Interview Alfred


Interview « improvisée » : dans les coulisses d’une expo

à la galerie Momie, Grenoble

Octobre 2023

Depuis combien de temps est-ce que vous connaissez Momie Folie ?

Momie Folie, je les connais depuis l’ouverture, il y a 40 ans. Moi j’en avais 8. Ma mère m’a emmené dans cette librairie qui était juste à côté. J’y ai acheté ma première BD un « Léonard » et depuis je n’ai jamais arrêté d’avoir un lien fort avec ces deux gars-là, Cric et Pat, et puis on est 40 ans plus tard et c’est ma famille en fait ! Je ne vis plus à Grenoble depuis longtemps, en revanche j’ai besoin régulièrement de venir leur rendre une visite où qu’ils soient, d’ailleurs.

Vous habitez à Bordeaux désormais ?

J’habite à Bordeaux. Je bouge pas mal. Je suis retourné vivre en Italie il y a quelques années ; je reviens à Bordeaux ; je suis parti un peu en Asie un moment ; je reviens à Bordeaux … Bordeaux est devenu la ville qui m’a accueilli dans laquelle je me sens bien aujourd’hui.

Il y a pas mal de de dessinateurs là-bas !

On est assez nombreux. Exactement ! Il y a pas mal d’autrices et d’auteurs parce qu’il y a la proximité d’Angoulême. À une époque il y avait beaucoup de jeunes auteurs qui ne voulaient pas rester à Angoulême, qui voulaient une ville un peu plus un peu plus grosse et qui bouge un peu plus : c’était aussi bête que ça ! Aujourd’hui les choses se sont évidemment un peu équilibrées, un peu réveillées à Angoulême. Mais à une époque c’était ça, donc ils venaient sur Bordeaux ; beaucoup sont restés ont eu des enfants là-bas. On est assez nombreux : je crois qu’il y a plus de 200 auteurs et autrices sur Bordeaux.

Et en plus maintenant vous avez une galerie BD aussi qui vient d’ouvrir une antenne bordelaise : «Achetez de l’art ! »

Oui tout à fait ! j’étais en contact à un moment d’ailleurs avec Ludovic mais je n’ai pas encore eu le temps d’aller…

Bon mais vous avez tout de même une exposition et c’est donc dans la librairie de votre enfance ; comment est-ce que vous avez réussi à vous faire convaincre ?

Pour rentrer un tout petit peu dans l’intimité, je n’étais pas dur à convaincre dans la mesure où l’envie de cette galerie, c’est une envie de Cric l’un des deux fondateurs avec Pat de la librairie, qui est décédé il y a 2 ans. Il ne l’ aura pas vu de son vivant, mais il était évident que le projet irait au bout et il était évident que comme je lui avais promis quand il était encore là que je viendrais faire une expo ici, il y en aurait une.

C’est vrai que j’ai tendance à peu vouloir exposer, à peu vouloir vendre mes dessins mais après la question, je ne me la posais même pas : on se l’était promis. Le plus difficile ça a été de choisir de faire une sélection de dessins parce que ce des dessins comme j’en fais tous les jours et plusieurs par jour depuis 30 ans, il y en avait des milliers parmi lesquels il fallait que je choisisse !

Je ne voulais pas mettre trop de planches de bande dessinée, je préférais être sur des images, des illustrations, des choses qui sortent un peu du livre justement et qui puissent raconter une histoire à elles toutes seules. Il y a un truc toujours un peu étrange pour moi au fait de de morceler une bande dessinée en séparant les planches, j’ai l’impression que ça ne fonctionne plus ! Ça fonctionne quand c’est dans le bouquin, ça fonctionne moins si on la sort du bouquin. Donc c’est pour ça que j’avais essentiellement envie que ce soit une sélection de dessins et là ça a été un peu casse-tête parce que j’avais beaucoup de choses.

Il y a beaucoup d’œuvres tout de même auprès desquelles on trouve la mention « exposition seulement » !

