Interview Antoine Ozanam : Le dépisteur
Bonjour Antoine, Merci d’avoir bien voulu nous accorder un peu de votre temps. En faisant des recherches sur ce qu’était « un dépisteur », je suis tombée sur l’émission de RFI qui s’appelle « Vous m’en direz des nouvelles » et j’ai ainsi eu l’occasion de découvrir le roman qu’Ariane Bois avait écrit sur le sujet. Or j’ai vu que vous aviez été invité dans l’émission où elle présentait justement « Le gardien de nos frères » donc je me demandais s’il y avait un lien entre ce roman et votre album ?

Tout à fait ! Je présentais l’adaptation du Journal d’Anne Frank et puis évidemment ils ont fait ça bien et ont recoupé avec quelque chose qui était assez proche. On s’est échangé nos livres et j’ai lu le sien. Alors évidemment c’est une fiction et c’est une autre version pour parler des dépisteurs puisque c’est très adolescent presque un roman jeunesse … En tous cas, ça marche très bien avec les ados.
C’est donc ce qui vous a fait découvrir cette réalité historique des dépisteurs ?
Du coup oui ! Je me suis intéressé au sujet parce que je ne connaissais pas du tout les dépisteurs et je me suis dit qu’effectivement une question avait dû se poser à la fin la guerre : « On les a cachés, on fait comment pour les retrouver ? » Parce que souvent les gens qui les avaient cachés se sont retrouvés dans des camps et n’en sont pas revenus…. Je trouvais que c’était pas mal pour créer un personnage récurrent en bande dessinée ; cela pouvait donner lieu à des enquêtes assez intéressantes…
J’ai consulté beaucoup de documents, fait beaucoup trop d’achats de bouquins et puis voilà ! J’ai trouvé un dépisteur qui avait réellement existé et qui m’intéressait ; un historien avait écrit sur lui mais il n’y avait pas assez de matière pour en faire une œuvre biographique alors j’en ai inventé un qui s’en rapproche. Sa motivation première était de retrouver sa sœur et c’est ce que j’ai gardé. J’ai trouvé ça intéressant comme motivation en « sous couche ».

Auparavant, vous l’avez déjà évoqué, vous aviez adapté Le Journal d’Anne Frank donc on trouve dans ces deux albums l’enfance, la Shoah et même l’enfant caché…. C’est un hasard ou c’est quelque chose qui vous passionne ?
Je pense que comme pour toute personne qui a appris qu’il s’est passé ça sur notre planète – j’ai vu « Ombre et brouillard » en CM2 ! – c’est un élément qui qui vous marque et que vous gardez en tête ! Par la suite, professionnellement j’ai fait des cd-roms (truc qui montre que je suis très vieux !) et en fait j’ai travaillé sur un cd-rom en langue anglaise qui s’appelait « Shoah » et qui s’est beaucoup vendu dans le monde. Je m’occupais de la partie vidéo et j’ai dérushé 1500 heures pour en trouver des bonnes, couper dedans et faire du montage.


