Photographes de guerre

Scénario : Raynal Pellicer
Dessin : Titwane
Éditeur : Albin Michel
152 pages
Prix : 22,90 €
Parution : 04 octobree 2023
ISBN 9782226475084
Ce qu’en dit l’éditeur
18 juillet 1936
Barcelonne se prépare pour les Olympiades populaires, réponse pacifiste et antifasciste aux JO de Berlin.
Mais l’ambiance n’est pas à la fête : l’armée nationaliste s’est soulevée contre la République.
À 21 et 24 ans, Hans Namuth et Georg Reisner ignorent encore qu’ils ne sont qu’aux premières heures d’une longue guerre fratricide qu’ils vont couvrir, armés de leur seuls appareils photos.
Habitués des reportages en immersion, Raynal Pellicer et Titwane livrent un portrait tout en humanité de deux photographes plongés dans la tourmente de la guerre d’Espagne. Un récit poignant aux accents tristement actuels.
« Deux mois de traversée… Après des années d’exil, l’Amérique, indifférente au sort de l’Europe. Honnir l’Allemagne. Mais ne jamais oublier Barcelone, ni Madrid, ni Tolède, ni ceux qui ne s’en sont pas sortis, piégés dans la nasse sombre… Ne pas oublier les fantômes laissés derrière soi. Avec un irrémédiable sentiment de culpabilité »

Ces mots, ce sont ceux qu’Hans Namuth couche sur son carnet le 10 avril 1941 à bord du bateau qui vogue vers New York. Au départ, ils étaient deux, deux jeunes photographes allemands, Georg Reisner et lui, à couvrir la guerre civile espagnole, signant leurs photos de leurs deux noms. C’est leur histoire que nous racontent Raynal Pellicer et Titwane dans l’album Photographes de guerre paru chez Albin Michel. Histoire de la guerre d’Espagne vue à travers le viseur de leurs Rolleiflex et Leica, histoire de photos, histoire d’hommes …
Barcelone, 18 juillet 1936
Hans Namuth, 21 ans et Georg Reisner, 24 ans, mandatés par VU pour couvrir les Olympiades populaires, une contre-manifestation sportive aux JO de Berlin pacifiste et antifasciste, préparent, qui son Leica, qui son Rolleiflex afin de capter les athlètes sur le vif.

Mais les Olympiades qui devaient débuter le lendemain n’auront pas lieu car ce 18 juillet, Franco a lancé son offensive et l’armée nationaliste est bien décidée à renverser le tout jeune Front populaire. Le pays va alors basculer dans la guerre civile qui verra la victoire des putschistes en mars 1939.
Barcelone, Madrid, Tolède …
« Le texte explique, la photo prouve », telle était la devise du magazine VU.

Prouver par l’image, c’est ce qu’ils feront devenant ainsi photo-reporters pour la presse française et internationale avant d’être contraints à retourner en France dès 1937 où, quand éclatera la guerre, en raison de leur nationalité, ils ne seront plus les bienvenus …
Namuth et Reisner dans la tourmente de l’Histoire
Le récit est structuré en 4 chapitres couvrant chronologiquement la guerre d’Espagne et leur retour en France encadrés par une prolepse ou flashforward se déroulant en avril 41 où nous voyons Hans Namuth en partance pour l’Amérique et un épilogue qui nous mène à Marseille en 40 où va se sceller le destin des deux photographes.
La Structure du récit, Raynal Pellicer
C’est à l’occasion d’un flashback, qu’on en saura en peu plus sur le passé des deux photographes et comment ils en sont arrivés à couvrir cette guerre.
Hans Namuth, militant de gauche au sein de mouvements pacifistes et Georg Reisner, militant socialiste juif ont quitté l’Allemagne en 1933 pour raisons politiques, direction Paris où ils vont se rencontrer en 1935. C’est Georg qui initiera Hans à la photographie. Photos de presse, ouverture d’un studio à Majorque pour une clientèle touristique, puis ce reportage pour VU sur les Olympiades populaires où tout va basculer …

