Expo « Spirou dans la tourmente de la Shoah »


Expo « Spirou dans la tourmente de la Shoah »

Mémorial de la Shoah, Paris

du 9 décembre 2022 au 30 août 2023

En 2017, le mémorial de la Shoah consacrait déjà une exposition à « La Shoah en bande dessinée ».

Depuis décembre dernier et jusqu’au 30 août, elle s’attarde cette fois sur l’œuvre du bédéiste Emile Bravo : sa tétralogie « L’Espoir malgré tout » (2018-2022) ainsi que « Le Journal d’un ingénu » paru en 2008 qui sert de prologue à celle-ci. Pour les commissaires de l’exposition, Caroline François et Didier Pasamonik, cette œuvre est en effet « la plus importante qui traite de la Shoah depuis « Maus » de Spiegelman ». Elle a en outre l’avantage de pouvoir donner lieu à une double lecture : adulte et jeunesse et permet ainsi de mettre ce drame du XXe siècle à la portée des plus jeunes avec un parcours (et un livret) qui leur est dédié.

« DERRIÈRE LE RIDEAU »

Les éditions Dupuis lancent, le 21 avril 1938, le premier grand journal pour la jeunesse en Belgique, un tabloïd de 16 pages : « Spirou ». Jean Dupuis demande au dessinateur français Robert Velter, qui signe Rob-Vel, de créer la mascotte du journal. L’artiste aidé en cela par sa femme Davine, dessinatrice elle aussi, et par le dessinateur Luc Lafnet crée ainsi celui qui deviendra le plus célèbre groom du 9e art. Mais appelé sous les drapeaux en mai 1940 puis blessé, Rob-Vel est contraint de vendre Spirou aux éditions Dupuis. Ce rachat du personnage va permettre à l’éditeur de le transmettre à une pléiade de créateurs ce que rappelle d’emblée la frise à l’entrée de l’exposition. On y retrouve la création originale de Rob-Vel mais également « les Spirou vu(s) par » Jijé, Franquin, Fournier, Cauvin, Janry, Munuera, Yoann et enfin Bravo.

Ce dernier a aussi spécialement créé le dessin qu’on retrouve sur l’affiche de l’exposition et la couverture du catalogue même s’il reprend les codes de la couverture de l’album inaugural de la série (les bottes allemandes au premier plan et les héros au 2e).

Cette affiche est reproduite sur le rideau et, symboliquement, le visiteur lorsqu’il emprunte le couloir et traverse ce rideau passe de la réalité à la fiction et entre dans l’univers de ce dessinateur.

DOUZE « STATIONS » :

L’exposition se divise alors en 12 séquences qui s’ouvrent chacune par une planche.

La première partie est consacrée au « Spirou » d’Emile Bravo ;

la deuxième partie, « la Belgique dans la guerre », replace le contexte dans lequel se déroule « Spirou. L’Espoir malgré tout » ;

la troisième partie retrace le moment où Spirou et Fantasio rencontrent Felix et Felka ;

la quatrième partie aborde la question des indésirables, à savoir l’internement par les Belges des «ressortissants de puissances ennemies » dans des camps en France ;

la cinquième partie évoque le contexte de Bruxelles occupée ;

la sixième partie est consacrée à la résistance à l’occupant et elle est centrée autour du Journal de Spirou, de la personnalité de son rédacteur en chef Jean Doisy et de la création du théâtre du Farfadet ;

les parties 7 à 10 sont consacrées à la persécution des Juifs en Belgique ;

l’avant dernière partie intitulée « La Galerie du peintre » présente les tableaux originaux de Felix Nussbaum tandis que dernière partie présente un focus sur la bande dessinée sous l’Occupation en Belgique et en France à partir de journaux originaux. Chacune de ces parties se distingue aisément grâce aux couleurs vives différentes apposées sur les murs pour chacune d’elle.