Donc vous aviez beaucoup de matière première déjà !
C’est-à-dire que c’est un sujet tellement flippant que je m’y suis intéressé et puis les hasards de la vie ont fait qu’à chaque fois ça revient ! Par exemple ce sont les éditions Soleil qui m’ont proposé d’adapter Anne Frank parce que lors de conversations avec les éditeurs j’avais évoqué mon passé professionnel….
Et j’ai aussi connu dans mon enfance dans un village du Lot une femme qu’on appelait « La Tondue » et qui continuait à se raser le crâne tous les deux matins. Elle avait un beau petit crâne tout lisse. On l’avait tondue à la Libération et elle avait du caractère ! Elle m’avait dit « je ne n’admets pas que ça soit la décision des hommes donc J’AI pris la décision que ça serait ma coupe de cheveux » ! A partir du moment où on parlait d’enfants cachés et cetera je me suis dit que ce ne serait pas mal du tout de l’y mettre elle également !
Vous avez dit tout à l’heure que, lorsque vous avez entendu parler des dépisteurs, vous vous étiez tout de suite dit que ça pourrait servir de personnage récurrent. Ça m’amène donc à une question sur le format choisi de publication pur cette première histoire : un diptyque. Est-ce que c’est un choix de votre part ou une décision éditoriale ?
Les deux ! En fait le truc c’est que dans le milieu de l’édition, c’est toujours la même chose : vous proposez une série mais ça ne deviendra une série seulement que s’il y a succès. C’est même fatigant parce que quand j’ai commencé on m’a proposé de faire des séries… C’était formidable mais ça s’arrêtait au bout du tome 2 ! Ça, ça ne s’appelle pas une série, ça s’appelle un échec commercial ! A la fois l’éditeur et le créateur y mettent beaucoup d’investissement et je ne parle pas qu’économiquement ! Donc j’ai opté pour le one shot ; j’y perdais forcément mais en fait ça me permettait quand même d’être jugé sur quelque chose de terminé ! Comme j’ai toujours envie de faire de la série, j’ai parlé avec les éditeurs de chez Glénat et ils m’ont dit : « ce qu’on fait c’est qu’on lance sur un petit cycle rapide et si ça prend on continue et si ça ne prend pas ce petit cycle rapide sera comme un one-shot ».
Donc « Le dépisteur » fait partie de cette possible série en devenir : dans mes petits carnets j’ai de quoi tenir au moins une dizaine d’albums avec des histoires toutes différentes mais on a commencé avec 2 tomes. On aurait pu faire l’histoire qui se passe dans les Pyrénées en tome 1 et l’histoire de La Tondue en 2 ou inversement mais je trouvais ça plus intéressant – d’ailleurs l’éditeur était d’accord – de mêler les deux pour que ça fasse vraiment un diptyque.

Je vous posais cette question parce que dans les retours que vous avez sans doute lus, on ressent un peu de frustration !
Je suis d’accord sur l’idée d’être frustré, mais je trouve que c’est un mal totalement d’époque et je râle à chaque fois parce que je me souviens bien qu’en tant que gamin – je lisais déjà énormément de bd – j’attendais un an, je ne râlais pas, je n’étais pas frustré ou si j’étais frustré en fait ma frustration ne faisait que décupler mon plaisir de l’attente et du rendez-vous … alors il suffit juste d’être au rendez-vous !
Or, maintenant dans l’édition on loupe souvent des rendez-vous. Et si on sort son album au mois d’avril, c’est tous les mois d’avril qu’on doit le faire ! … Et ça c’est magnifique et en plus on peut y penser et si on ne saute pas directement sur une autre série et que d’ailleurs quand arrive le mois d’avril on ne sait plus du tout de quoi parle l’album on le relit ! Pour moi il n’y a aucun problème !
Alors je sais que là aussi j’ai pris ma casquette de vieux mais je pense que c’est un compliment quand on dit que c’est frustrant en fait ! C’est qu’on est rentré dedans ! Cela dit à faire des séries avec un tome 1, un tome 2 ou des petits cycles on sait directement éditorialement qu’on rate tous les prix ; on ne sera pas nominés parce que justement il y a frustration !

