DEEP ME : un album,une rencontre


Deep me

Deep me
Scénario : Marc-Antoine Mathieu
Dessin : Marc-Antoine Mathieu
Éditeur : Delcourt
120 pages
Prix : 19,99 €
Parution :  26 octobre 2022
ISBN 9782413044512

Ce qu’en dit l’éditeur

Adam. La première information qui lui soit donnée lorsqu’il reprend conscience est un prénom. Son prénom ? Il tente de s’exprimer mais personne ne l’entend. Et qui sont ces gens ? Des médecins, des policiers, son épouse ? 
Dans ce noir intense, son esprit s’endort et se réveille à intervalle régulier. Une image floue se forme à l’évocation d’un mot, l’Eclipse. Il faut qu’elle se précise encore.

Après l’outrenoir de Pierre Soulages, l’ultra-noir (Vantablack) d’Anish Kapoor, place au storyblack de Marc-Antoine Mathieu. Dans Deep me, thriller psychologique et métaphysique paru aux éditions Delcourt, l’auteur nous immerge dans les abysses de la psyché d’Adam qui tente de sortir de ce qui semble être un coma profond traduit graphiquement par … des cases noires. Un album passionnant, une expérience de lecture incroyable – mais peut-il en être autrement avec Marc-Antoine Mathieu ?

Le premier homme ?

On dit que

l’être ne se forge

une conscience

que dans des situations extrêmes.

Pour ma part,

la solitude, le doute

et la nuit

m’ont façonné.

J’ai tenu tête au néant.

Je suis un trou

dans l’inexistant.

Cette voix off de la quatrième de couverture, on va la retrouver tout au long de l’album.

Qui parle ? De lui, on ne sait rien ou si peu : Adam, c’est ainsi que les autres le nomment. Lui est prisonnier. Prisonnier du noir qui l’enveloppe. Prisonnier de son corps, incapable de bouger, de communiquer avec le monde extérieur. Il entend les autres, mais les autres ne l’entendent pas. Il ne se souvient de rien. Coma ? Locked-in syndrome ? … ?

États de veille et plongées dans le néant se succèdent. Dans son esprit, vont surgir les où, les pourquoi et les comment. Qui est-il ? Où est-il ? Que lui est-il arrivé ? Qui sont ces gens dont il perçoit les voix et qui tiennent des propos pour le moins énigmatiques? Apparemment sa femme, le personnel médical, un inspecteur … Pourquoi les autres ne l’entendent-ils pas ? …

Alors, Adam s’en va-t-en guerre et nous avec lui pour tenter de comprendre et reconstituer les évènements qui l’ont conduit là avec pour seule arme sa réflexion menée à partir des conversations et des sons qu’il perçoit ainsi que d’une image récurrente, bribe de souvenir qui peu à peu va se préciser…

«  La voix en subjectif sur le mode du « je » crée une intimité avec les mots mais cette intimité avec l’ombre, avec l’absence de lumière crée forcément quelque chose de l’ordre de la sensation et peut-être même de l’émotion.« 

L’objet livre, énigmatique boîte noire

Tel certains ouvrages de Soulages, l’album est entièrement noir, d’un noir profond. Le titre ? Noir sur noir. Le texte de la quatrième de couverture ? Noir sur noir. La tranche du livre ? Noire. Seuls le code barre et le logo de Delcourt qui à cette occasion a viré du rouge au gris apporte une nuance à ce noir qui envahit tout.

A nous de décrypter ce qu’il contient telle la boîte noire qui permet de reconstituer ce qui s’est passé avant le crash d’un avion. Boîte noire ou monolithe noir de 2001, odyssée de l’espace ou encore œuvre d’Anish Kapoorune stèle verticale en grès, sur laquelle est plaquée une tablette noire qui s’intitule « Adam » … les références sont multiples, artistiques comme scientifiques, les deux domaines de prédilection de l’auteur.

Marc-Antoine Mathieu, maître ès expérimentation ludique

Cela fait maintenant plus de trente ans que MA Mathieu expérimente et joue avec les codes de la bande dessinée à travers une œuvre en noir et blanc. Tout a commencé au début des années 90 avec « L’origine« , premier volume de ce qui deviendra Julius Corentin Acquefacques, prisonnier des rêves la fameuse série qui l’a rendu célèbre dans laquelle la bd elle-même devient personnage.

Adepte de l’Oubapo, Marc-Antoine Mathieu, n’a depuis cessé d’explorer les champs du possible sous toutes ses formes graphiques et narratives. Pour lui, « créer, c’est mener une série de tâtonnement, d’expérimentation » et « errer de manière à ce que le hasard à un moment donné se présente. » 

Son errance est également nourrie de lectures dans le domaine des sciences surtout mais aussi la littérature, la poésie, l’art en général où il va puiser de quoi faire fonctionner la machine.

