Loo Hui Phang : une expo, trois tables rondes


Loo Hui Phang : une expo, trois tables rondes
au festival SoBD
du 2 au 4 décembre 2022

Loo Hui Phang était l’une des deux invités d’honneur de la 12ème édition du SoBD qui s’est tenue à Paris Halle des Blancs Manteaux du 2 au 4 décembre 2022. Aussi une exposition intitulée Loo Hui Phang Désirs, métamorphoses et disparitions lui a-t-elle été consacrée dans la partie de la halle réservée au Musée éphémère. Pour l’occasion, ont été réunies plus de soixante pièces originales réalisées par les dessinateurs avec lesquelles la scénariste a travaillé : Jean-Pierre Duffour, Philippe Dupuy, Cédric Manche, Hugues Micol, Mickaël Sterckeman et Frederik Peeters. Étaient également présents les extraits de deux films réalisés par Loo Hui Phang.

Portrait d’une artiste protÉiforme

Loo Hui Phang dans son bureau reconstitué pour l’exposition « Écrire est un métier » (Angoulême 2022)

De père chinois et de mère vietnamienne Loo Hui Phang est née au Laos en 1974. Réfugiée politique, sa famille s’installe dans la région de Caen alors qu’elle est âgée d’un an.

Artiste protéiforme abordant des genres très divers, son domaine de prédilection est l’écriture qu’elle va décliner à travers des supports variés : cinéma, vidéo, spectacle vivant, installations, roman, livres jeunesse et à ce jour une douzaine de bandes dessinées. En 2022, elle est la lauréate du prestigieux prix Goscinny qui récompense un auteur de bande dessinée pour la qualité de ses scénarios pout l’album Black-out dessiné par Hugues Micol.

Identité, sexualité et mémoire sont les trois grandes thématiques qui parcourent son œuvre dans un univers souvent onirique.

LE MUSÉE ÉPHÉMÈRE : Désirs, métamorphoses et disparitions

Identité et mémoire

Comme pour beaucoup d’auteurs, les scénarios de Loo Hui Phang se nourrissent de son histoire personnelle. Les deux tomes parus chez Futuropolis de « Cent mille journées de prières » avec Michaël Sterckeman au dessin, parlent du génocide cambodgien raconté à hauteur d’enfant. Le récit de cette tragédie revêt une dimension onirique, comme c’est souvent le cas chez la scénariste.

Sexualité et désir

Panorama

L’album Panorama paru en 2004 aux éditions Atrabile avec Cédric Manche au dessin traite du désir et de la confusion des sentiments dans le Japon des années 20. Ce premier volume d’un triptyque (J’ai tué Géronimo paru en 2007 en étant le second) a été l’objet d’une adaptation cinématographique par Loo Hui Phang en 2006.

Cliquez ci-dessus pour retrouver le teaser sur YouTube (vidéo soumise à une limite d’âge)

L’idée de faire un film d’après sa propre bande dessinée est venue des producteurs qui avaient lu Panorama. Ils ont voulu que ce soit elle qui le réalise en raison de la singularité de son univers. Ce qui l’intéressait dans l’adaptation, c’est le fait que bande dessinée et cinéma n’emploient pas du tout le même langage.

« Une bande dessinée est un livre et on est maitre de sa lecture : on l’arrête quand on veut, on prend le temps qu’on veut. On peut la couper, la reprendre plus tard. Un film a une durée déterminée sur laquelle on n’a pas de prise. On est soumis à une durée et cela va complètement conditionner la narration. D’un point de vue physiologique, l’attention humaine ne peut pas prendre en compte une multitude d’informations. Si vous bombardez un spectateur de personnages, on va s‘embrouiller. Même chose pour l’action s’il se passe trop de choses en même temps. Dans un film, il faut synthétiser. Dans une adaptation, on va être obligé parfois de regrouper plusieurs personnages en un seul, de regrouper des actions et il faut retrouver malgré tout l’essence de cette histoire sous une autre forme. »

L’odeur des garçons affamés

Dans le western L’odeur des garçons affamés paru chez Casterman en 2016 avec Frederik Peeters au dessin, il est question de relations ambigües et d’amours homosexuelles.

