Contrition

Scénario : Carlos Portela
Dessin : Keko
Traduction : Alexandra Carrasco
Éditeur : Denoël Graphic
168 pages
Prix : 25,00 €
Parution : 22 mars 2023
ISBN 9782207169452
Ce qu’en dit l’éditeur
La loi très restrictive de Floride interdit à tout individu condamné pour délit sexuel de vivre à moins de 1 000 pieds d’un endroit où étudient ou jouent des enfants. C’est ce qui fait de Contrition Village un terrible ghetto de pédocriminels, violeurs et harceleurs. Et, forcément, quand une mort bizarre par immolation frappe l’un de ses résidents, l’enquête ne peut prendre qu’un tour de plus en plus noir à mesure qu’elle s’enfonce dans les ténèbres d’une Amérique hantée par le péché.

Contrition, roman graphique de 168 pages paru aux éditions Denoël Graphic sous la plume de Carlos Portela et le pinceau de Keko est un petit chef d’œuvre au scénario d’une extrême subtilité. Il se dévore comme un polar noir de chez noir au suspense savamment orchestré qui entraîne le lecteur non seulement de surprise en surprise mais également de question en question, de réflexion en réflexion philosophiques, éthiques, théologiques en abordant la thématique du mal qui est en nous mais aussi du mal qui gangrène la société aux limbes de Contrition Village, « havre de paix » mais aussi prison à ciel ouvert pour les délinquants sexuels venus y chercher un semblant de vie sociale, chose qui leur est refusée au dehors.
27 mars 2008
Contrition Village, Comté de Palm Beach, Floride


Zoom avant sur une maison en train de brûler. À l’intérieur, un homme assis. Une entrée en matière percutante pour un récit qui ne l’est pas moins. Cette maison, c’est celle de Christian Nowack, résident à Contrition Village, petite localité située dans le comté de Palm Beach qui accueille les délinquants sexuels ayant purgé leur peine venus s’y réfugier en raison du chapitre 775 section 210 des statuts de la Floride qui interdit à tout individu condamné pour délit sexuel de vivre à moins de 300 mètres d’un endroit fréquenté par des enfants : école, crèche, parc ou autre aire de jeux…
Un incendie parfait selon le titre du premier chapitre de ce récit qui en comprend six, trop parfait même selon un pompier présent sur les lieux pour qui cela ressemble fort à une mise en scène telle qu’on peut en voir dans les reconstitutions de crime à la télé. Il n’en fallait pas plus pour que Marcia Harris, reporter au Palm Beach Sun, journal local ne veuille pousser les investigations plus loin contrairement à la police qui elle préférerait classer l’affaire et malgré la réticence du directeur de son journal soucieux de ne pas se mettre les autorités à dos et les tensions que cela va créer au sein de son couple.

C’est alors que tombent les résultats de l’autopsie du corps calciné …

Miracle en Floride
Si Contrition Village est une agglomération fictive, elle n’en est pas moins directement inspirée de Miracle Village dans le comté de Palm Beach également, une communauté fondée à la fin des années 2000 par le pasteur Dick Witherowen qui en a fait un refuge pour les délinquants sexuels non-violents ayant purgé leur peine. Le lotissement cerné d’anciens champs de canne à sucre avait été construit à l’origine pour y loger les saisonniers. Dans le roman, il s’agira de champs de coton, le pasteur Witherowen donnera naissance au révérend Shaw et la ville de Pahokee dont dépend Miracle Village à Nahokee. Pour terminer, signalons que Carlos Portela a eu l’idée de ce scénario après avoir découvert le reportage bien réel réalisé à Miracle Village en 2013 par la photographe Sofia Valiente qui inspirera le personnage d’Erika Carter dans la bd …

De Miracle Village à Contrition Village














Magistral, mon cher Portela !

Si le décor par son authenticité ancre bien l’histoire dans la réalité, le récit n’en est pas moins fictionnel et dévoile l’immense talent de Carlos Portela qui signe-là un scénario digne des plus grands. Critique de cinéma, homme de radio, dialoguiste et scénariste pour la télé, il revient ici au scénario de bande dessinée avec maestria. Rappelons qu’il avait débuté dans la BD en 1983 en fondant le fanzine Interline et est l’auteur de séries telles le diptyque Les Hérésiarques (la seule de ses séries traduite en français) paru en 2002 et 2004 aux Humanoïdes associés.
Ce scénario … un sans-faute ! Un récit non linéaire comme je les aime qui nous embarque dans une enquête aux multiples variations de points de vue, de lieux, d’époques mais sans jamais nous perdre, une narration fluide et efficace où tout passe dans les dialogues d’une extrême justesse, aucun manichéisme mais au contraire une invitation à la réflexion sur l’homme, la société …
Tout cela avec en toile de fond une société déliquescente dans un quartier déshérité, l’un des plus pauvres de Floride dont Marcia témoigne fort bien à travers ses reportages pour le journal.

