Interview Titwane : Photographes de guerre
au festival bd BOUM, Blois
19 novembre 2023


Titwane, bonjour. Je suis ravie de vous rencontrer à bd BOUM. Nous allons échanger bien sûr autour de votre dernier ouvrage Photographes de guerre qui vient de paraître aux éditions Albin Michel. Vous en êtes le dessinateur sur un scénario de Raynal Pellicer, votre complice depuis plus de 10 ans maintenant. Alors avant d’entrer dans le vif du sujet j’aimerais qu’on s’attarde un peu sur votre collaboration à tous les deux. Comment vous êtes-vous rencontrés ? Pouvez-vous nous dresser le portrait de Raynal ?
Je peux vous dire déjà comment on s’est rencontrés. Raynal, qui est un passionné de photos, préparait un livre sur le photomaton qu’il a fait aux éditions La Martinière parce qu’il avait une grosse collection de photomatons anciens. Et donc ce livre parlait de l’histoire du photomaton et du photomaton vu par des artistes et il était tombé sur mon site sur une peinture que j’avais faite à partir d’un photomaton où j’étais avec plusieurs amis. On s’était entassé dans un photomaton et j’avais retravaillé cette peinture. Et un jour quelqu’un m’appelle pour me dire : Je fais un livre. Est-ce que je peux mettre ça dans le livre ? Étant donné que moi, j’étais branché peinture et tout ça, j’ai dit oui et j’ai oublié ça. Et puis après il m’a rappelé pour me dire Voilà le livre est sorti Je voudrais vous en envoyer un exemplaire. Déjà, je me dis Ah, quelqu’un de bien ! Et donc il m’a envoyé ça. Il avait vu aussi d’autres dessins que je faisais et il devait réaliser à ce moment là pour la télévision de petites pastilles sur des chefs cuisiniers qui avaient ramené une épice ou une idée, une recette d’un voyage et il avait besoin de dessins de carnets de voyage. Il m’a demandé si ça m’intéresserait de faire ça et on a fait 25 épisodes. C’était notre première collaboration. C’était pour la télévision. Après, il a eu l’idée de faire le premier des livres sur la police judiciaire.
Et alors faire son portrait. Raynal, c’est un passionné de photos, c’est un photographe lui-même : il est documentariste. Il a fait des documentaires très intéressants ; il y en a un assez connu sur Théodore Monod notamment. C’est quelqu’un dont j’adore l’écriture. En tout cas dans les reportages qu’on a faits, il a une écriture où il ne se met jamais en avant avec un ton où il y a un peu d’ironie qui fait qu’il arrive à faire passer quand même un avis, des idées un ton un petit peu décalé voilà avec un ton décalé mais toujours en retrait qui ne se met jamais en avant et c’est vraiment royal de travailler avec Raynal parce qu’il laisse toute liberté sur les choix graphiques etc… Il donne plein de matière et on en fait ce qu’on en veut. Et c’est hyper agréable de pouvoir travailler comme ça.
Je voulais justement vous poser une question par rapport à ça. Lors de l’entretien que j’ai eu avec lui en début de semaine, Raynal m’a dit que tout ce qui est découpage et mise en scène a été de votre ressort. Vous a-t-il fourni un scénario extrêmement précis ou au contraire vous a-t-il laissé une grande liberté et comment avez-vous procédé au niveau du storyboard et du découpage ?
Alors, sur cette bande dessinée Photographes de guerre notamment, moi j’ai le texte du récit. C’est un document Word, ou OpenOffice, enfin de bureautique. Quand il y a un peu de dialogue, j’ai des tirets et du dialogue et c’est tout. Il n’y a pas de répartition par page.
Donc c’est vous qui faites le découpage, la mise en scène …
Voilà, c’est ça. Je peux choisir de faire ce paragraphe en une page ou en trois. Je peux décider de faire cette page avec cases ou sans cases. Après, ce sont des décisions que je prends en fonction du contenu quand même et en fonction du rythme que je veux donner. Mais pour ça, il me laisse totale liberté. Ça ne veut pas dire qu’il ne dit rien quand je lui envoie les trucs. Le plus souvent il dit que ça lui plaît et ça lui va de toute façon mais dans toutes nos collaborations, qui seront encore nombreuses je pense, ce que j’aime particulièrement, c’est que quand je lui envoie ce que j’ai fait, je sais à l’avance si jamais il y a un truc où il va tiquer parce qu’en fait c’est un truc où moi je ne suis pas sûr ou je tique un peu et je me dis Je vais l’envoyer quand même, on verra. Mais à chaque fois que j’ai fait ça, il m’a dit Ah c’est super mais Il y a ce truc là, je ne suis pas sûr et en fait c’est toujours le truc où moi-même je n’étais pas sûr et donc ça me confirme le truc. C’est royal de travailler avec quelqu’un comme ça où on tombe d’accord sans le faire exprès à ce point sur les choses.
Sur votre site vous vous définissez comme illustrateur et carnettiste. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre travail dans ces deux domaines. Et ne pourrait-on pas maintenant ajouter auteur de bande dessinée ?
Comment je définis illustrateur et carnettiste ? Alors carnettiste c’est parce que je fais un travail de carnet assez régulier j’ai un carnet avec moi et j’aime bien dessiner les objets qui m’entourent, des choses comme ça et aussi parce que dans mon travail d’illustration il y a une grosse part qui est de l’illustration d’observation, de reportage que je fais parfois dans des carnets. Illustrateur, c’est le fait que je fasse illustration pour la presse, pour l’édition donc aussi de l’illustration de commande, c’est-à-dire que parfois je travaille pour des éditeurs tels que Plume de Carotte par exemple où on va me commander des portraits ou des illustrations.
Quelques parutions aux éditions Plume de Carotte