On alterne donc en permanence entre la BD d’Emile Bravo et des éclairages historiques. Comme l’indique Caroline François,

« L’exposition va au-delà du Spirou d’Émile Bravo en permettant de découvrir l’histoire du Journal de Spirou pendant la guerre, le théâtre de marionnettes avec un film d’époque inédit, et enfin l’exposition ouvre sur la question de la création de bande dessinée pendant l’Occupation en France et en Belgique, en présentant des planches originales ».

La première partie de l’exposition est consacrée au Spirou d’Émile Bravo. À partir d’un entretien filmé inédit de l’auteur, d’objets familiaux lui appartenant, de plusieurs planches originales de « L’Espoir malgré tout » on en découvre plus sur la personnalité de l’auteur et son appropriation du personnage de Spirou. Il déclare que pour lui

« Spirou, c’est avant tout le personnage de [s]on enfance animé par Franquin. C’est un jeune garçon à la fois sage et espiègle, bienveillant et empathique, curieux de comprendre le monde qui l’entoure. Mon Spirou est calqué sur ce personnage, il a les mêmes valeurs. Je lui ai peut-être apporté une dimension plus philosophique, qu’on ne se permettait pas à l’époque de Franquin ».

Quand les éditions Dupuis lui proposent de reprendre la série pour la première fois en 2008, l’auteur s’interroge : pourquoi ce personnage porte-t-il un costume de groom alors qu’il ne travaille pas dans un hôtel ? Pourquoi est-ce qu’il n’y a pas de femmes autour de lui ? Comment a -t-il rencontré Fantasio ? Il décide alors de répondre à toutes ces questions qu’il se posait enfant lorsqu’il lisait ce magazine en réalisant « Le Journal d’un ingénu » et il développe cela encore davantage dix ans plus tard dans sa tétralogie. Dès le départ, il choisit de placer son histoire en 1938, quand est né le personnage.

L’exposition suit l’éveil de ce personnage qui de candide « ingénu » va se muer en témoin de son temps. Il observe comment les individus s’organisent dans la vie quotidienne, l’attitude de la population à la fois résistante, opportuniste, collaboratrice ou encore résignée, et les persécutions contre les Juifs en Belgique. La deuxième partie, « la Belgique dans la guerre » est précieuse pour le visiteur car elle rappelle le contexte dans lequel se déroule « Spirou. L’Espoir malgré tout ».

L’exposition replace également le héros éponyme dans ses origines réelles : un hebdomadaire créé en 1938, dont le rédacteur en chef, Jean-Georges Evrard, dit Jean Doisy, est engagé dans diverses structures antifascistes.

Dès 1940, il intègre le Front de l’indépendance et utilise le journal puis lorsque la Propaganda Abteiulung arrêtera de fournir du papier aux éditions Dupuis par mesure de représailles, il se servira du théâtre de marionnettes crée par le jeune André Moons pour narrer les exploits de Spirou « le Farfadet » (Émile Bravo l’évoque) comme couverture à ses actions de résistance. Il recrute notamment, pour le Comité de défense des Juifs, Victor Martin, « l’espion d’Auschwitz », et la mère du marionnettiste, Suzanne Moons, alias « madame Brigitte », qui sauve à elle seule plusieurs centaines d’enfants juifs belges en les plaçant dans des institutions catholiques.

Les fonctions de rédacteur en chef du Journal de Spirou d’Evrard lui permettent d’établir un lien privilégié avec les dizaines de milliers de lecteurs à qui, chaque semaine, il enjoint de tenir bon face à l’adversité.

Certains suivront ses conseils et intégreront les rangs de la Résistance comme on peut le voir dans la bande dessinée de JD Morvan et David Evrard (aucun lien de parenté !) « Les Amis de Spirou » dont certaines planches étaient présentées dès décembre en avant-première dans l’exposition.