Je me permettais de vous poser cette question à cause de « Kléos » un diptyque paru chez Grand Angle : ils ont sorti le tome 1 et finalement ils sortent directement une intégrale au lieu du tome 2. Les lecteurs pourront rapporter leur premier volume et ils ne paieront que la différence pour avoir l’intégrale. Amélie Causse est au dessin et Eacersall au scénario et ce dernier a déclaré qu’au vu des retours qu’ils avaient eu, il considérait que finalement c’était mieux de faire un One shot. Donc quand j’ai commencé à prendre connaissance des retours sur « Le Dépisteur » je me suis demandé si on n’était pas sur le même cas de figure….
Il y a un autre aspect évident dont il faut parler c’est que quand l’éditeur vous dit « on fait un tome un » vous êtes payé une fois donc vous avez une enveloppe … Si vous faites 46 pages et si vous faites 100 pages grosso modo c’est la même enveloppe ! C’est à dire que le prix page est divisé par 2 si vous multipliez le nombre de pages ! C’est automatique, tout le monde vous le dira !
Donc quand on vous propose un diptyque plutôt qu’un one shot et bien en fait on vous propose d’être payé deux fois ! Après – à titre personnel encore parce que je viens d’une génération où les albums ne coutaient pas très cher ce qui m’a permis moi de devenir fan de BD – quand vous avez un album de 46 pages, il est pour l’instant entre 10 et 15€ grosso modo suivant les formats tandis qu’un one shot passe la barre des 25€. Alors certes 25 € c’est moins cher que deux fois 15€, j’en suis conscient, mais dans la tête des gens 25€ c’est 25€ et 25€ ça représente beaucoup d’argent ! Moi je n’aurais jamais pu gamin m’acheter un bouquin à 25€, jamais ! Et je n’aurais donc jamais été fan de Bds.
Mais votre album s’adresse plutôt aux adultes et d’ailleurs on sait tous que mis à part le manga, le public est un public vieillissant … donc est-ce que le prix est vraiment un problème ?
Bien sûr que oui ! Moi par exemple, je ne peux pas me permettre d’acheter six ou sept bd à 25€ ! Et si en plus je n’ai pas que ça comme passion ou que j’aime bien sortir avec les copains et faire une terrasse ou 2 ou je ne sais trop quoi …
Je pensais aussi aux médiathèques et autres…
Oui mais en fait il faut revoir l’entièreté du système ! Dès que vous écrivez un livre qui est acheté en médiathèque vous avez une espèce de revenus parce qu’il y a la Sofia qui qui récupère le droit de médiathèque et c’est aux médiathèques de faire le boulot qui est un boulot titanesque même s’il y a des logiciels maintenant qui permettent d’aider et de comptabiliser le nombre de sorties de l’album c’est quand même un truc un peu incroyable !
Par exemple j’ai une série qui s’appelle Klaws qui est plus pour les enfants et je sais très bien qu’en médiathèque souvent les gamins lisent sur place et ce n’est alors pas comptabilisé … Après c’est un bon système, je trouve ça très bien mais il y a un moment où on peut se dire que puisque le bouquin existe et qu’il est acheté en médiathèque on devrait faire comme pour les DVD et même pour les K7 vidéo à l’époque : le prix d’achat d’un DVD pour une médiathèque n’était pas du tout le même que pour le grand public c’est à dire que si le grand public achetait le DVD à 10€, la médiathèque l’achetait 200 €. Ça simplifierait les choses ! on se ficherait de comptabiliser le nombre de sorties …. Le risque c’est de ne prendre plus justement aucun risque et de se dire bon on ne prend que du Marc Levy. C’est d’ailleurs horrible ! C’est ce que les bibliothèques sont obligées de faire pour faire venir les gens ! Et du coup vous avez sur toutes les médiathèques du « Titeuf » – alors qu’en fait Titeuf n’a peut-être pas besoin d’être dans tous les médiathèques – ou du manga parce que maintenant toutes les médiathèques ont un rayon manga incroyable, alors qu’en fait il n’y a pas besoin puisqu’on aide des gens qui n’ont pas besoin d’être aidés !
Il y a un public vieillissant, il y a de plus en plus d’offres de divertissement autres et les ventes se cassent globalement la figure….
Certes les ventes se cassent la figure mais un album comme Le dépisteur ça peut aussi avoir des droits rachetés pour la télévision ou pour une série ?
Oui, pourquoi pas ? Ça me ferait plaisir à la limite sauf que j’écris de la BD ! il y a souvent des gens qui me posent la question « tu n’as pas envie d’écrire des romans ? » ou « t’as pas envie d’écrire des scénarios pour la télé ? » c’est pas que je n’ai pas envie c’est que je préfère la bande dessinée ! Je suis né avec la bande dessinée et je dis même que la bande dessinée m’a sauvé plein de trucs ! Tout bêtement il a fallu que je fasse un choix : est-ce que je faisais comme les copains et je fumais ma première clope ? ou bien est-ce que je continuais à m’acheter de la BD ? Eh bien je n’ai jamais fumé !
Collection de bd d’Antoine Ozanam