Vous avez fait des illustrations pour différents magazines ou journaux pour la presse et l’édition et également dans le domaine de la littérature jeunesse chez Albin Michel aussi je crois.
Oui, j’ai fait aussi de la littérature jeunesse parce que j’aime bien toucher à tout.
Oscar Le Médicus, Albin Michel

On peut penser que je m’éparpille un peu parfois mais j’aime bien tester plein de choses. Je trouve que les différents travaux se nourrissent les uns les autres. J’aime beaucoup le fait d’être illustrateur de presse parce que c’est des travaux qui demandent à être faits très rapidement. Généralement on m’appelle. Les deux jours qui suivent, je ne fais que ça et le troisième jour ça paraît. Donc en comparaison avec un travail comme sur une bande dessinée où on travaille un an et demi et il faut attendre encore trois mois avant que ça sorte, c’est assez agréable ces travaux ponctuels où aussi on peut essayer des nouvelles techniques, des nouvelles choses … C’est un peu le laboratoire parfois. Alors que sur une bande dessinée, il faut quand même tenir un style, une façon de faire pendant un temps assez long.

Est-ce qu’on pourrait mettre maintenant auteur de bandes dessinées ? Peut-être qu’on pourrait mais moi j’ai un gros syndrome de l’imposteur donc je ne suis pas sûr de réussir à me l’écrire tout de suite. (rire)
Ça ne vous tente pas ?
Si, si, c’est sûr, ça me tente. Avec Raynal, ça nous a beaucoup plu d’explorer sur ce livre-là cette façon de faire et je pense qu’on a envie de la décliner sur d’autres projets, de continuer sur la bande dessinée parce que ça offre plein de possibilités. Donc à un moment, je finirai par l’écrire mais là c’est encore un peu tôt.
J’aimerais bien qu’on revienne un peu sur votre processus de création. Raynal donc vous donne un scénario avec les dialogues. Est-ce que vous allez faire un storyboard du début à la fin et vous lancer après dans la réalisation ou alors procédez-vous autrement ?
Je ne sais pas comment je procéderai par la suite mais pour celui-là, je n’ai pas du tout fait de storyboard de l’ensemble. En fait, c’est la première fois que je fais une bande dessinée, à ce point là bande dessinée et j’ai bien saisi que l’usage, c’était plutôt de faire du storyboard. Les éditeurs ont plutôt tendance à attendre aussi un storyboard complet mais heureusement on a eu un éditeur assez compréhensif (rires) chez Albin Michel et donc Martin Zeller Martin Zeller qui a beaucoup apporté à ce livre. En fait j’ai très peur si je fais un découpage complet, un storyboard complet de m’ennuyer au moment de la réalisation. C’est-à-dire que j’ai quand même l’impression que le storyboard c’est le moment clé, c’est le moment où on définit le rythme, la narration. Après, on peut changer un cadrage et tout ça mais globalement c’est un moment où des choix importants sont faits et après le dessin, c’est une espèce de truc qu’on déroule et je n’ai pas eu envie jusque là d’avoir ce travail tout d’un bloc : à faire tout le dessin, puis toute la couleur, etc. Et donc j’ai travaillé sans storyboard. C’est mal, je sais (Rires). En fait, j’en ai fait quand même un peu de temps en temps quand il y a une séquence comme par exemple la séquence du char ou le prologue où j’ai eu besoin de faire un storyboard sur 4, 6 pages. Donc sur une scène précise. Oui, sur une scène précise parce qu’il ne faut pas non plus faire n’importe quoi.
Mais ce récit permettait aussi d’envisager certaines pages comme une entité et moi je sais que ce que j’ai beaucoup aimé c’est de mener une page du début à la fin sans m’arrêter : prendre le texte, aller jusqu’à la couleur, les bulles, scanner, mettre les bulles etc… et passer sur la page suivante où il n’y a encore rien. Et tout est possible sur la page suivante et l’idée, elle vient peut-être dans la nuit entre les deux. L’idée, elle vient peut-être en ayant fait la couleur où je me dis Ah je pourrais faire ça. Oui donc forcément vous avez suivi l’ordre chronologique. Oui, j’ai fait dans l’ordre à part le prologue qui n’a pas été fait tout de