LE CHAT DU RABBIN T.12


Le Chat du Rabbin T. 12 La traversée de la mer Noire

Le Chat du Rabbin T. 12
La traversée de la mer Noire
Scénario : Joann Sfar
Dessin : Joann Sfar
Couleur : Brigitte Findakly
Éditeur : Dargaud
Collection Poisson Pilote
88 pages
Prix : 16,95 €
Parution :  13 ocotobre 2023
ISBN 9782205203257

Ce qu’en dit l’éditeur

Le rabbin, le Malka des Lions et leurs amis racontent au chat et à Zlabya comment ils ont participé à la Première Guerre mondiale, et comment après les tranchées en France, ils ont été envoyés, en 1918, à Odessa pour un épisode méconnu de l’histoire de l’Hexagone. Des horreurs et des absurdités qu’il entend de la bouche des vieux hommes, le chat se demande si le pire ne serait pas que son rabbin ait pu avoir un autre chat que lui — trahison !

Sorti l’automne dernier aux éditions Dargaud quasiment au même moment que la grande rétrospective Joann Sfar, La vie dessinée au mahJ, La traversée de la mer Noire, douzième tome du Chat du Rabbin se penche sur la jeunesse du rabbin, du Malka des lions et consorts, tous conscrits issus des colonies françaises pris dans les affres de la première guerre mondiale. Comme le titre de l’album l’indique, le cauchemar n’a pas cessé à l’armistice. Envoyés à Odessa, ils ont vécu cet épisode peu connu des mutins de la mer noire lors des terribles événements de 1919 en Russie.

Et le chat, dans tout ça ? Le chat, eh bien, il est est horrifié parce qu’il vient de découvrir …

Dès qu’ils se retrouvent sur les rives ensoleillées de la Méditerranée, le rabbin, le Malka des lions, El Rebiboh et Bénediction, c’est parti pour les souvenirs de jeunesse pas très heureux puisque tous quatre ont dû affronter la boue des tranchées. Finie pour El Rebiboh et Bénédiction l’insouciance des nuits parisiennes où peu importait alors qu’on soit noir, juif ou arabe, seule comptait la musique.

Dès l’embarquement sur le bateau qui les renvoyait de l’autre côté de la Méditerranée, ils allaient vite se rendre compte qu’en temps de guerre ils allaient cesser d’être « ni noirs ni juifs » : Destination les goumiers pour El Rebiboh et les tirailleurs pour Bénédiction.

Le rabbin et le Malka des lions eux furent enrôlés dans un régiment de zouaves et après avoir participé la bataille des Dardanelles où ils croisèrent le « Zion Mule Corps », un régiment anglais entièrement composé de de soldats juifs, ils furent envoyés en Belgique.

À l’armistice, pas de retour au pays : direction Odessa pour aller prêter main forte à l’armée blanche.

Fable oblige, ils sont accompagnés qui de son rat, le Malka de son lion et le rabbin d’un adorable chaton rouge offert par Zlabya lors de son départ.

Stupeur et tremblements de notre félin gris aux yeux citron vert : lui qui croyait être le seul, l’unique , LE Chat du Rabbin !

Le chat du rabbin, une série culte

 Le Chat du Rabbin, c’est 12 tomes traduits en 21 langues, plus d’1,6 million d’exemplaires vendus et un film d’animation couronné du César du meilleur film d’animation en 2011.

« Joann Sfar dans « Le Chat du Rabbin » a fait une œuvre unique en son genre. C’est à la fois une poésie, un conte pour adulte et une discussion intelligente, pondérée et drôle du judaïsme.« 

Mêlant culture juive sérafade, évènements historiques, questionnement philosophique, Sfar dresse avec un humour décapant et la sensibilité qu’on lui connaît le portrait d’un monde juif algérien aujourd’hui révolu : l’Algérie du début du XXe siècle sous domination coloniale.

Ça fait maintenant plus de 20 ans que le chat a croqué le perroquet.

Doté dès lors de la parole que tel un Sganarelle félin – « sgannare » signifiant dessiller en italien – il va dès lors manier la langue avec humour et impertinence pour tordre le cou aux préjugés et aux certitudes.

C’est à travers lui, à travers son regard que Joann Sfar nous fait par de ses interrogations en tant qu’homme, citoyen et artiste. Le chat, c’est lui.

Effondrement des tours jumelles, naissance de sa fille, décès de sa grand-mère algérienne, autant d’éléments qui l’on conduit à la création de la série avec le désir de « dédramatiser et réenchanter » la mémoire maghrébine.