Je viens de la BD, j’aime la BD, j’en bouffe tous les jours, il y en a partout autour de moi et du coup j’en écris ! Et même si c’était adapté – alors ça serait bien … économiquement je vois très bien pourquoi il faut que ça soit adapté ! – après sur « Le Dépisteur » c’est peut-être moins vrai que sur d’autres albums que j’ai faits mais si j’écris la bd j’essaie d’avoir une « patte » bd qui ne serait pas forcément fabuleuse dans un film. Par exemple « Les petits ruisseaux » de Rabaté est un album magnifique mais il devient juste un film de plus ; même chose pour « Les vieux fourneaux » : ce n’est pas que c’est mauvais, c’est que on en enlève tellement que c’est moins bien. De plus le scénario de bande dessinée est forcément plus court et quand vous voulez l’adapter au cinéma soit vous avez un vrai scénariste qui s’en occupe et à ce moment-là on enrichit l’univers soit on met exactement la même chose et dans ce cas-là ça fait un pauvre film !

Mais ça c’est ma vision du truc ; on est quand même sur plein d’ellipses en essayant de donner le plus possible avec un nombre de pages réduit ; on fait la part belle au visuel aussi normalement et l’adaptation ne donnera pas cela ! Il y a certes l’aspect économique mais en même temps je ne suis pas en train de pousser des wagonnets toute la journée, je respire bien tout va bien mais effectivement je pourrais me dire que si j’étais vachement adapté … Enfin j’aurais peur si j’étais terriblement adapté – genre 3 ou 4 albums- de me poser la question par la suite de quelle série je pourrais écrire pour être à tout coup adapté !
Si « Le dépisteur » n’était qu’un prétexte pour faire une série télé je serais vraiment un gros débile car il y a les visuels de Marco, il y a une ambiance … j’aime bien le côté artisanal de la BD on est 2, peut-être 3, on fait notre truc ; on ne coûte vraiment pas cher et on s’amuse ! Il y a des relations humaines qui se créent : Marco je ne le connaissais pas il y a 5 ans et maintenant on s’écrit, on se téléphone …
Vous connaissez déjà la date de publication du 2e tome ?
Je ne la connais pas mais on va essayer de faire en sorte que ça tienne dans l’année. On est rendu à la page 25, on avance, on n’en est qu’à la moitié de l’album, mais on avance !
Vous n’avez aucune crainte que si le succès n’est pas au rendez-vous Glénat ne fasse pas paraître le 2e tome ?
Sur un diptyque non ! j’ai eu une expérience malheureuse d’un triptyque qui n’a jamais vu la fin ! Quand ça arrive c’est super douloureux parce que justement on n’est pas jugé sur l’entièreté de notre histoire. Normalement vu mes rapports avec Glénat, vu que c’est eux qui ont demandé que ça soit en 2 tomes, ils le sortiront. Est-ce qu’ils communiqueront comme ils ont communiqué sur le tome 1 ? Ça certainement pas si le succès n’est pas là, mais oui ça sortira !
Souvent il y a plein de questions qui sont liées à l’économie ; ça me chagrine plus qu’autre chose parce que j’aimerais bien croire que ça ne régit pas complètement le monde mais c’est comme cela et c’est dommage !
Il y a un contexte de surproduction clair au niveau de la BD : avant, il y avait 800 albums ou par an maintenant on a 3500 mais c’est aussi une chance ! On parle toujours de l’aspect négatif mais on a une variété de titres qui est incroyable !

