Expo Joann Sfar « La vie dessinée »


L’affiche
Le catalogue, Dargaud

Première rétrospective en France consacrée à Joann Sfar, l’exposition Joann Sfar La vie dessinée qui se tient du 12 octobre 2023 au 12 mai 2024 au musée d’art et d’histoire du Judaïsme retrace plus de trente de création de l’artiste à travers environ 250 planches et dessins, de nombreux carnets ainsi que des photos et vidéos, ce sous la houlette de Clémentine Deroudille commissaire d’exposition qui a entre autres conçu avec Joann Sfar l’exposition Brassens ou la liberté en 2011 à la Cité de la Musique et été aux côtés de Vincent Brunner la commissaire de l’exposition « Rock ! Pop ! Wizz ! » à la Cité de la bande dessinée à Angoulême en 2023 et Thomas Ragon son éditeur chez Dargaud.

La scénographie sobre, aérée et élégante met particulièrement en valeur les œuvres tout en établissant un rapport cohérent entres les différents pans d’une œuvre foisonnante qui au premier abord pourrait paraître disparate.

À chaque espace, sa couleur.

Tout au long du parcours à la fois chronologique et thématique retraçant sa jeunesse à Nice, sa formation à Paris, les différentes facettes de son œuvre à travers ses réalisations les plus emblématiques, ses filiations, son regard sur le quotidien et ses derniers travaux, nous sommes accompagnés des réflexions du chat du rabbin émaillant les murs et aussi et surtout de ses carnets.

Au début des années 1990, Joann Sfar commence à noircir des carnets de notes et de dessins qui seront publiés par l’Association à partir de 2002 et le sont désormais par Gallimard.

Photos de famille

Né à Nice en 1971 dans une famille juive, originaire d’Europe orientale par sa mère qu’il perd alors qu’il n’a pas encore atteint ses quatre ans et du Maghreb par son père, le jeune Joann se réfugie dans le dessin. Il fréquentera le lycée Massena sur les pas de Joseph Kessel et de Romain Gary qui revêtiront pour lui une grande importance.

Tous deux ont grandi à Nice et une partie de leur famille est originaire d’Europe de l’Est. En 2014, à occasion de la célébration du centenaire de la naissance de l’écrivain, Joann Sfar a illustré l’un de ses romans les plus célèbres La promesse de l’aube. Romain Gary prête ses traits au personnage du Malka des Lions dans le tome 2 du Chat du Rabbin dont on découvre la jeunesse dans le tome 12 « La traversée de la mer Noire » paru l’an dernier.

Il raconte cette enfance et adolescence niçoise dans La Synagogue centrée sur son père, publié en 2022 et l’album Les Idolâtres qui vient tout juste de paraître centré, lui, sur l’absence de sa mère et son rapport au dessin

Début des années 90, après un passage aux Beaux-Arts à Paris, il rejoint l’atelier Nawak et c’est la rencontre avec Lewis Trondheim, Brigitte Findakly qui deviendra sa coloriste attitrée, Christophe Blain, Emmanuel Guibert, Émile Bravo, David B. … puis Marjane Satrapi et Riad Sattouf quand suite à son déménagement place des Vosges, l’atelier Nawak prendra le nom d’atelier des Vosges.

À gauche, photo de Marine Billet (2022) : Mathieu Sapin, Christophe Blain, Joann Sfar et Riad Sattouf
À droite, en haut : L’équipe de l’atelier Nawak : David B, Emile Bravo, Joann Sfar, Christophe Blain, Brigitte Findakly Jean-Yves Duhoo et Lewis Trondheim
À droite, en bas : Jean-Yves Duhoo, Émile Bravo, David B., Christophe Blain, Joann Sfar, Brigitte Findakly et Lewis Trondheim

Planches originales de la bande

Le fantastique, chez Joann Sfar, n’est pas un échappatoire à la réalité mais au contraire une façon de l’appréhender .

Autre rencontre importante : celle de Pierre Dubois et de son univers magique peuplé de fées et autres elfes et lutins lors d’un festival bd.

C’est lui qui signera le scénario de Petrus Barbygère (1996-1997), Delcourt

Les Idolâtres, page 155

Dans Professeur Bell, série fantastique publiée à partir de 1999, le docteur Joseph Bell, ayant inspiré le personnage de Sherlock Holmes à Conan Doyle, est un médecin qui soigne les états d’âme des monstres.

Le klezmer est la tradition musicale instrumentale liée à l’exil des juifs d’Europe orientale. La série Klezmer (2006-2014) qui raconte l’errance d’un groupe de quatre musiciens juifs et d’une chanteuse fuyant les pogroms de la région d’Odessa vers 1900, c’est l’occasion pour Joann Sfar (scénario, dessin et couleur) d’explorer ses racines ashkénazes tout en dénonçant l’antisémitisme et ses ravages, les pogroms en Russie tout comme dans le diptyque Chagall en Russie (2010-2011).