Marcia et les autres
Marcia, c’est elle notre fil d’Ariane qui va nous guider dans ce récit labyrinthique et nous mener à la rencontre d’une galerie de personnages très justement campés : le révérend Shaw, les membres de la police, Hank son boss, sans oublier ses adjuvantes : Sonia la membre de l’unité de suivi des délinquants sexuels surbookée et Erika la photographe. Et puis bien sûr, on suivra le parcours de Christian Nowack et d’un autre mystérieux personnage clé qu’on aperçoit en quatrième de couverture …

Des personnages bien loin d’être des caricatures : des personnages humains tout simplement et pour certains effroyablement humains.
De La trilogie du moi à Contrition …

À un tel scénario, il fallait un dessinateur à la noirceur de l’enjeu, un maître du noir et blanc. Féru de sujets coups de poing empreints de noirceur, Keko (José Antonio Godoy de son vrai nom) a immédiatement répondu présent. Le Madrilène, s’inscrivant dans la lignée d’Alberto Breccia, avait déjà fait ses preuves à travers la sombre et percutante « trilogie du moi » Moi, Assassin (2014), Moi, fou (2018), Moi, menteur (2021) parue également chez Denoël Graphic sous la plume d’un autre grand scénariste espagnol Antonio Altarriba. Se déroulant respectivement dans le milieu de l’art, de la science, de la politique, cette trilogie, critique acerbe de la société contemporaine espagnole dévoilait le dark side de la ville basque Vitoria.

Le trait de Keko, son encrage puissant mettent particulièrement en valeur les ambiances oppressantes et la tension qui traversent le récit. Par moments, il délaissera son noir et blanc tramé pour un trait simplifié et des aplats pour marquer le passage au virtuel, rendant ainsi le propos encore plus glaçant. Découpage, cadrage, reconstitution des lieux … la représentation graphique est à la hauteur du scénario : parfaite !

« The evil inside us »
Contrition est un récit noir qui ne se ne se contente pas d’être captivant mais, bien que ne tombant jamais dans le sensationnalisme ou le voyeurisme malsain et laissant la violence hors champ est également particulièrement dérangeant en raison des nombreuses questions qu’il soulève, le thème central n’étant autre que la nature humaine et plus précisément le mal qui est en nous. Antonio Altarriba, en fait une très belle analyse dans sa préface intitulée Le diable au corps. Il y est question de doute, de repentir, d’amendement, de pardon, de rédemption, de vengeance, de réinsertion et des réponses appropriées ou pas de notre société.
Contrition … Religion … Rédemption ?
Contrition (théologie chrétienne ) : regret sincère d’une faute, d’un péché ; repentir.
Définition du Petit Larousse
Le choix du titre, « Contrition », ne doit rien au hasard et la dimension religieuse est bien présente à Contrition Village, où le révérend Shaw célèbre la messe tous les samedis et les résidents tentent de trouver recours dans la foi.
«Dans ce pays, si tu commets un délit sexuel, tu es marqué à vie»
Si rédemption il y a, ce ne peut être qu’en ce lieu car depuis 1994 la loi de Megan exige que les autorités policières mettent à la disposition du public toute information concernant les délinquants sexuels enregistrés. Tout citoyen peut avoir accès sur Internet à une base de données où sont fichées les personnes ayant été condamnées pour un délit sexuel. D’où leur difficulté à trouver ensuite un logement, un travail. Lors de son reportage en immersion à Miracle Village, Sophia Valente a rencontré un homme condamné pour avoir uriné en public et qui est donc fiché comme délinquant sexuel avec toutes les conséquences que ça implique …

On ne sort pas indemne de la lecture de Contrition …
« On est des pommes pourries qu’il faut virer du panier. Mais si le panier était pourri, lui aussi? »
POUR ALLER PLUS LOIN
Miracle Village par Sofia Valiente