Alors je j’en parlais justement parce que j’ai été un tout petit peu libraire …. Je crois que j’ai occupé à peu près tous les postes possibles dans l’édition de bandes dessinées !- et en fait je suis pratiquement persuadé que depuis 40 ans que je suis la bande dessinée, il y a toujours un même pourcentage de bons albums ! Si on a multiplié par 5 ou 6 la production, les albums excellents se sont eux aussi multipliés par 5 ou 6 ! Dans les années 80 il y avait des pépites des trucs incroyablement intelligents et beaux qui n’ont pourtant pas eu de succès et qui ont disparu et il faudrait un fou pour essayer de rééditer tout ça ! C’étaient vraiment des trucs intelligents … Souvent quand on parle de « bande dessinée adulte » on pense plus à une histoire de fesses qu’autre chose alors que on pourrait se dire que c’est une bande dessinée qui pourrait intéresser « intellectuellement » des adultes ! Je pense par exemple au « Zil Zelub » de Buzzelli, un album incroyablement intelligent qui a été un four éditorial incroyable – s’ils en ont vendu 1000 c’est le grand maximum – et qui pour moi est un pilier sur lequel tous les scénaristes pourraient se reposer en prenant modèle sur sa narration magnifique !
On parlait des médiathèques mais il y a un truc horrible qu’on pratique dans les médiathèques, c’est le désherbage ! Si on fait un parallèle avec ce que ça veut dire pour la nature, on fait la même bêtise ! On devrait essayer de conserver énormément nos livres plutôt que de dire bon ceux-là ne sont pas pris depuis 2 ans, on les vire. Parce que c’est la mémoire vive ! Or l’histoire de la bande dessinée est maltraitée partout : même à Angoulême la bibliothèque du musée de la BD vient de faire un désherbage !
Bibliothèque du musée de la BD Angoulême

Je pensais que c’était comme à la BNF et qu’un exemplaire de chaque album au moins était conservé ?
Il y a une partie où ils stockent tout normalement -je dis bien normalement parce que je pense qu’ils en ont aussi viré quelques-uns – mais le public n’y a pas accès, il n’y a que les chercheurs. Je pourrais aller les voir en disant : « il y a tel bouquin que j’aimerais lire », mais le prêt n’existe pas donc il faudrait le lire sur place. Et puis c’est toujours un peu intimidant : il faut faire une demande écrite et ce n’est pas le meilleur moyen pour avoir accès à la lecture ! Et ça veut dire que le petit Antoine qui avait 15 ans et qui aurait adoré se noyer dans cette bibliothèque ne pouvait pas le faire et c’est couillon !
Rassurez-vous pour « Le dépisteur » il y aura toujours un exemplaire au couvent Sainte-Cécile au moins à Grenoble (Glénat y conserve un exemplaire de chacun des ouvrages parus dans cette maison d’édition depuis sa fondation NDLR) !
Certes mais j’ai écrit 80 livres en tout sous plusieurs pseudos et en fait j’ai constaté que plus de la moitié ne sont plus au catalogue et ne sont plus trouvables que sur des sites de seconde main. On réalise que l’on a passé 20 ans à écrire des bouquins et que plus de la moitié ont disparu …. Alors évidemment ça m’a fait vivre hein c’est cool, mais ce n’est pas suffisant. Il y a des bouquins qui ne pourront plus jamais être édités parce qu’il n’y a plus de fichiers ! Il y a même un éditeur dont je tairais le nom qui nous sortant du catalogue a sorti les fichiers numériques de sa base à vie – ce qui est inadmissible- sans nous les rendre ! L’un des dessinateurs avec qui je bosse a eu un problème de disque dur, ses fichiers étaient en back up chez l’éditeur qui les a virés donc c’est définitivement mort et franchement ça fait verser une petite larme. C’est un peu comme certains films dont les bobines ont été endommagées que on ne peut plus voir ou partiellement.
Fonds Glénat, couvent Ste Cécile Grenoble


