LA CONTREBANDE SOCIETY DE FOREST HILLS


La Contrebande Society de Forest Hills

La Contrebande Society de Forest Hills
Scénario : Dave Baker
Dessin : Nicole Goux
Traduction : Marie Lavabre
Éditeur : Sarbacane
224 pages
Prix : 23,00 €
Parution :  01 Février 2023
ISBN 9791040802099

Ce qu’en dit l’éditeur

Quand Kelly, Brooke, Maggie et Melissa achètent le DVD piraté d’un film de Miyazaki, elles ne s’attendent pas à visionner un film d’animation intitulé Super Love XL où le personnage principal, plus « olé olé » que « kawaï », est une humanoïde géante qui tire des rayons laser avec ses seins. Passé le choc — et la fascination, il faut bien le dire —, les filles montent un plan pour revendre des copies de ce film 20 dollars pièce aux garçons de leur école chrétienne très conservatrice. Au début, tout se passe comme prévu. Mais victimes de leur succès, les amies sont vite obligées de produire de nouveaux DVD piratés, s’exposant toujours plus au risque de se faire pincer…

Ajoutez à cela des conflits amoureux au sein de la bande de copines et la situation ne tarde pas à devenir incontrôlable et explosive… !

Après le très remarqué « November », les éditions Sarbacane poursuivent leur publication de titres originellement parus sur le marché américain : « La contrebande Society de Forest Hills » de Nicole Goux (dessin) et Steve Baker (scénario) traduit par Marie Lavabre, un roman graphique de plus de 220 pages en bichromie, fait partie de leurs dernières trouvailles.

2005, Forest Hills California… Vous ne connaissez-pas ? Normal, il s’agit d’une petite bourgade de 9 003 âmes dans la banlieue de San Francisco qui fut une ville minière depuis sa fondation en 1881 jusqu’aux années 1970. Si elle n’est pas devenue une ville fantôme, c’est grâce à son pensionnat. Chrétien. On l’appelle « L’Académie ». Nous allons suivre l’histoire d’une bande de copines. Trois des pensionnaires Brooke, Kelly et Melissa, et une quatrième Maggie, enfant du coin, qui va à l’autre lycée de la ville. Un lycée public…

Je vous arrête tout de suite, ce n’est pas une énième production surfant sur les teen movies genre « High School Musical », les séries mettant en scène amourettes entre cheerleaders et quarterbacks au lycée, ou celles exaltant l’amitié plus forte que toooout à la « Stranger things ». Non : le quatuor n’est pas du tout populaire. Au mieux les filles sont invisibilisées au pire elles sont harcelées. C’est donc un peu une bd « Canada dry » : ça a l’air d’un album young adults plutôt simplet mais ce n’est pas du tout le cas ! Si vous voulez chercher un équivalent télévisuel, prenez les premières saisons de« Glee » pour le jeu sur les clichés, la satire sociale, la galerie de personnages hauts en couleur et les innovations narratives !

UNE BD « COMING OF AGE » ?

Dave Baker scénarise ainsi un univers usé jusqu’à la trame mais parvient à insuffler à la fois irrévérence et nouveauté. D’abord avec l’élément perturbateur : Kelly est une grande fan d’animés et pour égayer leurs « pyjamas partys » chez Maggie , elle convainc ses amies d’acheter des dvds piratés à un type un peu louche. Mais au lieu du « Château dans le Ciel » ou du « Voyage de Chihiro » attendu, elles tombent sur un hentaï : « Super Love XL » avec une femme robot qui lance des lasers par les seins… Là où l’on s’attendrait à une condamnation en bonne et due forme de la part de jeune filles d’un pensionnat chrétien, on a au contraire l’expression 1) d’un certain pragmatisme – elles vont se lancer dans de la contrebande et en revendre des copies aux lycéens en rut de leur académie- 2) la description d’une fascination pour cet univers qui s’offre à elles et les perturbe plus qu’elles ne sauraient le dire. On va donc grâce à cette anecdote plutôt rigolote avoir un portrait très fin des quatre amies et plus particulièrement la description d’un triangle amoureux au sein du quatuor ainsi que l’évocation de leur passage à l’âge adulte.

DES PERSONNAGES HAUT EN COULEUR

On a à la fois un portrait en actes des protagonistes grâce à l’attention portée par Nicole Goux à leurs expressions ( qui rappellent un peu d’ailleurs celles des héros de Miyazaki dont il est tant question dans l’album !) et à sa façon de les faire bouger ou encore grâce à leur façon de parler créée par Steve Baker et non dépourvue de savoureuses punchlines. Mais ce qui est plus novateur, c’est le biais par lequel les deux auteurs dressent un portrait psychologique de leurs héroïnes. En effet, ils créent un genre mixte entre album de Bd et recueil de nouvelles. On observe ainsi régulièrement des pauses narratives avec l’insertion de longs pavés de texte : « Brève histoire de la solitude de Brooke » , « brève histoire de la petite vie de Maggie Hilcot » , « brève histoire du rapport complexe de Kelly à la religion chrétienne » ou même « brève histoire de la chaussette gauche de Melissa Cho » qui sont très variées et se focalisant sur un détail ou offrant un sommaire biographique permettent d’éclairer les personnages.

Ce traitement s’applique aussi aux seconds rôles, de façon plus brève avec des encarts fléchés écrits en bleu qui créent comme un sous-texte aux phylactères (parfois, passé le sentiment de nouveauté, on a même l’impression de trop plein et l’on trouve certaines précisions peu utiles – comme la mention systématique du fait que le personnage soit gaucher ou droitier- qui nuisent plus à la lecture qu’elles ne l’enrichissent). Enfin ils choisissent de multiplier des intrigues secondaires qui reprennent, amplifient ou contredisent l’intrigue principale par le jeu de réfraction qu’elles instaurent. L’histoire de Hank par exemple fait ainsi écho à celle de Melissa et n’est donc pas « hors-sujet » comme on a pu l’écrire. Toutes ces intrigues permettent de dresser un certain état des lieux plutôt désespéré de la jeunesse américaine.

PORTRAIT D’UNE CERTAINE AMÉRIQUE

Forest Hills, un nom passe-partout : des villes qui portent ce nom, il y en a des centaines aux USA. On en trouve également avec ou sans « S » en Californie. Qu’elle soit réelle ou fictive, peu importe. Elle est emblématique d’une certaine Amérique : une Amérique entre deux eaux, plus vraiment industrielle, pas vraiment autre chose … Une Amérique « en apnée » qui va souffrir encore davantage quelques années plus tard avec la Crise. Une Amérique dans laquelle on ne rêve plus vraiment ou bien seulement d’une veste stylée (qui permet à l’occasion d’égratigner l’industrie du textile !). Si les traits des personnages sont assez simplifiés, les lieux en revanche sont transcrits de façon extrêmement réaliste. On admirera ainsi les doubles pages qui ouvrent chaque chapitre et fourmillent de détails. Forest Hills devient ainsi le 5e personnage principal et l’opposant de tous les autres : « on pourrait décrire Forest Hills comme une « petite ville » ce qui est vrai mais ne dit pas grand-chose de la profondeur de sa culture toxique du qu’en dira-t-on alors même qu’on vient de passer le cap d’ un nouveau millénaire (p.41).

Nous ressentons le poids du religieux dans ce milieu fermé. La religion dans cette société est utilisée moins comme un espace de croissance personnelle et de spiritualité que comme une arme pour restreindre, réprimer et contrôler soit les esprits soit les corps (l’animateur prédateur). Les quatre héroïnes ont intégré tous les interdits et les névroses religieuses de leurs parents accentuées par leur internat. Ce déterminisme est souligné grâce à une fin qui est le contraire absolu du « feel good » mais aussi par l’utilisation de la bichromie. La palette simplifiée choisie procure la sensation d’un éclairage à la lumière artificielle : une sorte de néon terne en jaune verdâtre et en combo bleu-gris, qui accentue l’atmosphère pesante.

On émettra cependant un petit bémol : on a bien compris que si trois des quatre protagonistes sont des femmes de couleur (afro américaine, américaine d’origine chinoise et fraîche immigrée saoudienne) et lesbiennes qui plus est, c’est pour dénoncer les inégalités dans une société présentée dans l’album comme très blanche, conservatrice et patriarcale. Mais si en plus on ajoute que la quatrième quoique blanche est en surpoids, on a l’impression que les auteurs s’évertuent à remplir des quotas et ces nouveaux clichés politically correct desservent un peu le propos !

Cependant « La Contrebande Society de Forest Hills » reste une belle lecture ! Avec sa grande variété dans les plans, son jeu sur la taille des cases et la mise en page, le graphisme est extrêmement maîtrisé et agréable. Les deux auteurs dynamitent la comédie ado et la dynamisent tout à la fois offrant plusieurs niveaux de lecture et transforment la comédie teenage en réflexion sociétale. On espère une nouvelle collaboration bientôt et on suivra leurs parutions avec attention !

Chronique d’Anne-Laure GHENO

(Bd Otaku)


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