Si au cœur du récit on trouve la couverture du conflit – les combats et leurs conséquences sur la population civile – il n’en demeure pas moins que celui-ci, et c’est aussi ce qui en fait toute la richesse, est traversé par d’ autres thématiques liées aux histoires personnelles des deux photographes : la résistance dès 1933 d’Allemands au régime nazi, l’exil, le sort réservé dès 1939 à ces réfugiés par l’état français ainsi que le statut et le quotidien anxiogène des photographes au coeur de l’action.
La bd nous offre une vision non manichéenne de la guerre civile en n’occultant pas les luttes meurtrières auxquelles se livrèrent les différents courants politiques de gauche et d’extrême gauche qui composaient le camp républicain.
Des histoires dans l’Histoire, Raynal Pellicer
L’album Photographes de guerre c’est aussi une histoire de rencontres : la rencontre il y a une dizaine d’années d’un scénariste, Raynal Pellicer, et d’un dessinateur, Titwane ainsi que la rencontre du scénariste avec une photo signée de deux noms : Namuth et Raisner.
Rencontre du 9ème art
L’un, Raynal Pellicer œuvrait dans la réalisation de documentaires et courts-métrages pour la télé, l’autre, Titwane, dans celui de l’illustration pour la presse et l’édition.

Leur rencontre dans les années 2010, c’était déjà une histoire de photo, de photomaton plus exactement. Lors de ses recherches pour un livre consacré à l’histoire du photomaton et du détournement artistique, Raynal Pellicer avait découvert une aquarelle de Titwane représentant un portrait de groupe dans une cabine photomaton.
Leur rencontre, Titwane
De cette rencontre va naître leur collaboration à travers tout d’abord des carnets de voyage animés pour l’émission télé « Ce soir on dîne ailleurs » en 2011.
Puis le tandem va passer maître dans le domaine du reportage illustré immersif aux Éditions La Martinière à travers trois albums d’investigation dans le milieu de la police :
– Enquêtes générales : Immersion au cœur de la brigade de répression du banditisme en 2013
– Brigade criminelle : Immersion au 36 quai des orfèvres en 2015
– Brigade des mineurs : Immersion au cœur de la Brigade des Mineurs, en 2017



et un dans le milieu de l’armée
– Le Charles de Gaulle : Immersion à bord du porte-avions nucléaire en 2020,

Rencontre avec une photo
Raynal Pellicer, le scénariste, est un passionné de photo. D’ailleurs dans sa bibliographie, outre Photomaton, figurent aussi Présumés coupables (La Martinière, 2008) l’ouvrage en anglais Mugshots (2010, Abrams) ainsi que Version originale. La photo de presse retouchée (La Martinière, 2013).