Il y a des Henri Langlois pour les sauver !
Oui mais la restauration de bande dessinée ça n’existe que très peu : il y a Les éditions de la cerise qui ont fait un travail magnifique sur un bouquin de Carlos Nine « L’Amirale des mers du Sud » parce que le bouquin n’existait pas en France. Il n’existait qu’en langue espagnole mais pour le marché argentin et les planches avaient été volées par l’éditeur qui était un margoulin ; il n’y avait plus possibilité de les éditer et Les Editions de la cerise ont pris un exemplaire espagnol, ont tout scanné à partir du bouquin, ont tout nettoyé, ont fait un travail de Titan et d’ailleurs ne on voit pas la différence ! C’est une petite goutte d’espoir dans un océan de tristesse parce que tout le monde n’aura pas le droit à ce traitement !
On a beaucoup parlé de l’économie du livre mais on ne parle plus tellement du « Dépisteur » ! Est-ce que nous pourrions revenir sur votre documentation ? J’ai bien compris qu’il y avait 1500 heures de rush pour le cd-rom sur la Shoah et vous avez parlé aussi d’une biographie d’un des dépisteurs en particulier ?
Alors en fait il n’y a pas de biographie en entier sur un dépisteur ; enfin moi je n’en ai pas connaissance ! Il y a pas mal de bouquins sur les Justes et dans les Justes il y a certains dépisteurs qui sont cités. C’est comme ça que j’ai trouvé celui qui m’intéressait et dont je vous ai parlé tout à l’heure. Mais il apparaît brièvement. Il n’y a pas encore eu à ma connaissance un travail fait par un historien justement sur les dépisteurs en tant que tels.
Est-ce que pour cette histoire d’enfants cachés, vous vous êtes servi de l’affaire Finaly ?
Je la connaissais hein mais non du tout ! Je me suis un jour noyé dans la documentation : ça m’a pris trop longtemps pour écrire un bouquin parce que la documentation c’est passionnant mais on ne fait plus que lire ce que les autres ont écrit et on oublie d’écrire soi-même ! Et de temps en temps j’aime bien faire confiance à mon imagination ! Alors, bien sûr, il y a une base historique étayée mais j’aime bien l’idée que tout ce que j’écris ça doit rester romanesque !
Pourquoi avoir choisi de situer votre histoire dans le Lot ?

Le Lot c’est l’endroit où je me sens le mieux en France je le connais le Lot depuis 45 ans et dès que j’y retourne je suis comme un chien qui repère les odeurs, les couleurs, les bruits des arbres … je m’y sens chez moi. J’adore cette région ! Donc c’était chouette de pouvoir mettre la région parce qu’il y a eu pas mal d’enfants cachés dans le Lot et sur le plan de la doc j’ai pu regrouper plein de choses. Dans la documentation, il y a aussi le bouche à oreille qui est quand même l’une des meilleures sources possibles : quand on va parler avec les très vieux et ça fait de belles histoires.

Pour les Pyrénées aussi j’ai passé de bons moments dans le village en question. Et puis il y avait La Tondue que je connaissais qui était une vieille punk à la gouaille pas possible et qui un jour m’a expliqué ce qu’elle avait vécu. C’est horrible ! Je crois que c’est Brassens qui avait fait une chanson sur les femmes tondues et qui s’en était expliqué en disant que les humains étaient vraiment des c… dans le sens où bah temps en temps c’est juste une histoire d’amour quoi ! Là j’évoque un tout petit peu le sujet par le biais mais c’est certainement un truc qu’il faudrait que je creuse ; en tout cas ça me tente !
Tondues de la libération : de Capa ( la tondue de Chartres) à Venanzi


Et puis c’est intéressant aussi que vous montriez que l’antisémitisme ne s’est pas arrêté du tout à la fin de la guerre !
Alors l’antisémitisme ne s’est pas arrêté en 1944 ! Les guerres de clocher dans les petits villages et les suspicions de machin et les racontars de bidule et cetera ça a été toute mon enfance… je connais vachement bien ! Et généralement ça peut se terminer aussi à coup de fusil dans la porte quand ce n’est pas dans un chien pour se venger du voisin ! Je connais très très bien ce sujet !
J’ai donc essayé de trouver un personnage qui me permette de raconter qu’une guerre effectivement ça ne s’arrête pas à l’Armistice. Quand on fait un truc qui est plus ou moins historique on a envie de de parler de relations parce que c’est ça en fait le but du jeu c’est de parler de relations humaines ! Donc les petits villages, les petits cancans, les villages aussi qui peuvent se souder – parce que pour l’histoire des Pyrénées c’est ce que j’avais choisi comme thème – dans lesquels tout le monde se tait et où celui qui qui parle trahit, ça fait ça fait une bonne histoire !
Absolument mais on attend le tome 2 hein !
Quelqu’un m’a posé la question de savoir pourquoi l’histoire du « Dépisteur » faisait si peu enquête policière c’est parce que ce n’est pas le plus important ! Je préfère passer du temps sur les gens plutôt que sur l’enquête !
Breton et ses amis à St Cirq lapopie

Une enquête c’est assez banal, le motif est toujours à peu près le même que ce soit l’argent, la jalousie et cetera… ce sont toujours des bassesses humaines. L’enquête c’est vraiment le prétexte c’est pourquoi c’est bien de parler d’autres choses par exemple l’arrivée d’André Breton à St-Cirq qui va quand même révolutionner le village. L’écrivain dit qu’il a trouvé son havre de paix et qu’il pourra rester toute sa vie mais il n’y restera finalement que 4 ans et puis il se barre parce qu’il en a marre parce qu’il ne se passe rien car Saint Cirq dans les années 50 bah c’est « paysan », il n’y a pas de quoi faire la Java tous les soirs ! Donc il s’en lasse, mais c’est intéressant parce que le village est marqué encore maintenant par la présence de l’écrivain. Il y a la maison Breton qui a été rachetée et qui devrait enfin être un musée et pendant toute mon enfance j’ai entendu parler du séjour de Breton ! D’ailleurs tout le tourisme autour de St-Cirq-Lapopie du début des années 70- 80 était lié au fait que Breton avait dit que c’était le plus beau village du monde ! Et l’on trouvait des cartes postales avec cette petite phrase « Oh c’est l’endroit où j’aimerais bien mourir » ! Évidemment quand je me suis dit que j’allais situer mon intrigue dans le Lot dans les années 50 je me suis dit que je devais y faire apparaître Breton. En plus graphiquement, visuellement, St Cirq ça impose ! Et puis j’ai pu prendre des photos à n’en plus finir pour Marco. J’ai même photographié des plantes qui poussaient dans les chemins pour soigner le souci du détail !
La maison de Breton


Vous parliez de Marco Venanzi. Est-ce que c’est vous qui avez qui l’avez contacté ? Comment ça s’est passé ?
Alors ça ce sont les petits miracles de la vie ! Je travaillais avec un jeune dessinateur, Mathieu Barthélémy – on n’a pas réussi à signer d’ailleurs – qui vivait à Liège et qui était dans le même atelier que Marco. Marco a repris « Masque rouge » de Juillard et ensuite « Alix » de Jacques Martin et puis au bout d’un moment il a eu envie de faire quelque chose de plus personnel, de ne plus être repreneur mais de créer son univers propre.