suite. Ce n’était pas facile parce que quand on ne fait pas de storyboard, ça peut être un peu « casse gueule ». Il faut avoir une idée quand même de la structure globale, du rythme etc. Et quand j’ai commencé à faire les pages, en fait Raynal n’avait pas fini de faire ses recherches donc la fin de l’histoire, on n’était certain de ce qu’elle serait. On savait qu’on ne raconterait que la réalité, qu’on raconterait ce que Raynal trouverait et donc plus il trouvait des choses, plus ça rallongeait et plus ça modifiait la fin. Quand j’ai commencé toute la première partie qui est sur Barcelone – ça il avait des informations, j’avais de quoi démarrer – mais au moment où je dessinais ça, je ne savais pas du tout si cette partie-là représentait la moitié ou un quart du livre, donc c’est ça qui était un peu difficile mais après, assez vite, au bout de six mois, il avait quand même trouvé. C’était super en plus de travailler sur des pages de Barcelone et d’avoir Raynal qui appelle en disant J’ai retrouvé la petite-nièce. Elle m’envoie des documents. En fait, ils ont fait ci, ils ont fait ça … donc c’était super.
Donc ça pouvait même vous rajouter … Ça pouvait éventuellement rajouter des pages mais elles étaient plutôt vers la fin. Par contre, ça rajoutait des informations sur les personnages alors que j’avais déjà commencé à les dessiner. Ça les a peut-être fait évoluer. Oui et il y a une anecdote rigolote c’est que quand j’ai démarré, j’avais quelques photos de Hans Namuth parce qu’il est sur certaines des photos faites par Reisner alors que Reisner n’est jamais sur les photos et de Reisner, on avait une photo tirée d’un livre mais où il est de profil et qui est cadrée sur son visage. On ne voit pas ses cheveux. Et donc j’ai imaginé le reste et au moment ou Raynal a retrouvé la petite-nièce de Reisner, elle nous a envoyé notamment une carte de presse où on voit une photo d’identité et en fait il est un peu plus brun que ce que j’ai dessiné mais je ne pouvais pas le savoir. Moi j’ai cherché à différencier les personnages pour bien les reconnaître parce qu’au final ils étaient tous les deux bruns et tous les deux avec le nez busqué et du coup que ce soit juste les lunettes qui les différencient, ça aurait été compliqué. Donc j’avoue que Reisner est un peu moins ressemblant que Hans Namuth.
On va s’arrêter un peu justement sur vos choix graphiques. Vous êtes un portraitiste hors-pair. On reconnaît bien votre trait réaliste, celui des reportages illustrés et des carnets de voyage. Photographes de guerre est un ouvrage hybride tendant parfois plus vers l’illustration avec de grandes images, l’insertion de cartes, de unes de journaux… Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vos choix graphiques ? Avez-vous travaillé en numérique en tradi, ou avez-vous fait un mix des deux ?
Alors c’est une espèce de mix. J’ai choisi de faire le trait en numérique. Donc je travaille sur une tablette avec le logiciel Procreate qui permet d’avoir quand même des outils qui ressemblent pas mal à des outils manuels parce que ça m’aidait en terme de rapidité et puis dans la construction. Ça permettait de démarrer des dessins sans savoir encore forcément quelle taille ils allaient avoir dans la page. Moi, je sais que j’aime bien réaliser des éléments et puis les assembler un peu après. Les pages qui sont de la bd classique avec des cases, c’est moins le cas mais sur les pages composées, il y a un truc que j’aime beaucoup faire, c’est de dessiner les éléments séparément et venir les mettre parce qu’en fait, rien que quand on les insère dans le fichier, parfois ils se placent d’eux-mêmes par hasard d’une manière qu’on n’aurait pas pu du tout imaginée et c’est des accidents que j’aime beaucoup. Moi, je suis un grand partisan des accidents dans le processus créatif. Je préfère toujours les choses qui ne sont pas ce qu’on avait imaginé, qui sont là où elles se sont retrouvées en décidant d’y aller et cette façon numérique de travailler permet ça même s’il y a moins d’accidents de tracé mais néanmoins