Aussi quand en lisant un article consacré à la Guerre d’Espagne, il tombe sur une photo signée de deux noms Namuth et Reisner, intrigué par ce fait on ne peut plus incongru – 2 noms pour un seul cliché – autant dire qu’il boit du petit lait. Ce passionné de petites histoires dans la grande Histoire va découvrir lors de ses recherches sur ces deux jeunes Allemands, photographes de guerre malgré eux durant la guerre d’Espagne une histoire bigger than life ! Et bien sûr, c’est à Titwane qu’il va confier la narration graphique.
Deux noms pour une photo, Raynal Pellicer
Du documentaire illustré à la bande dessinée
Là, n’étant plus les témoins directs du récit, ils vont quitter le domaine du documentaire illustré pour aborder les rivages de la bande dessinée proprement dite à travers une demi-fiction selon les propres termes de Raynal Pellicer. Tous les faits, tous les évènements sont avérés. La fiction, elle, s’invite dans les dialogues et encore pas entièrement puisque pour leur reconstitution, le scénariste s’est appuyé entre autres documents sur les carnets d’Hans Namuth.
La vérité, rien que la vérité, Raynal Pellicer
Il a remis au dessinateur un scénario sous forme de texte narratif et dialogues et lui a laissé totale liberté quant au découpage et à la mise en scène.
Bd et scénario, Raynal Pellicer
Titwane a travaillé sans storyboard, page après page dans l’ordre chronologique. Quand il a commencé à réaliser les planches, Raynal était encore plongé dans les recherches donc le scénario n’était pas encore bouclé et allait évoluer au gré des découvertes du scénariste.
Du scénario à la réalisation graphique, Titwane
Pas de storyboard? Un peu quand même … Il a toutefois storyboardé au préalable quelques séquences tel le prologue par exemple.
Séquences et entité de la page, Titwane
Capa mais pas que
Pour le grand public, Guerre d’Espagne + photo = Robert Capa même si ces dernières années, cela commence à changer. La guerre d’Espagne, premier conflit médiatisé a été couvert par de nombreux reporters. On voit d’ailleurs les deux jeunes Allemands croiser d’autres photographes. Ce qui les distingue de nombre de leurs confrères et les rend d’autant plus intéressants, c’est d’avoir fait partie des photographes qui ont couvert ce conflit dès les premières heures puisque qu’à l’occasion du reportage sur les Olympiades populaires, ils étaient déjà sur place à Barcelone quand tout a commencé.
Le premier conflit médiatique, Raynal Pellicer
Du Photographe à Photographes de guerre
Ce n’est pas le premier album qui traite de photographes. Il y a évidemment le précurseur Le photographe de Lefèvre/Guibert, mais également les albums Magnum scénarisés par Jean-David Morvan, Stanley Greene, une vie à vif scénarisé par le même JD Morvan. Tous ces ouvrages avaient en commun l’insertion de photos dans le récit. Or dans Photographes de guerre, ne figure aucune photo de Reisner et Namuth, un choix assumé mais aussi un problème de droits d’auteur, Tessa, la fille de Hans Namuth n’ayant pas donné son accord pour l’utilisation des photos.
Relations avec les descendants des deux photographes, Raynal Pellicer
Et c’est là que Titwane intervient en les intégrant graphiquement dans les planches, l’idée étant de conserver une espèce d’unité dessin texte sans amener une troisième composante qui aurait été la photo elle-même.

Les sources de documentation graphique, Titwane

L’objet photo est également suggéré par les cadrages, notamment le format carré correspondant aux clichés pris avec le Rolleiflex. Titwane est même allé parfois jusqu’à représenter le quadrillage du viseur. Ce procédé permet d’être au plus près de la scène et de la voir telle qu’ils l’ont fixée, telle qu’ils l’ont vue à travers l’objectif de leur appareil.


Dessiner La guerre d’Espagne telle qu’ils la voient, Titwane
Une narration graphique qui sort du cadre
Titwane est un portraitiste hors pair. On reconnaît bien son trait réaliste, celui des reportages illustrés et des carnets de voyage. Photographes de guerre est un ouvrage hybride. Outre les gaufriers classiques, l’album comprend de nombreuses planches où les cases s’effacent pour laisser place à l’insertion de cartes, de unes de journaux…
Et puis, il y a les sublimes planches panoramiques qui aèrent le récit.

S’il travaille le trait sur tablette graphique, la mise en couleur au lavis, à l’aquarelle est entièrement réalisée en couleur directe, ce qui, adhérant parfaitement au propos, confère à l’album un aspect de carnet de reportage.
Tradi ou numérique?, Titwane
Comme pour nombre de ses travaux précédents, il a opté pour la bichromie : tons bleus pour le prologue et l’épilogue, gris bleuté pour les flashbacks, lavis de gris pour le retour en France. Toute la couverture de la guerre d’Espagne, elle, se fait dans un savant dosage de Terre de Sienne brûlée et de noir qui sied à la fois à la carnation de la peau et à la représentation des paysages espagnols ou règnent chaleur et sécheresse avec ce petit côté sépia qui situe bien l’action dans le passé. Ce choix confère à la fois une unité et une grande lisibilité au récit.
La couleur, Titwane
Petit arrêt sur image : la couverture
La couverture, comme il se doit, accroche le regard et nous plonge directement au cœur du sujet.