FELKA ET FELIX

Dès le début de la tétralogie, Spirou se départit de sa naïveté. Après l’Occupation, vu la date à laquelle Bravo avait choisi de placer son histoire, le héros devait nécessairement d’une manière ou d’une autre se trouver confronté à l’événement le plus tragique du XXe siècle : La Shoah Mais cette « manière » posait question au dessinateur …. Il pensait en effet que s’il envoyait Spirou à Auschwitz, même en le faisant revenir, il ne pourrait plus être le personnage qu’il sera par la suite sous la plume de Franquin car comment lui serait-il possible de rester insouciant en rentrant des camps ? Il va donc « chercher une idée, confie Caroline François, et il va la trouver dans un livre intitulé L’Art dans l’Histoire où chaque période historique est illustrée par un tableau. Il s’agit pour la Shoah d’un tableau de Felix Nussbaum, « Le Triomphe de la mort ». » [« L’Art face à l’histoire » de Nicolas Martin et Eloi Rousseau, Palettes, 2012, NDLR]

Il est subjugué par ce tableau qui lui semble être à la fois un résumé et une prémonition de l’horreur de l’Holocauste. Alors qu’il effectue des recherches sur ce peintre, il découvre que c’est un juif allemand qui s’est réfugié en Belgique après la prise de pouvoir d’Hitler et la destruction de son atelier à Berlin, qu’il sera dénoncé, déporté dans le dernier convoi vers Auschwitz, et disparaîtra dans la Shoah.

Pour lui c’est le personnage qu’il lui faut pour servir de trait d’union entre l’univers de Spirou et le drame historique. Il imagine donc la rencontre fictive entre Spirou, le peintre méconnu, figure de la Nouvelle Objectivité et sa femme Felka Platek. Le personnage de bande dessinée entre ainsi « dans la tourmente de la Shoah ». Il découvre les déportations des Juifs depuis la Belgique et notamment de la Kazerne Dossin à Malines, principal lieu de départ des convois des juifs déportés de Belgique et du Nord-Pas-de-Calais. C’est un choc pour le lecteur/visiteur qui ne sait pas au départ que Felka et Felix sont des personnages réels. Les commissaires et l’auteur ont choisi d’exposer alors des effets personnels des deux artistes, de montrer leurs papiers d’identité par exemple afin de rappeler de façon efficace et sobre que la réalité dépasse parfois la fiction….

Ils ont surtout souhaité nous faire découvrir leur œuvre qui occupe la place centrale de l’exposition. Des tableaux de Felix Nussbaum et de Felka Platek ont été prêtés au Mémorial par le Musée Felix Nussbaum d’Osnabrück, sa ville natale, qui se trouve près de Hanovre. Ce musée a été créé assez récemment (en 1998) par Daniel Libeskind, l’architecte du Musée juif de Berlin.

Cette mise en avant du travail de Felix Nussbaum a alors induit la redécouverte de celui de sa femme, Felka qui fait partie de cette génération d’artistes qu’on appelle « la génération perdue » dont les œuvres ont été dispersées. L’exposition présente néanmoins un aperçu de son talent.

Felix et Felka

L’ARTISTE DANS LA TOURMENTE

En montrant dans ses albums des tableaux de Felix Nussbaum, Émile Bravo s’élève contre le travail d’éradication de « l’art dégénéré » dont ont été victimes de leur vivant Felka et Felix (l’atelier de ce dernier avait été incendié à Berlin). En les citant, il les fait revivre et surtout en les replaçant dans leur contexte de création, il donne envie au lecteur de découvrir les tableaux originaux et leur histoire.