Oui, j’ai un mal fou à vendre mes dessins. Je sais que j’ai des collègues qui, eux, au contraire se détachent très facilement pour plein de raisons mais en tout cas n’ont aucun souci à vendre leurs dessins. Pour moi, j’ai toujours la sensation qu’il y a un petit morceau d’une étape de mon parcours qu’on me retire. Je peux faire ; je peux en vendre : c’est le cas ici mais y a quelques dessins qui sont des marqueurs et qui, pour moi, arrivent à des moments très très précis.

Il y a un dessin par exemple qui a servi pour l’affiche de cette exposition qui se passe à Venise. Un personnage sur une barque qui va cueillir une pomme accrochée à la branche d’un arbre qui dépasse d’un muret. ça c’est un dessin qu’il m’est impossible de vendre parce que c’est le premier que j’ai fait quand je me suis installé à Venise il y a 15 ans. C’est le canal qui passait derrière chez nous, celui-ci c’est un marqueur important pour moi quand je revois ce dessin je me revois sur place en train de le faire…

Avez-vous participé à la scénographie de l’exposition ?

En fait je leur ai donné les dessins en vrac, je les leur ai jetés dessus en leur disant « maintenant, démerdez vous ! » et puis je les ai laissés, eux, agencer les choses selon leur sensibilité. ça m’intéressait ! Accepter une invitation dans un endroit comme ça c’est aussi pour moi me laisser un peu faire par la sensibilité des gens qui m’accueillent.

En plus, nous on se connaît depuis 40 ans; je sais qu’ils n’ont pas forcément le même regard sur mon travail que j’ai moi-même ou qu’un autre galeriste aurait donc j’ai préféré les laisser faire. Le jour du vernissage, j’étais arrivé le matin ou la veille je ne sais plus, on a bougé 3 trucs parce que moi ce qui ce qu’ils proposaient me convenait complètement, je n’avais pas à intervenir là-dessus, il y avait juste ces trois petits ajustements… mais ça m’intéresse toujours de regarder de les interroger « tiens qu’est-ce que vous associeriez », « qu’est-ce que vous ne mettriez pas au même endroit ? », pourquoi ci ? pourquoi ça ? J’ai tendance à laisser faire le galeriste en fait.

Ils tenaient à ce qu’on présente pas mal de choses liées aux carnets d’où le petit bouquin « Improvvisamente » qui reprend des carnets. Là pareil j’ai des milliers de dessins, de cartons donc ils ont eu un peu de mal, mais voilà, ils sont venus deux fois à la maison et puis on a réussi !

Et puis vous avez choisi dans ces carnets aussi d’orienter un peu la sélection sur l’Italie !

Il faut- prendre des portes d’entrée pour ne pas s’éparpiller effectivement dans les deux cas, les deux portes qu’on s’était proposées c’étaient l’Italie et mes carnets. Carnets que je pratique au quotidien et qui sont pour moi une nécessité, une respiration. Tous les matins, je démarre ma journée par 1/4 d’heure, 20 min de dessin libre, déconnecté de tout projet en cours dans des carnets. Et depuis 20 ans que je fais ça, eh bien parfois c’est 1, 2, 3, 4, 10 dessins par jour donc il y en a des milliers.

Et vous y abordez tous les thèmes : à Angoulême, vous aviez ainsi composé des dessins sur la musique par exemple ? [Présentés dans l’expo « rock, pop, wizz » NDLR]

Tout à fait ! Mais c’est ça : c’est tout ce qui … c’est ce qui me traverse au moment où ; c’est ce qui me préoccupe au moment où … parfois y a des séries où pendant 10 jours je vais dessiner tous les jours 4 maisons dans une forêt, je ne sais pas pourquoi et puis au bout de 10 jours j’ai l’impression d’avoir fait le tour de ce que je voulais faire donc je passe à autre chose. Ensuite ça va être des nus et puis après ça va être des arbres et puis après autre chose …. Ce sont des dessins qui n’ont pas vocation à être montrés. En réalité c’est juste pour moi ; ils sont déconnectés de toute obligation de publication et donc je m’autorise à tout.

Avec toutes les techniques ?