Alors expérimentation oui, mais expérimentation extrêmement ludique se jouant des codes graphiques et narratifs et nous faisant dériver dans les limbes de l’espace-temps.

Thriller psychologique, Deep me relève du genre de l’enquête, du policier mais pas que. Il implique aussi de la part du lecteur une participation active dans l’investigation au sens policier mais aussi au sens métaphysique, au sens de plaisir ludique et littéraire qu’on peut prendre à comprendre le fonctionnement du monde dans lequel on est plongé et se forger ainsi son propre point de vue.

Enfermement dans le propos mais contrairement à ce qu’on pourrait croire au prime abord, pas dans la forme. Selon l’auteur, iI y a deux formes d’enfermements en bande dessinée : celui évident de l’enfermement des cases, mais aussi l’enfermement dû au dessin figuratif : l’enfermement graphique des personnages, des décors qui bouchent l’horizon et empêchent le lecteur d’aller voir au-delà d’un décor quelque chose qui serait ailleurs. Avec ses cases noires, Marc-Antoine Mathieu nous conduit vers cet ailleurs.

Le storyblack de Marc-Antoine Mathieu

« Du noir seul, naissent des choses, émergent des choses qu’on ignore évidemment et même certainement des choses inconscientes. « 

Ce ne sont pas des dessins que l’auteur met en scène mais des textes en jouant sur la taille, la forme des bulles, les typographies utilisées, les dégradés de gris du fond des bulles et leur organisation dans l’espace.

Et les cases noires succèdent aux cases noires, rythmées par les bulles délivrant des propos énigmatiques qui peu à peu font avancer l’intrigue.

« Dans des cases noires, je fais un peu le pari un peu métaphysique que des images mentales se font jour dans l’imaginaire du lecteur au moment où il se laisse embarquer par ce code très particulier, dans ce dispositif qui s’appelle bd : bulle, texte, image, espace intericonique « 

Et ça fonctionne ! Les cases noires deviennent écrans noirs sur lesquels le lecteur va projeter les images qu’il se créée au fur à mesure.

Une conscience fondue au noir

L’espace intericonique lui-même est intégré à la narration en virant au gris puis en disparaissant lorsque Adam s’endort ou perd conscience.

Le premier dessin, évocation du premier souvenir d’Adam émergera sous la forme d’une image extrêmement bruitée. Cette scène, élément clé de l’intrigue, reprise maintes fois avec un léger décalage toutefois se fera de plus en plus précise.

Une autre image, celle du labyrinthe omniprésente dans l’œuvre de Marc-Antoine Mathieu surgit ici sous la forme d’un cerveau.

« On est tous un peu coincé dans un labyrinthe. Pour sortir de ce labyrinthe, tous les recoins valent le coup d’être visités, Je pense que c’est un peu ça l’idée; et ici en plus, on peut jouer avec le noir, un des replis, des recoins des fenêtres du labyrinthe qui s’appelle l’obscurité. » 

Les aficionados de Marc-Antoine Mathieu, au nombre desquels je me trouve, vont se régaler avec cette nouvelle errance jouissive, ce polar dans lequel conversent philosophie et science, cette introspection métaphysique d’Adam ? … de l’auteur ? … du lecteur ?

Pour les autres, c’est une excellente entrée en matière dans son univers du « Grand Rien ».

Vous ai-je dit que Deep me est le premier volet d’un diptyque ?

« C’est peut-être mon livre où science et art fusionnent le plus. Ils sont beaucoup plus cousins qu’on voudrait croire. Artistes et scientifiques ont la même démarche : ils cherchent pour s’ouvrir au monde et créer de nouvelles voies.« 

Les propos de Marc-Antoine Mathieu sont tirés de la rencontre du samedi 19 novembre 2022 lors du festival bd BOUM Blois au café Fluxus de la Fondation du doute (ça ne s’invente pas! ) .

POUR ALLER PLUS LOIN

Albums de Marc-Antoine Mathieu

La série

Julius Corentin Acquefacques*, prisonnier des rêves


3 »

Les Sous-sols du Révolu

Otto, L’homme réécrit

Sens

Une boîte contenant des cartes à jouer, un leporello, un ruban

Podcast pour en savoir un peu plus sur son parcours et ses méthodes de travail

Mur dessiné à Angoulême

Un fragment du mur arrière du collège Jules Verne à Angoulême

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