Matthieu lui a parlé de moi et il m’a appelé. C’était 3 mois après mon travail de documentation sur les dépisteurs. Je ne savais pas encore quelle forme ça allait prendre ; je savais que j’avais envie de travailler sur le sujet mais graphiquement ça aurait pu partir dans tous les sens possibles ! Et en parlant avec Marco on s’est donné des références de bandes dessinées qu’on aimait bien qui étaient des références classiques mais avec un petit un petit truc qu’on trouvait un peu différent : Cosey, Dodier et son Jérôme K Jérôme Bloch… Et puis j’ai mis un fil rouge avec un fil bleu, ça fait une petite lumière, et je me suis dit « tiens en fait je pourrais peut-être lui proposer Le Dépisteur ! ».
Je lui ai envoyé un pré dossier succinct et il m’a dit que ça le tentait bien parce que ça restait un peu historique et puis en même temps il voyait bien qu’il allait faire des choses qu’il n’avait jamais faites et qu’il allait pouvoir mettre en place une narration inédite et on a essayé une collaboration. On a tâtonné dans les premières pages et puis on a trouvé notre rythme de croisière ; on a présenté le dossier et puis voilà ! Donc c’était plutôt magique ! Une fois qu’il a commencé à dessiner Samuel, c’était une évidence c’était Samuel ! Les premières pages qu’il a faites d’essai sont les premières pages de l’album !
planches test, incipit de l’album



Mais vous aviez envie d’avoir un trait classique ?
Encore une fois je suis un gros gros mangeur de bande dessinée : je fais le grand écart ! Je vais du pur classique jusqu’au truc le plus indépendant en tant que lecteur. Et j’avais envie d’essayer de faire une bande dessinée que moi je lisais quand j’étais gamin et qui était lié à du réalisme tout public. Donc ça peut même être « La patrouilles des castors » : les scénarios sont bien construits avec un côté cucul catho cependant qui me dérange mais je trouvais que graphiquement par exemple Mitac ce n’est pas un dessinateur qu’on met en référence alors qu’en fait c’est un Dieu du dessin ! Et j’aimais l’idée de travailler avec un dessinateur qui était réaliste et assez classique ! Et comme Marco s’est détaché de pas mal de choses qu’il faisait avant qui étaient encore plus classiques, le résultat est vraiment chouette ! il a fait un petit bond en avant je trouve, il a fait son truc à lui quoi et je trouve ça vachement bien !
On retrouve quand même un petit peu les traits des personnages de Jacques Martin et en particulier d’Enak dans ceux de la petite fille !
Mais en fait c’est un bon repreneur de séries et son style est proche de cette ligne claire classique à la Juillard ou à la Martin. Mais je pense qu’il en a encore beaucoup sous le coude et qu’il va épater la galerie un de ces quatre !

En tout cas c’est très agréable comme style, c’est très agréable à lire
Bizarrement ça devient rare en fait oui donc ça aussi ça m’intéresse le côté un peu fou de la rareté de d’un truc classique, il n’y en a plus beaucoup !
Oui tout est en bichromie ou en dessin naïf ; je suis plutôt d’accord avec vous : finalement ça devient original d’être classique !
C’est ça ! Et puis c’est sympa aussi de de faire un album avec un format qui est somme toute aussi assez classique : grand format, petite pagination – même si c’est 52 pages et pas 46 ! – ça permet de raconter des histoires sans penser qu’on va révolutionner le médium, mais tout va bien !
Merci beaucoup et nous allons donc patienter sagement jusqu’à l’arrivée du deuxième tome ! Le rendez-vous pour mars prochain est bien noté !
L’atelier du scénariste


Interview d’Anne-Laure SEVENO-GHENO

POUR ALLER PLUS LOIN
Les enfants cachés

par Antoine Ozanam et Nadji (2015)


de Catherine Poujol et Fabien Lacaf (2007)
Sur la maison d’André Breton et son séjour à St-Cirq-Lapopie
Sur la chanson de Brassens « La Tondue »
Brassens et l’histoire chantée des tondues de la Libération – Berthine
Sur « Le Dépisteur«

Interview de Marc Venanzi
CultureL avec le dessinateur Marco Venanzi, la chanteuse Lux Montes et la plasticienne Jot Fau – RTC Télé Liège (jusqu’à 15.35)



Une réponse à “Interview Antoine Ozanam”
Bonjour, suite à votre interview j’aimerais pouvoir contacter Antoine Ozanam, puis je avoir une adresse mail ou autre étant d’Angouleme svp
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