Couverture tome 2
Couverture tome 3
Couverture tome 4

La musique tient une place très importante dans sa vie. Il s’est essayé au ukulélé, à la flûte, au banjo, à la guitare, au violon, à l’harmonica, à la guimbarde, expériences relatées avec l’autodérision qu’on lui connaît dans ses carnets.

Et puis, il y a Brassens et surtout Gainsbourg et le film Gainsbourg, vie héroïque, César du meilleur premier film en 2011.

Un espace ludique accueille les enfants dans l’univers du Petit Prince et Petit vampire. Ils peuvent s’installer sur les marches et dévorer les bd mises à leur disposition, regarder des extraits de vidéo ou encore reconstituer un puzzle géant.

C’est pourquoi, à l’instar de Roald Dahl et de son illustrateur Quentin Blake « un exemple d’humanisme, de drôlerie, à [ses] yeux l’un des plus grands dessinateurs vivants, en tout cas pour les enfants », il choisit de parler de tout aux enfants avec humour sans jamais édulcorer ses propos.

Petit Vampire ( 7 tomes, Delcourt, 1999-2005 ) s’inspire de l’enfance de Joann Sfar. Michel a perdu ses parents et est élevé par ses grands-parents dans une villa peuplée de monstres, fantômes et vampires qui ressemble fort à celle des grands-parents du dessinateur au Cap d’Antibes, le tout servi avec une bonne dose d’humour.

En 2008, c’est avec poésie qu’il adaptera le mythique Petit Prince chez Gallimard.

Entre les deux étages dédiés à l’exposition, un peu à l’écart, toute habillée de rouge, la mezzanine est consacrée à Pascin, l’œuvre érotique de Joann Sfar, inspirée de la vie fantasmée du peintre Julius Pincas (1885-1930), dit Pascin publiée à L’Association.

La rencontre d’un peintre et d’un modèle dans le Paris des Années folles conduira à une réflexion sur la création artistique, l’amour et la sexualité.

Dans le dernier opus de la série, La Java bleue, publie en 2005, Joann Sfar a quitté le noir et blanc pour la couleur directe réalisée à l’aquarelle et à la gouache.

Cet espace est consacré à ses outils bien sûr mais apporte également un éclairage sur les artistes qu’il admire : Les grands de la bd Will Eisner, Hugo Pratt, Jack Kirby et aussi Quentin Blake et les peintres de l’École de Paris.

Dans ce conte, inspiré par les récits de sa grand-mère paternelle et par Imhotep, son propre chat, Joann Sfar explore le judaïsme et la culture séfarade dans l’Algérie coloniale, et par les réflexions mêmes de ce chat prompt à tout remettre en question, nous offre une belle leçon de tolérance.

Planche originale pour le dossier de presse du tome 3

Énorme succès, la série dont le 12ème opus est sorti le deuxième jour de l’exposition est traduite en 22 langues et a fait l’objet en 2011 d’une adaptation en cinéma d’animation signée Joann Sfar qui obtint le César du meilleur film d’animation. Et puis, n’oublions de d’écouter et regarder le chat tourner à l’angle du mur et disparaître …

La dernière partie de l’exposition met en avant le dessinateur témoin de son temps notamment par le biais de ses publications dans Paris Match.

Dessiner, pour Joann Sfar, c’est une façon de porter son regard sur le monde et le décrypter.

Les Idolâtres, page 119
Albin Michel, 2020

L’exposition s’achève sur les couvertures de ses derniers ouvrages parus le temps de l’exposition, le tome 12 du Chat du rabbin  La traversée de la mer Noire (13 octobre 2023 et Les Idolâtres (26 janvier 2024) …

… et quatre planches de Reines et dragons, un album à paraître (mai 2024) contant les aventures d’une princesse livrée à elle-même dans un univers d’héroïc fantasy extrêmement dangereux.

Texte et photos Francine VANHEE

POUR ALLER PLUS LOIN

L’élégant catalogue à l’iconographie très riche est un excellent complément à l’exposition mais peut très bien se suffire à lui-même et apporter ainsi à tout un chacun un éclairage sur l’artiste et son œuvre.

Après un entretien avec Joann Sfar par Paul Salmona le directeur du mahJ et une introduction de Clémentine Deroudille et Thomas Ragon les commissaires de l’exposition, il comprend dix chapitres correspondant aux dix thèmes de l’exposition agrémentés de citations de Joann Sfar et de textes signés Emmanuel Guibert, Lewis Trondheim, Emile Bravo, Brigitte Findakly entre autres.

« Le mahJ présente du 12 octobre 2023 au 12 mai 2024 la première rétrospective consacrée à Joann Sfar, l’exposition retrace, grâce à 250 planches et dessins, mais aussi carnets, photographies et films, le parcours d’un artiste exceptionnel dont la créativité se déploie depuis plus de trente ans dans la bande dessinée, le cinéma et la littérature. Le catalogue présente l’essentiel de l’exposition, augmenté de textes d’un ensemble d’auteurs et autrices prestigieux. »


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