La trilogie du moi
Scénario Antonio Altarriba, Dessin Keko

Enrique Rodríguez Ramírez est professeur d’Histoire de l’Art à l’université du Pays Basque (où Altarriba a enseigné la littérature française). À 53 ans, il est à l’apogée de sa carrière. Sur le point de devenir le chef de son champ de recherches, en proie aux rivalités académiques, il dirige un groupe d’étude intitulé : «Chair souffrante, la représentation du supplice dans la peinture occidentale.» Bruegel, Grünewald, Goya, Rops, Dix, Grosz, Ensor, Munch, Bacon sont ses compagnons de rêverie et la matière de son travail. Mais sa vraie passion, dans laquelle il s’investit à plein, est plus radicale : l’assassinat considéré comme un des Beaux-Arts.
Enrique Rodríguez Ramírez est professeur d’Histoire de l’Art à l’université du Pays Basque (où Altarriba a enseigné la littérature française). À 53 ans, il est à l’apogée de sa carrière. Sur le point de devenir le chef de son champ de recherches, en proie aux rivalités académiques, il dirige un groupe d’étude intitulé : «Chair souffrante, la représentation du supplice dans la peinture occidentale.» Bruegel, Grünewald, Goya, Rops, Dix, Grosz, Ensor, Munch, Bacon sont ses compagnons de rêverie et la matière de son travail. Mais sa vraie passion, dans laquelle il s’investit à plein, est plus radicale : l’assassinat considéré comme un des Beaux-Arts.
Enrique Rodríguez Ramírez est professeur d’Histoire de l’Art à l’université du Pays Basque (où Altarriba a enseigné la littérature française). À 53 ans, il est à l’apogée de sa carrière. Sur le point de devenir le chef de son champ de recherches, en proie aux rivalités académiques, il dirige un groupe d’étude intitulé : «Chair souffrante, la représentation du supplice dans la peinture occidentale.» Bruegel, Grünewald, Goya, Rops, Dix, Grosz, Ensor, Munch, Bacon sont ses compagnons de rêverie et la matière de son travail. Mais sa vraie passion, dans laquelle il s’investit à plein, est plus radicale : l’assassinat considéré comme un des Beaux-Arts.

Angel Molinos, docteur en psychologie et écrivain raté, basé à Vitoria comme le héros de moi, assassin, travaille pour l’Observatoire des Troubles Mentaux (Otrament), centre de recherche affilié aux Laboratoires Pfizin de Houston, qui suit l’évolution des maladies mentales et teste de nouvelles molécules sur des cobayes humains. Sa mission est d’identifier de nouveaux profils « pathologisables » afin d’aider Pfizin à élargir sa pharmacopée.Les nuits d’Angel sont hantées de cauchemars.
De retour dans son village natal, que des rumeurs d’homosexualité l’ont forcé à quitter à l’âge 16 ans, il retrouve son père atteint d’Alzheimer et renoue avec l’homme, devenu moine, qui l’a initié à l’homoérotisme. Il comprend que son métier est lié à ce trauma : il crée des catégories d’anormalité mentale pour se venger de l’étiquette homosexuelle qui a bouleversé sa vie.
Rentré à Vitoria, il décide de rallier la cause d’un collègue qui prétend dénoncer les pratiques d’Otrament. Mais le lanceur d’alerte a disparu, et Angel trouve devant sa porte la main coupée de ce dernier. Ses employeurs auraient-ils décidé de se débarrasser de lui ? L’inventeur de fausses folies serait-il en train de devenir fou

Adrian Cuadrado est conseiller en communication du Parti Démocratique Populaire, force dominante de l’échiquier politique espagnol vouée à la corruption, aux magouilles financières, aux coups tordus, à la manipulation des consciences et des suffrages.
Roi du storytelling, Adrian est l’un de ces spin doctors chargés de produire la lumière qui illuminera le meilleur profil d’un candidat, en fera un produit désirable pour les électeurs. menteur par vocation, par profession et par nécessité conjugale, il est l’heureux détenteur d’une double vie, entre son épouse et ses deux enfants à Vitoria, et sa maîtresse torride à Madrid.
Pour l’heure, sa mission est de faire entrer dans le grand bain national le jeune élu local Javier Morodo, dont l’homosexualité assumée offrira un gaywashing au Parti, trop longtemps accusé d’homophobie. Tâche élémentaire pour Adrian, que vient compliquer la découverte inopinée de trois têtes coupées de conseillers municipaux artistement conservées dans des bonbonnes en cristal.