le numérique permet une certaine légèreté, une certaine insouciance de la main puisqu’on sait qu’on pourra tout corriger donc on n’est pas figé ou terrorisé par le beau papier, la plume … Par contre, moi j’ai besoin de travail à la main aussi même si avec la tablette on travaille avec la main, mais je veux dire de travailler sur le papier et puis sur la mise en couleur que je fais à l’aquarelle, au lavis. Je n’aime pas quand c’est fait numériquement. Ce serait très très long d’obtenir numériquement ce que j’obtiens en allant assez vite. Et puis c’est pareil, que ce soit avec l’aquarelle ou l’encre, il y a aussi des accidents qui se produisent. Oui. En fait, c’est l’aquarelle qui fait le travail, ce n’est pas moi. Les taches, elles vivent leur vie. Moi c’est ce que j’aime dans l’aquarelle. C’est qu’on tente un truc et puis il se passe autre chose qui est plus intéressant que tout ce qu’on aurait pu imaginer. Donc je fais le trait à la tablette, j’imprime sur un beau papier et ensuite je fais le lavis à la main Ce qui intéressant comme procédé parce que justement si au niveau de aquarelle ça ne vous plaît pas … Eh bien je peux toujours réimprimer. C’est rigolo parce qu’en fait je me dis ça et sur celui-là, je n’en ai réimprimé aucune. Après ce n’est pas que je sois spécialement doué en aquarelle mais je pense que le fait d’avoir cette sécurité fait que je n’en ai pas besoin. Alors que ça m’est arrivé de faire quelques pages où je fais tout à la main et il y a une espèce de stress qui est plus paralysant qu’autre chose. Là, je sais que je peux réimprimer au cas où, ça libère.
Un petit mot sur les couleurs et le choix des couleurs?
C’est un peu un choix par défaut dans le sens où je suis nul pour la couleur, c’est-à-dire que je ne sais pas faire des choses où il y a beaucoup de couleurs ensemble. J’ai essayé des fois sur des collectifs ou d’autres choses de faire un truc très coloré et tout… J’arrive à faire des trucs mais ça me paraît très fastidieux et je trouve qu’on perd en lisibilité. Et du coup, dans mon travail d’illustration que ce soit l’illustration presse ou autre, assez souvent, je privilégie la bichromie. Je m’y retrouve mieux, je trouve que les choses se mélangent mieux entre elles. J’arrive mieux à gérer les profondeurs, etc… Donc comme il y avait la nécessité de travailler assez vite quand même puisqu’il y avait un bon nombre de pages, je me suis dit que j’allais avoir suffisamment de problèmes de dessin, de construction, de mise en scène peut-être alors j’ai pris une façon de faire pour la couleur avec laquelle je suis plus à l’aise donc j’ai chois la bichromie en la faisant varier. Les variations de bichromie permettent une meilleure lisibilité en fonction des atmosphères qu’il peut y avoir, de temporalité aussi. La bichromie est idéale pour ça.
L’idée, c’était que les changements aient une signification, se justifient. Ma grande peur tout le temps, dans tout ce que je fais, je me dis il faut que ce soit justifié, il ne faut pas qu’il y ait des choses qui paraissent totalement gratuites.
Donc au début de l’album, on est plutôt dans les tons bleutés…
Voilà. Disons que le reste de l’album est une espèce de brun en flashback et du coup le bleu ouvre et clôt l’album.
Alors pourquoi ces tons bruns, un peu couleur de terre ?
En fait, c’est un noir assez chaud et un terre de Sienne brûlée qui est la couleur que je mets partout tout le temps – il faut que j’arrête (rire) – mais qui est une couleur que j’adore et qui a l’avantage de fonctionner très très bien pour la peau, les visages et l’environnement et aussi pour dire la chaleur, la sécheresse, le feu…. On était en Espagne, la guerre … ça donne un côté sépia qui parle aussi du fait que c’est une époque passée. Enfin ça cochait pas mal de cases. Après dans l’album, l’idée c’était que ça noircisse un peu au fur à mesure que leur horizon se noircit aussi.
Vous avez redessiné certaines photos avec une précision chirurgicale, c’est absolument époustouflant de réalisme! Quelles ont été vos sources de documentation ?

Il y a leurs photos à eux, donc les photos de Hans Namuth et Georg Reisner. Celle-ci, qui est une vue de républicains à l’arrière d’un camion, c’est un mélange de deux de leurs photos.
J’ai pris des libertés parfois. On a travaillé à partir de leurs photos parce que c’était la base des recherches de Raynal. C’est à cause de l’une de leurs photos qu’il s’est intéressé à leur vie déjà et puis c’est le témoignage qu’on a de ce qu’ils ont vu. Et comme nous on voulait raconter ce qu’ils ont vu, c’était essentiel de le montrer. Après je l’ai fait avec le prisme de ma façon de dessiner, de ma façon de mettre en couleurs. Je n’ai pas trop bidouillé les photos c’est à dire qu’en général c’est à peu près le cadre de la photo. Je les ai traitées parfois de façon partielle comme par exemple cette photo du corps d’un garde sous un drapeau.


C’est l’avantage avec ce type de dessin et en bande dessinée : attirer l’œil sur un point de la photo, etc… Ça c’était notre première documentation puisque c’est la trace de ce qu’ils ont vu, d’autant plus que Raynal a retrouvé plus que ce qui était conservé à New York. Donc ça, ça m’a servi aussi parfois pour des personnages, sur des paysans qu’ils ont croisé ou des choses comme ça que j’ai utilisées. Après, J’ai utilisé de la documentation historique sur la guerre d’Espagne. Alors j’ai utilisé des photos qui ont été publiées dans des revues comme VU Oui voilà parce que Raynal m’avait fourni plusieurs numéros de la revue VU et puis un livre qui existe Spanisches Tagebuch qui reprend les photos connues de Namuth et Reisner et sinon quand j’ai cherché de la documentation, c’était par des unes de journaux, des couvertures de revues et des photos qui ne soient pas des photos qu’on connaît de la guerre d’Espagne. Enfin j’ai essayé. Capa, tout ça , en plus ça pose de nombreuses questions de droit d’utiliser une photo de Capa.
J’avais posé la question à Raynal à savoir pourquoi vous n’aviez pas utilisé les propres photos parce que ça se fait beaucoup et il m’a dit qu’effectivement, il y avait une question de droits mais aussi de …
L’idée c’était aussi Emmanuel Guibert l’a très bien fait dans Le photographe mais nous l’idée c’était de conserver une espèce d’unité dessin, texte voilà, ne pas ramener une troisième façon.

