MONSIEUR APOTHÉOZ


Monsieur Apothéoz

Monsieur Apothéoz
Scénario : Julien Frey
Dessin : Dawid
Éditeur : Vents d’Ouest
120 pages
Prix : 23,00 €
Parution :  11 janvier 2023
ISBN 9782749309606

Ce qu’en dit l’éditeur

« Le succès, c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme »

Dans la famille Apothéoz, l’ambition conduit toujours à une mort d’exception. Convaincu que son nom porte malheur, Théo a décidé de ne jamais rien entreprendre. À 30 ans, il vit de petits boulots et habite chez son père. Il aime Camille depuis l’enfance, mais elle n’en sait rien. Quand Théo rencontre Antoine Pépin, un écrivain en panne d’inspiration, c’est le début d’une étonnante amitié. Ce dernier ne croit pas à la malédiction des Apothéoz et insiste pour l’aider à conquérir Camille…

Le duo Julien Frey et Dawid nous offre une comédie décalée et réjouissante qui nous amène à réfléchir sur nos plus beaux échecs, nos rêves de jeunesse et notre capacité à faire face. Une pépite qui nous redonne le sourire et nous rappelle les vertus des rencontres fortuites. À lire de toute urgence.

Monsieur Apothéoz, comme Monsieur Jourdain pour la prose, fait de l’onomastique « sans le savoir » … et même de l’onomastique antithétique…. Kesako ? Eh bien il a élaboré une croyance selon laquelle son patronyme flamboyant lui porte la guigne ! La preuve ? Depuis qu’ils ont quitté l’île d’Agormos tous ses ancêtres ont été victimes d’une malédiction. Le premier Apothéoz naturalisé s’est ainsi fait tirer comme un lapin par un mari jaloux s’étant trompé de galant, puis son grand-père, invité à un prestigieux débat sur l’ORTF à une heure de grande écoute, a fini en dépression car il a été la risée de tous après des gargouillis intempestifs ou bien encore son père qui, le jour de l’inauguration de sa boulangerie après un dur parcours d’apprenti, a « tué » le maire du village qui s’est étouffé avec l’un de ses gâteaux. Bref à chaque fois qu’ils entreprennent c’est la déveine… Alors Théo a décidé une chose : il ne fera rien. C’est plus sûr… vraiment ?

UN PETIT AIR D’«AMÉLIE POULAIN »

Avec sa palette ocre et sépia, son héros lunaire, un dessin rond et doux presque enfantin, son scooter, son époque non précisée (d’avant les ordinateurs et les téléphones portables) et ses lieux atemporels l’épicerie et la librairie minutieusement détaillés comme naguère le « Café des deux moulins » dans lesquels ne manquent ni un bocal de bonbons ni un grand classique de la littérature, la première collaboration de Julien Frey et Dawid Cathelin parue aux éditions Vents d’Ouest ressemble à un vieux film presque nostalgique. Et dans sa verve poétique ainsi que dans les récitatifs d’ouverture et de clôture, il reprend les codes d’«Amélie Poulain ». Comme l’héroïne du film de Jeunet, Théo bâtit d’ailleurs sa vie sur des croyances.

La rencontre avec Antoine Pépin accentue cette impression. Comme le peintre dans le film auprès d’Amélie, iI se révèle l’adjuvant miracle qui va enfin pousser le héros à sortir de son inaction et à se « réaliser ». Il va ainsi l’encourager à reconquérir son amour de jeunesse, Camille, la belle violoniste.

SATIRE DES LIVRES DE DÉVELOPPEMENT PERSONNEL

Antoine Pépin, selon la logique Apothéoz, c’est en effet quelqu’un qui porte chance ! Ce d’autant plus qu’il est l’auteur de best-sellers de développement personnel. On pourrait donc croire qu’on va tomber dans une bd « feel good » du type de celles de la collection « Le jour où » chez Grand Angle. D’autant que l’ancien professeur de français du héros, Monsieur Albert, qu’ils retrouvent fortuitement dans le bar du village d’enfance de Théo, y va lui aussi de sa citation sentencieuse empruntée à Churchill si typique de ce genre de livre : « le succès c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme » comme le montre par exemple le titre de l’un des « joyaux » de la catégorie : « Ta seconde vie commence lorsque tu sais que tu n’en as qu’une »  empruntée à Lao Tseu.

Mais cet album n’en a que l’apparence. Il en reprend les modalités pour mieux s’en moquer. Toutes les décisions suggérées par le mentor vont apporter leur lot de catastrophes. Il y a une rupture brutale de ton dans l’histoire et le lecteur rit beaucoup, mais jaune (comme la palette principale) devant un humour particulièrement noir….

Antoine Pépin se révèle être un imposteur ; Camille qui aurait dû entrer en thérapie depuis bien longtemps s’est « soignée » à l’aide de ses œuvres et ce n’est pas forcément une réussite tandis que son mari, Dumony, le parangon de ce genre de livre, a une destinée bien contraire à celle qu’il aurait dans ces ouvrages ! On n’est plus chez Jeunet mais chez Dupontel période « Bernie ». Julien Frey égratigne ainsi les livres bien-pensants et mieux-disants et l’histoire devient une comédie noire déjantée. C’est alors qu’en regardant un peu plus attentivement la couverture on peut s’apercevoir que le chromo du scooter a quelques choses d‘inquiétant avec ses coulures qui rappellent non plus de la peinture mais du sang ! Et tout à coup c’est à une autre palette qu’on pense ici : celle des jaunes délavés et des marrons crasseux de Julien Monnier pour la série « RIP ».

UN LIVRE MOINS LÉGER QU’IL N’Y PARAIT

Le passage de la bluette à un univers où tout dérape permet, outre la surprise du lecteur, de réfléchir sur la dynamique familiale et l’on retrouve là quelques thèmes chers au scénariste de « Lisa & Mohamed » et « L’œil du STO ». Les trois protagonistes sont « empêchés » dans leur épanouissement : leurs pères sont inadéquats, trop célèbres ou trop autoritaires et pour survivre ils choisissent qui la fuite, qui la dissimulation, et s’enterrent dans une existence morne et sans intérêt. Mais ils vont se réveiller, cesser d’exister et commencer à vivre. Ainsi sous des dehors légers, les thèmes de la famille, de l’accomplissement, de la réussite sont abordés. Mais bien sûr, pour éviter l’écueil du récit à l’eau de rose ou didactique, la fin ne sera pas celle que l’on attendait … Quoi que ? Et cet ultime retournement apporte une acmé au côté à la fois jubilatoire et désespéré du roman.

« Monsieur Apothéoz » livre sur les échecs est donc une parfaite réussite. Dawid Cathelin jusqu’ici auteur jeunesse (il glisse d’ailleurs des clins d’œil aux éditeurs et scénaristes de sa série « Les Supers » ou ses livres pour primo-lecteurs aux éditions de la Gouttière dans les planches qui se déroulent dans la librairie) fait une entrée en fanfare dans le monde de la BD adulte avec un dessin semi réaliste aux cadrages inventifs, une variation subtile dans sa palette de couleurs, un jeu avec des dessins hors vignettes en noir et blanc. Julien Frey, quant à lui, nous livre savoureux cocktail entre comédie, tragédie et satire. Un album oxymorique drôle et désespéré à consommer sans modération !

POUR ALLER PLUS LOIN

L’interview de Dawid

Chronique d’Anne-Laure GHENO

(Bd Otaku)


Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :