloc avec un jeune accro aux jeux vidéo et à la réalité virtuelle. Ce dernier s’abrutit en « dézinguant » des viets, César lui ne peut que constater sa décrépitude physique : il perd ses cheveux, prend du bide et ressent des douleurs inexpliquées au bras qui l’empêchent de le bouger. Pour oublier, il s’étourdit de bières, d’antalgiques et de somnifères. Erre de médecin en médecin aussi. Bref, il existe mais ne vit pas.


MON CHIEN STUPIDE
Le grain de sable dans ce quotidien plutôt désespérant, va être l’arrivée imprévue d’un « hound dog » (chien de chasse) venu d’on ne sait où qui va suivre César comme son ombre. Il faut dire qu’ils sont plutôt bien assortis : le premier est quasi mutique, le second n’aboie presque pas et est tout aussi mal proportionné et bedonnant que son nouveau maître… Alexandre (tiens, tiens, un autre prénom prestigieux), le voisin, va se joindre à son ami pour essayer de retrouver le propriétaire du chien. Lui, il a des visions : Dieu lui parle et prend l’apparence du King. Et il a visiblement raté sa vocation ou regardé trop de séries policières car il s’improvise enquêteur pour le meilleur … mais surtout pour le pire !

C’est donc une histoire âpre et désenchantée à la John Fante. Les personnages sont souvent en plans rapprochés et cadrés en plongée. Comme écrasés. On ne voit quasiment jamais le ciel dans les vignettes. Le graphisme souligne à l’encan la désespérance ambiante : malgré les aplats de couleur, le noir domine ; les teintes sont crues et les traits taillés à la serpe à la manière d’un Brüno dans « Tyler Cross » ou « L’homme qui tua Chris Kyle ». D’ailleurs, comme dans ce dernier ouvrage, la mythologie américaine est mise à mal : ici pas de glamour mais une description au scalpel des petites gens victimes de la malbouffe, de la pollution et de l’omniprésence de la société de consommation, des armes et de la publicité. On retrouve d’ailleurs des attributs iconiques américains (dinners, stations-services vintage, gratte-ciels, maisons en bois, forêts, panneaux publicitaires et même les couleurs du Mac do en couverture …) mais, à y bien y regarder, ces lieux jamais nommés sont universels et certains plans dans lesquels apparaissent des barres d’immeubles font penser aussi aux banlieues françaises … la déprime aussi est mondialisée !


DU COTÉ DES FRÈRES COEN
Pourtant, on rit beaucoup en lisant cet album. « Houndog », c’est, en effet, également le titre d’une des chansons les plus emblématiques et rythmées du rock des années 60 immortalisée par le King et sa sémillante chorégraphie. Le refrain est placé en citation inaugurale et on a ainsi dès l’exergue un « tube » au tempo joyeux qui nous trotte dans la tête. Ensuite parce que Pegon, rompu à l’animation, adopte un découpage varié, trépidant, surprenant parfois, et très cinématographique en jouant du gaufrier avec maestria.

Ensuite parce, dès que l’ambiance est un peu trop glauque, survient une scène plus légère – telles celles des rêves dans lesquels apparait Elvis- qui rappellent les séquences oniriques de « The Big Lebowski » ou celles du chien. Enfin, parce que l’auteur met en scène toute une galerie de personnages déjantés (mention spéciale à la voisine survivaliste bodybuildée !) qu’on croirait sortis de « Fargo ». Le duo principal donne lieu à de savoureux échanges comme, par exemple, lorsqu’après avoir entendu une énième version du rêve d’Alexandre dans lequel Elvis lui demande d’être un nouveau Noé, César demande à son ami « il t’a pas demandé de construire un bateau ? » et que ce dernier rétorque « Bah, si, mais bon j’ai déjà du mal avec une étagère Ikea … ». Enfin, l’on goûte aussi bien sûr à la résolution progressive de « l’énigme » qui permet de comprendre à postériori l’hétérogénéité des séquences inaugurales et invite d’emblée à une savoureuse relecture …
« Houndog » est donc une excellente surprise : un album totalement maîtrisé tant sur le fond que sur la forme, moins polar que drame social, jamais larmoyant, divertissant et plus profond qu’il n’y paraît par son jeu sur la sémiotique et les stéréotypes ! A consommer sans modération car à la différence du whisky « Pale Horse » il ne vous vaudra pas de gueule de bois mais une bonne dose de rire (jaune !)

POUR ALLER PLUS LOIN
L’article paru dans Télérama
https://www.telerama.fr/livre/bd-hound-dog-et-ses-monologues-interieurs-de-mecs-nuls-7010362.php
Chronique d’Anne-Laure GHENO
(Bd Otaku)


