DU BOUT DES DOIGTS


Du bout des doigts

Du bout des doigts
Scénario : Cyril Bonin
Dessin : Cyril Bonin
Éditeur : Bamboo
Collection Grand Angle
88 pages
Prix : 18,90 €
Parution :  28 juin 2023
ISBN 9782818994153

Ce qu’en dit l’éditeur

« Parce qu’elle a le pouvoir de le rendre heureux, un peintre pense qu’il trahit son art… »
Paul aime se confronter à la toile, à la matière, mais n’arrive pas à être heureux. Lui qui voit toujours le mauvais côté des choses se retrouve bloqué dans sa création, alors qu’il a accepté un contrat avec une galerie pour la livraison de plusieurs toiles. La rencontre avec une jeune coiffeuse, belle comme une actrice en Technicolor, va lui ouvrir de nouvelles perspectives. En plus de lui redonner la bonne humeur, elle va lui faire toucher une nouvelle existence du bout des doigts.

UN ROMAN DE L’ARTISTE

Dans les romans graphiques qu’il écrit, dessine et colorise, Cyril Bonin prend souvent comme héros des artistes : Walter Benedict un photographe dans « The Time Before», Taylor Davis un écrivain dans « Stella », deux new yorkais. Cette fois il met en scène un peintre Paul Déa pas franchement en accord avec son temps qui, dans le Paris des années 60 quand tout le monde ne jure plus que par l’art conceptuel et le « génie » de Duchamp, continue dans la douleur à vouloir créer du figuratif, transcrire des sentiments, transmettre des émotions et se battre avec la matière.

Mais Paul ne trouve pas forcément sa manière … ni en tant qu’artiste ni en tant qu’homme : il entretient une relation en pointillé avec Georgina, une femme mariée, et refuse l’engagement. Tout change cependant lorsqu’il rencontre la jolie Mathilde à qu’il confie littéralement sa tête puisqu’elle est coiffeuse. Alors qu’elle lui coupe les cheveux et l’effleure « du bout des doigts », le jeune homme ressent une force créatrice et une plénitude inédites … quelle peut bien en être la cause ?

UN MANIFESTE

Comme souvent chez Bonin, le scénario est pimenté d’une pointe de fantastique. Ce qui n’aurait pu être qu’une bluette ou un album « feel good » s’avère alors être bien plus que cela grâce à l’ambivalence des personnages : Paul est-il un héros ou un râleur égoïste et antipathique ? Le mari de Georgina est-il l’homme borné qu’elle décrit ? Georgina est-elle si libre qu’elle le dit ? Et Mathilde elle-même est-elle vraiment autant altruiste qu’elle le pense ? Mais l’album acquiert surtout du relief grâce à l’ambiguïté de l’origine du changement qui s’opère dans la personnalité du peintre qui se complait à être « maudit » ou du moins misanthrope et pessimiste.

L’auteur nous permet par ce biais de nous poser la question de l’aptitude au bonheur et du rôle du sentiment amoureux. Il effectue également une satire assez jubilatoire d’un certain milieu intello conceptuel plutôt conformiste et panurgiste qui sent le vécu des discussions aux Beaux-arts (d’autant que cette fois et le métier du héros et la localisation choisie soulignent le côté autobiographique).

En effet, les plus belles définitions données de l’art dans l’album ne le sont pas par les peintres lors de leurs conciliabules interminables et réducteurs mais par Mathilde la jeune coiffeuse.

Les toiles peintes par Paul pour sa grande exposition restent en hors champ mais nous sont décrites également par la jeune femme et semblent alors dans une mise en abyme reprendre les cases même de l’album qu’on a sous les yeux puisque les moments de bonheur dans l’intrigue se déploient en des cases muettes semblables à des tableaux…

Ainsi pour Bonin l’art se nourrit de la vie, se fonde sur des émotions, sur l’expérience et pas sur un simple concept et ce point de vue est délivré narrativement d’une élégante façon.

THE TIME BEFORE

Le style graphique est tout aussi raffiné : silhouettes longilignes qu’on reconnaît d’emblée ; retour dans les années 60 si chères à Bonin qui en apprécie particulièrement l’aspect visuel, le design, les costumes et les véhicules, cadrages cinématographiques; palette de couleurs plutôt lumineuse où dominent le vert pomme, le jaune d’or, l’orange et le rose … Le lecteur est ainsi dépaysé et en terrain connu tout à la fois puisque comme à son habitude, le bédéiste développe et reprend de thèmes qui lui sont chers.

Mathilde la coiffeuse rend « du bout des doigts » Paul le peintre maudit heureux ; ce talent est aussi celui de Cyril Bonin qui sans en avoir l’air ravit le lecteur et aborde des questions essentielles joliment mises en scène du bout de ses pinceaux.

Chronique d’Anne-Laure SEVENO-GHENO


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