L’Espoir malgré tout T1
pl.12
Felix Nussbaum, Autoportrait à la grimace
1936
L’Espoir malgré tout T1
pl.13
Felix Nussbaum, Autoportrait au sourire malicieux
1936
L’Espoir malgré tout T2
pl 9
Felix Nussbaum, Dans le camp
1940
L’Espoir malgré tout T2
pl.19
Felix Nussbaum, Nature morte au mannequin
1940 ?
L’Espoir malgré tout T2
pl.29
Felix Nussbaum, Peur
1941 ?
L’Espoir malgré tout T2
pl.57
Felix Nussbaum, Soir
1942
L’Espoir malgré tout T3
pl.55
Felix Nussbaum, Autoportrait au chevalet 1943
L’Espoir malgré tout T3
pl.79
Felix Nussbaum, Autoportrait au passeport juif 1943

Bravo se sert aussi des nombreux autoportraits réalisés par Nussbaum pour montrer comment physiquement la persécution va se mettre en place et la déchéance physique progressive qui en résulte. L’évolution physique du personnage de Felix (soulignée par la citation des autoportraits) participe à la condamnation de la barbarie.

Mais la présence de Felix et Felka en tant que personnages permet également à Emile Bravo de s’interroger sur le rôle de l’artiste : à travers les conversations entre Spirou et le couple, on perçoit comment l‘art permet de transmettre ce qu’on a vécu, mais également les dilemmes auxquels l’artiste peut parfois être confronté : doit-on privilégier son art au détriment de ses besoins vitaux en période de rationnement et choisir d’acquérir un tube de peinture plutôt que de la nourriture ? Est-ce se renier que d’accepter comme Felka d’effectuer des travaux « alimentaires » (elle peint une assiette dans la BD et l’on retrouve un exemplaire de ses assiettes décorées dans l’expo) ? A travers ses personnages Bravo nous fait donc part de ses propres interrogations en tant qu’artiste.

UNE DIMENSION UNIVERSELLE ET AUTOBIOGRAPHIQUE

L’exposition permet donc d’évoquer longuement Felix et Felka, mais également de parler d’un épisode important et méconnu de la deuxième guerre mondiale : l’internement des “indésirables” par le gouvernement belge. Entre 1939 et 1940, les Allemands, Autrichiens, Tchèques des Sudètes résidant en Belgique qu’ils soient juifs ou non, opposants politiques ou pas, sont internés. Or, comme il n’existe pas de camps d’internement en Belgique, les Belges vont demander aux Français de les prendre dans leurs camps dans le Sud. Là où se trouvent les Républicains espagnols. Felix Nussbaum va ainsi se retrouver parqué à St Cyprien dont il s’évadera.

Cela rejoint l’histoire personnelle familiale d’Émile Bravo cette fois. Quand le bédéaste découvre l’itinéraire du peintre, il se rend compte qu’à un kilomètre à peine de St Cyprien se trouve le camp d’Argelès où a été interné son père.

Cela va faire écho à ce qu’il lui racontait sur son internement et sur sa colère à l’encontre des démocraties, qu’il accusait d’avoir lâché les Républicains espagnols. Il replace ces propos paternels désabusés dans la bouche du peintre et déclare d’ailleurs que « la peinture de Nussbaum nous fait ressentir l’oppression qu’il a éprouvée pendant toute la guerre, son expérience concentrationnaire en France, ses angoisses d’homme traqué. Il nous plonge dans cette époque [….]Sa vie semblait faire écho à mon univers » et l’on trouve ainsi aussi dans l’expo archives familiales et photos personnelles du dessinateur.

Les indésirables

DANS L’ATELIER DE L’AUTEUR

C’est enfin l’occasion de s’immerger dans l’immense travail ayant présidé à l’élaboration de « L’Espoir malgré tout ». Dix ans séparent le prologue du reste de la série. Au départ de la tétralogie, Emile Bravo pensait dérouler son histoire sur 150 pages et croyait que cela lui prendrait deux ans environ. Finalement, il a eu besoin de 330 pages et de neuf années. Grâce à l’exposition on peut rentrer un peu dans les « coulisses » du projet et voir des brouillons, des planches encrées, de extraits de storyboard aussi.