Seule touche de rouge de tout l’album : le titre et nos deux photographes en action s’inscrivant dans une diagonale, sorte de coulée blanche séparant deux scènes : scène de combat d’un côté, exode de la population de l’autre sans oublier l’emblématique ¡No pasarán!
En quatrième de couverture, le Leica et le Rolleiflex viennent cadrer le texte.

La couverture, Titwane
Un récit passionnant extrêmement documenté, une narration graphique dynamique sublimée par les aquarelles de Titwane rendent cet album incontournable pour tout amateur d’histoires dans l’Histoire, de photo, d’humanité.

Les extraits sonores sont tirés, pour Raynal Pellicer de l’entretien réalisé en visio et pour Titwane, de l’interview réalisée à bd BOUM Blois.
POUR ALLER PLUS LOIN

Le site de Titwane

Des clichés du tandem Namuth/Reisner sur le site de l’ICP

Le court-métrage Jackson Pollock 51 réalisé par Hans Namuth

Antoni Campañà 2023 : une expo, un livre

« Antoni Campañà i Bandranas (1906-1989) est l’un des plus grands photographes catalans. À la fois républicain et catholique, il a renseigné au plus près les trois années de guerre en Catalogne, en travaillant notamment pour la presse anarchiste puis comme chauffeur pour l’armée de l’air.
Après la victoire du franquisme, Antoni Campañà dissimule ce précieux témoignage, sans toutefois le détruire. Ce n’est qu’en 2018 que sa famille découvre près de 5 000 photographies dans deux fameuses « boîtes rouges », où tous les épisodes de la guerre d’Espagne, à Barcelone et en Catalogne républicaine se trouvent représentés : depuis le coup d’État raté et la révolution anarchiste de 1936, jusqu’à la victoire de Franco et les routes de l’exil vers la France en 1939.
Le travail de Campañà met en lumière la complexité du conflit et des tensions croisées qui éclatent à l’été 1936, et qui finiront par entraîner l’Europe dans la Seconde Guerre mondiale. Partant du principe que la guerre est l’expérience la plus absolue, il en relève les contradictions, sans faire de concessions à la propagande d’aucun parti, et en se plaçant, pour chaque cliché, dans une recherche esthétique exigeante. Là où il y a destruction, il cherche la vie ; là où il y a l’euphorie des uns, il montre la terreur des autres. Parmi les ruines de Barcelone bombardée, il dessine ainsi le portrait de l’âme humaine.
Il photographie aussi bien les églises détruites par les miliciens anarchistes que les troupes fascistes italiennes, maures et nazies allemandes victorieuses défilant à Barcelone en 1939 ou, simplement, ce qui fait la vie quotidienne des Catalans en guerre, ou enfin les réfugiés. Il parvient ainsi à tisser une immense tapisserie des multiples facettes d’un conflit total, d’où, finalement, naîtra la photographie de guerre moderne.
L’artiste connaissant parfaitement les décors et les personnes qu’il met en scène, son regard manifeste une complexité qui oblige à réfléchir et à se positionner à travers une œuvre beaucoup plus nuancée que celle d’autres grands noms de la photographie, présents dans les mêmes rues et fronts de bataille.
Ce catalogue présente un ensemble de plus de 150 œuvres du photographe, dont beaucoup inédites, et un matériau historique (documents iconographiques, objets…) nécessaire à la compréhension globale de cette période dramatique de l’histoire de l’Espagne.«

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