L’idée de photo vous la donnez également par vos propres cadrages. Je pense notamment au Rolleiflex qui donne des photos carrées. On en a certaines justement où on voit même le quadrillage.
Oui, j’ai voulu parfois donner à voir ce qu’eux voient. Notre choix permanent, c’était vu par eux donc la guerre d’Espagne telle qu’ils la voient, etc… et donc parfois je me suis amusé, entre guillemets, à montrer la scène que je voulais montrer mais à travers l’objectif du Rolleiflex qui quadrille pour dire c’est ce qu’ils voient, c’est ce qu’ils choisissent de regarder aussi. Je me suis amusé aussi parfois quand on a une photo ou deux photos d’eux, d’imaginer la photo entre les deux qu’ils auraient pu prendre, qu’ils ont peut-être prise on ne sait pas ou le mouvement entre les deux enfin, voilà. Aussi parfois, en représentant l’une de leur photos je les ai rajoutés, enfin j’ai rajouté l’un des deux en train de faire la photo. Il y a une double page là où il y a une barricade faite avec des selles de cheval qui est une de leurs photos.

Dans ces moments-là, moi j’ai fait un choix. J’ai arbitrairement dessiné lequel des deux a pris la photo puisqu’on ne sait jamais lequel c’était puisqu’ils signaient les photos tous les deux mais le côté fictionnalisation, il est uniquement là et puis dans les dialogues mais autrement tous les faits sont avérés.
Oui. Même dans les dialogues je dirais parce que finalement, dans les sources documentaires qu’avait Raynal, il a dû vous en parler, il y avait le journal de Hans Namuth qui lui a donné beaucoup de billes sur l’état d’esprit dans lequel ils étaient à ce moment-là. Quand il écrit Je suis terrifié, on se dit qu’on n’invente pas grand-chose en faisant un dialogue.

Oui d’autant plus qu’il y a eu le journal d’une tierce personne qui s’est retrouvée avec eux dans le fameux tunnel…
Oui, voilà dans le tunnel, il y a Franz Borkenau qui est avec eux et qui raconte dans son récit ce même épisode donc on a plusieurs points de vue.
J’aimerais bien qu’on s’arrête un moment sur la couverture parce que c’est vrai que la couverture, c’est ce qui attire l’œil en premier quand on voit l’album. A-t-elle coulé de source ou y a t-il eu d’autres options et dans ce cas comment s’est fait le choix ?
Alors la couverture, c’est toujours un savant travail entre les envies des auteurs, les propositions du directeur artistique de l’éditeur, etc. Là en fait il y avait eu peut-être quelques propositions du directeur artistique et puis moi j’avais travaillé à faire pas mal de petits croquis en je ne sais plus combien de versions.