L’on se rend alors compte de l’acuité de la restitution de l’époque et des lieux.

Certains épisodes – tel celui du 20e convoi au départ de Malines à destination d’Auschwitz avec à son bord 1 631 déportés juifs et l’action de la Résistance qui en libérera 231 que l’on retrouve dans le tome 3 – sont très documentés. Caroline François le souligne d’ailleurs :

« Nous avons travaillé sans Émile Bravo et cherché des documents pour illustrer les différentes planches. C’est ainsi qu’on se rend compte du niveau de précision qui se trouve dans la bande dessinée. On a donc utilisé des documents d’archives, des photographies qui viennent expliquer ce que raconte la bande dessinée ».

La fabrique de L’espoir malgré tout

Pour conclure sur cette magnifique exposition qui se délocalisera bientôt à Toulouse, reprenons les mots de l’autre commissaire ; Didier Pasamonik :

« Ce qui fait le prix de « Spirou : L’Espoir Malgré tout » d’Émile Bravo, c’est que ce n’est pas un cours d’histoire, c’est un ressenti face à l’atrocité de la Shoah et un appel aux sentiments humanistes que nous avons tous en nous. C’est très fort ».

Il ajoute aussi :

« C’est une œuvre utile à la transmission de la mémoire de la Shoah parce qu’elle donne à cette mémoire une tonalité apaisée, transgénérationnelle et familiale qui n’est pas traumatisante ».

Emile Bravo déclare lui-même qu’il a « clairement écrit cette histoire pour transmettre, à travers un personnage aussi populaire, la réalité de la persécution des Juifs et l’horreur perpétrée durant ces années… Alors Spirou au Mémorial de la Shoah, c’est une approbation de [s]on récit et une consécration » et l’exposition tant par sa scénographie que par les objets inédits et tableaux peu connus qui sont présentés lui rend un bel hommage…tout public !

Texte et photos Anne-Laure SEVENO-GHENO

  • Pour Emile Bravo du DP et du catalogue d’exposition
  • Pour Caroline François de l’ITW donné à Comixtrip
  • Pour Didier Pasamonik des Cahiers de la BD n°22 « Les héros peuvent-ils encore résister ? »
POUR ALLER PLUS LOIN

Le scénario plonge ses héros dans un univers où, de 1940 à 1944, ils deviennent étape par étape, de plus en plus engagés et se muent de témoins passifs (dans le second tome Fantasio s’apprête même à partir travailler en Allemagne) en résistants. Spirou n’est pas directement victime de la Shoah mais Emile Bravo choisit de lui faire rencontrer un couple d’artiste Felix (Nussbaum) et Felka (Platek) qui sont des personnes ayant réellement existé. Ils permettent ainsi de rendre compte du destin tragique des Juifs dans la Belgique des années 1940 mais également de retracer une page peu glorieuse de la « collaboration » franco-belge en évoquant des épisodes méconnus tels celui du camp des indésirables à St Cyprien et enfin d’interroger le rôle de l’artiste devant les conflits. Cette alliance fiction /réel permet à la tétralogie d’acquérir une stature à part dans tous les « Spirou vu par » en en faisant vraiment une œuvre tout public à plusieurs niveaux de lecture.

Les amis de Spirou de JD Morvan et David Evrard sur le rôle du fondateur du journal Georges Evrard-Jean Doisy dans la résistance belge.

Bertrand et Christelle Passy-Yvernault « La véritable histoire de Spirou » 1937-1955, 2 vol, Dupuis, 2013-2016 : le tome1 sur le rôle du journal de Spirou dans la Résistance

La commode aux tiroirs de couleur d’Amélie Causse et d’après le roman d’Olivia Ruiz évoque les camps d’internement dans le Sud de la France ( principalement celui d’Argelès)

Spirou dans la tourmente de la Shoah, visite de l’exposition – Comixtrip

Museum – Museum der verlorenen Generation (verlorene-generation.com)


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