Oui, ça dépend vraiment de ce qu’il y a sur mon bureau à ce moment-là ! mais comme je fais partie de ces autodidactes qui ne maîtrisent aucun outil parfaitement, je m’autorise en utiliser plein moyennement !

Je n’hésite jamais à à mélanger des choses qui a priori ne fonctionnent pas ensemble : à dessiner au stylo bic avec de la gouache par-dessus, puis à rajouter de l’aquarelle alors que ça va faire un truc tout dégueulasse ou incertain, mais ça ne me dérange pas voilà, je n’ai pas d’appréhension.

Vous réutilisez cela ensuite dans les albums ?

Alors ça c’est intéressant parce que c’est à la fois un temps de laboratoire ces moments-là, dans lesquels effectivement il peut m’arriver de tomber sur un truc qui m’intéresse, et en même temps ça n’est pas le but premier donc je ne cherche pas spécifiquement des choses mais si par accident … si par accident il se passe quelque chose qui me donne la sensation que ça pourrait être utilisé dans un bouquin, alors je vais creuser ça.

C’est arrivé dans certains livres : c’est le cas dans « Come prima » il y a des passages de souvenirs et des flashbacks qui sont en deux couleurs uniquement et qui viennent comme des respirations, un peu comme des refrains tout au long du livre. Eh bien ça, c’est arrivé par accident dans un carnet où j’ai joué avec deux couleurs au crayon de papier donc je me suis aperçu que ça créait une vibration qui me plaisait bien et qui pourrait raconter la mélancolie de ses souvenirs.

Et les pages blanches et couleurs très épurées de « Maltempo » ça vient de là aussi ?

C’est pareil, c’est dans des carnets que je suis allé chercher ça. Mais là en revanche je cherchais à transcrire dans des carnets avec une intention de départ : je voulais trouver un moyen de traduire par le dessin les vibrations du son de la musique. Mais pour le coup je vais chercher d’abord à produire cela dans des carnets avant de le faire sur mes pages. mais j’ai une intention.

Je tente plein de trucs, plein de techniques : du crayon, des encres … plein de choses. Il y en a plein qui ne fonctionnent pas et à un moment j’ai l’impression de trouver quelque chose qui marche et ça je l’utiliserai. le carnet pour moi ça reste un endroit de de laboratoire.

Vous avez habité en Asie. Or, il n’y a de dessin sur cette période là ni dans l’expo ( c’est normal puisqu’il s’agit d’un voyage en Italie) ni dans votre livre « Improvvisamente ». Pourquoi ?

Il y a en très peu en effet : seulement quelques dessins au Japon mais qui sont minoritaires. Deux raisons à cela : d’abord parce qu’on s’était fixé sur le voyage en Italie et ensuite parce que je suis resté 6 mois en vadrouille en Asie du Sud-Est entre Cambodge et Vietnam et j’ai très peu dessiné ce que j’avais sous les yeux à ce moment-là. Je vivais autre chose, j’ai écrit pas mal, j’ai peu dessiné, donc je ne suis pas revenu avec des carnets remplis encore une fois comme d’autres peuvent le faire mais ça n’a pas été ma démarche. Finalement je saurai faire des dessins pour essayer de reconvoquer les sensations éprouvées lors de ce voyage en Asie mais il n’y en avait pas de déjà tout prêt.

Vous avez « écrit » dans ces carnets dites-vous : c’est pour un prochain album ?

Non c’était pour moi une manière de me libérer l’esprit de pensées qui peuvent parfois m’occuper la tête. Je m’en déleste, mais je ne m’en débarrasse pas : je les stocke dans ces carnets comme j’y engrange aussi des souvenirs.

Ainsi, tous les albums, tous les livres, en tout cas que j’enclenche et sur lesquels je me mets à travailler proviennent de notes ou de dessins dans ces carnets qui au départ ne sont pas destinés à des bouquins. Du coup aujourd’hui je n’ai pas l’intention forcément de faire une bande dessinée qui se passerait au Cambodge mais je sais en revanche qu’il y a très certainement plein de choses, plein d’ingrédients, d’éléments, dans ces carnets qui serviront peut-être pour un bouquin…

Interview d’Anne-Laure SEVENO-GHENO

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