On s’était assez vite accordé sur le fait qu’il fallait qu’on les voie tous les deux puisqu’ils ont la même importance dans l’histoire. Il n’y en a pas un qui est plus important que l’autre donc il fallait qu’on les voie avec le même statut. L’éditeur voulait, ce que je peux comprendre, qu’on comprenne que ça parlait de photo et qu’on comprenne que c’était la guerre d’Espagne. Ça, c’étaient les contraintes. Donc moi j’ai fait des propositions mais à un moment j’étais un peu emprisonné dans les petites compositions. Il y avait un dessin sur lequel on hésitait qui est finalement à l’intérieur qui est le dessin d’un poing avec un appareil photo qui était une idée de Raynal qu’on a écarté parce qu’il y a beaucoup de couvertures sur la révolution où il y a un poing levé comme ça ou Charlie Hedbo, le poing avec le crayon Oui voilà.

On s’est dit qu’on l’avait pas mal vu et j’ai un ami qui est graphiste qui s’appelle Thibaut Chignaguet qui en ayant vu là où j’en était de mes planches m’a fait des propositions en prenant des bouts d’images et parmi ses propositions, il y avait cette idée d’une espèce de tranchée blanche entre deux paysages, enfin deux scènes de guerre. On est parti sur cette composition-là. Alors elle a eu plein de versions. Le dessin original de cette couverture, tout est en couleurs. Et puis, ça c’est un choix du directeur artistique qu’on a validé, le fait de faire cette espèce de bichromie pour distinguer les personnages du reste.
D’autant plus que le rouge est absent de l’album. On le retrouve uniquement sur la couverture pour les deux personnages et le titre.
Ce rouge, c’était une demande de l’éditeur et du D.A pour dire Guerre d’Espagne… C’est une couleur qui est un peu obligatoire comme il y a un petit ¡NO PASARÁN !, c’était une demande aussi. Et pour la petite histoire, cette partie-là est faite à partir de l’une de leurs photos. On voit des réfugiés qui s’enfuient et selon un historien espagnol, les deux personnes qu’on voit de dos seraient Robert Capa et Gerda Taro, mais en fait, on n’en sait rien. La seule chose dont on est sûr, c’est qu’ici c’est mon chien que j’ai représenté pour faire un clin d’œil à mon chien. (rires)
Pour terminer, je vais citer Raynal. Il m’a dit :
« Depuis longtemps Titwane voulait aller vers ce type de récit faire plus de cases, plus de bulles avec une partie de fiction, un peu. Il est au début du succès, il a franchi une étape donc on va continuer ensemble mais il va aussi voler de ses propres ailes sur plein de choses.«
Alors ce plein de choses, c’est quoi ?
(Rires) Eh bien, je n’en sais rien moi, en fait. Ce dont je suis sûr, on pourra répondre ça à Raynal, ce dont je suis sûr, c’est que je continuerai à travailler avec Raynal Pellicer parce que j’adore sa façon d’écrire, j’adore les sujets qu’il me propose et sa façon de les traiter, sa précision et en même temps sa retenue et sa subtilité pour traiter le sujet, donc c’est certain que je continuerai à travailler avec Raynal. Le reste ? C’est vrai que ce livre là a fait que je me rends compte que certains éditeurs se sont dit Ah tiens il peut faire de la bd lui et que du coup, j’ai un peu des appels du pied, voilà mais on en est là. Pour l’instant, on va dire qu’on en est là.
C’est bien d’avoir des appels de pied des éditeurs.
Ah moi, ça me va très bien mais il faut que je garde du temps pour le reste. C’est ça l’avenir pour moi.
Eh bien je vous remercie beaucoup de nous avoir accorder un peu de votre temps et je vous souhaite une bonne fin de festival.
Merci à vous.
Interview de Francine VANHEE

POUR ALLER PLUS LOIN
Le portrait de Titwane par Raynal

Le site de Titwane

La chronique de l’album


L’interview de Raynal Pellicer