« L’odeur des garçons affamés ça évoque l’odeur du désir. Le désir, c’est important dans ce que je raconte. L’écriture est nourrie par le désir même. L’écriture pour moi doit être le désir d’histoire. Je pense que cette expression, c’est comme une incarnation, une image de ce désir. »

LES MÉTAMORPHOSES

L’univers onirique de Loo Hui Phang est peuplé de corps qui se transforment, se métamorphosent : poisson, oiseau, pieuvre.

La relation texte/image

La dernière partie de l’exposition était consacrée à son dernier album Black-out paru chez Futuropois en 2020 avec Hugues Micol au dessin, une histoire du cinéma hollywoodien, côté envers du décor pour les acteurs de couleur.

LES TABLES RONDES

Conférence des invités d’honneur

Cinéphilie : cinéma et BD dans l’oeuvre de Loo Hui Phang

Lors de ces moments d’échange avec l’autre invité d’honneur Pierre Fresnault-Deruelle, Loo Hui Phang nous a éclairés sur ses motivations et ses choix. Tous ses travaux sont des travaux de rencontre. Concernant ses sources d’inspiration, c’est le dessin qui lui donne des envies d’écriture. Elle est revenue sur sa relation avec les différents dessinateurs qu’elle choisit en fonction de ses projets.

Concernant Black-Out, Hugues Micol et elle avaient envie de retravailler ensemble après Le prestige de l’uniforme, album paru en 2005 aux éditions Dupuis. Listant les sujets susceptibles de les intéresser tous deux, ils se sont arrêtés sur le cinéma. Hugues Micol était attiré par l’histoire occulte, la face sombre du cinéma alors que pour Loo Hui Phang, c’était l’occasion de mettre en lumière un autre thème qui lui tient à coeur : l’invisibilité et dans le cas de Black-out, l’invisibilisation des acteurs de couleur dans le cinéma hollywoodien.

The face on the cutting-room floor

« Le cinéma, c’est l’art de faire apparaître et disparaitre des choses et j’avais l’idée d’un acteur qui n’imprimerait pas la pellicule et serait invisible. Et puis en réfléchissant sur cette idée d’invisibilité au cinéma, je suis très vite tombée sur les acteurs ethniques qui sont vraiment des invisibles du cinéma hollywoodien. »

L’invisibilité est une obsession chez elle parce qu’elle l’a vécue dans son enfance, son adolescence en tant qu’émigrée dans les années 70-80 en province. Ils étaient les premiers étrangers à arriver dans cette banlieue de Caen.

« Quand on allumait la télé, on voyait personne qui nous ressemblait à par David Carradine dans Kung-Fu et ce n’est même pas un vrai Chinois. On voyait les films de Bruce Lee et c’était tout. On était comme des vampires qui se regardent dans des miroirs et qui n’ont pas de reflet et je me suis sentie comme un fantôme, comme une invisible pendant des années. »

Le thème de fantôme est également récurrent dans son oeuvre en raison de ses racines et la culture bouddhiste.

« En tant que bouddhistes, mes parents ont un autel des ancêtres dans la maison où il y a les portraits de mes grands-parents. On était environnés de morts et de fantômes et c’était tout à fait normal. Donc j’ai un rapport au réel qui n’est pas tout à fait le même que les autres. Par ailleurs, j’ai aussi une éducation française, rationnelle, si on veut scientifique et moderne, qui remet en question toutes ces croyances; donc je suis entre les deux mais cette question des fantômes, elle est à la fois quotidienne, spirituelle. »

Textes et photos Francine VANHEE

POUR ALLER PLUS LOIN

Petite visite guidée de l’expo

L’exposition « Écrire est un métier » au FIBD Angoulême en 2022

La chronique de l’album


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