Voyage au bout de l’enfer

Ce douzième tome plus sombre et moins humoristique se distingue du reste de la série sans doute en raison de la noirceur même des évènements. Le chat est beaucoup moins présent également : il n’apparaît que dans sept planches sur les 77 que compte l’album. Il a quitté son costume de narrateur pour enfiler celui d’auditeur, un auditeur qui, obsédé par l’idée qu’il y ait pu avoir un autre chat avant lui, prête une oreille distraite au récit effroyable des rescapés de ce voyage au bout de l’enfer.

Caustique et profondément égoïste, il n’en demeure pas moins fidèle à lui même et ses interventions apportent un bol d’air salvateur au lecteur entre deux récits éprouvants où règnent peur, faim, froid et barbarie sans oublier les inégalités de traitement réservés aux soldats des colonies.

Si juifs et musulmans ne font pas la guerre sous le même statut – les juifs ayant d’office la citoyenneté française suite au décret Crémieux de 1870 alors que les musulmans demeuraient sous le statut de l’indigénat – l’expérience est la même pour tous.

Aussi se créera-t-il un rapprochement entre eux à travers la solidarité née au front. Côté religieux, va même s’installer parfois sur le front un syncrétisme de nécessité où l’aumônier d’une confession va faire la prière pour les fidèles d’une autre. Ainsi le rabbin passe-t-il d’aumônier préposé aux juifs à prêtre des musulmans.

D’un carnage à l’autre

Cela fait très longtemps que Joann Sfar voulait faire un récit de guerre avec le Chat du Rabbin et plus de dix ans qu’il avait en tête l’histoire des mutins de la mer Noire. Avec La traversée de la mer Noire, il fait d’une pierre deux coups.

Après l’horreur des tranchées, voilà nos quatre protagonistes volontaires malgré eux embarqués sur Le France, destination Odessa pour combattre la Russie communiste et tenter de récupérer l’argent de l’emprunt russe. Là-bas, outre le froid, sévit la guerre civile et des massacres dont l’horreur dépasse l’entendement : Russes blancs contre Russes rouges sans oublier les anarchistes. Et quel que soit le camp, on massacrait les Juifs … 

Quant aux marins français, refusant le combat, il hisseront le drapeau rouge …

On ne sort pas indemne d’une telle expérience. On en viendrait presque à perdre la foi. Quand tout espoir semble perdu, c’est l’amitié, la fraternité et l’humour (noir) qui permettent de tenir le coup.

Quelque chose de Pratt et de Kessel

Pour relater cet épisode historique peu connu, comme à son habitude, Joann Sfar s’est beaucoup documenté.

Ancrant la fable dans la réalité, aux personnages de fiction, il mêlera des personnages réels tels Django Reinhardt en joueur de banjo ou encore Jeanne Labourbe, une militante marxiste française habitant à Odessa fusillée par les russes blancs.

L’album s’achève sur 5 pages de bibliographie commentée et illustrée. C’est alors l’occasion pour lui de rendre hommage au maestro qu’il admire et ne cesse de citer : Hugo Pratt. De lui, il tient son affinité pour le plume et l’encre de Chine.

Hugo Pratt Koïnsky raconte … Casterman, 1993

Ce récit historique est également nourri de références littéraires et s’inspire de deux autres de ses mentors, ses illustres prédécesseurs au lycée Masséna de Nice : Romain Gary à travers le personnage du Malka des lions à qui Sfar a prêté les traits de l’auteur de La promesse de l’aube – roman qu’il a par ailleurs illustré en 2014 aux éditions éditions Gallimard-Futuropolis ) et Joseph Kessel pilote engagé volontaire pendant la Première Guerre mondiale envoyé en mission à Vladivostok en janvier 2019 en s’inspirant notamment de sa description dans Les nuits de Sibérie (Flammarion, 1928) de l’atmosphère qui régnait dans la ville pour la transposer à Odessa.

Comment représenter les massacres ?

Comme toujours dans ce genre de récit où où règnent la peur, le froid, la faim et les atrocités s’enchaînent se pose la question de la représentation. Sans doute le medium bande dessinée est-il parfaitement adéquat car il permet la mise à distance en rendant visuellement supportable ce qui intrinsèquement ne l’est pas.

Là encore il faut souligner le formidable travail de colorisation Brigitte Findakly, sa coloriste attitrée depuis le premier tome. Lors de la naissance de la série, une tenue rouge et jaune pour Zlabya, la peau mate pour elle et son père, les yeux verts pour le chat étaient les seules indications fournies par le dessinateur. Depuis, elle est seule aux commandes et ses choix loin d’être seulement esthétiques participent pleinement à la narration en créant des ambiances lourdes : tons froids et désaturés pour la traversée, tons chauds d’ocre, rouge, brun pour l’épisode des Dardanelles, éclatement des couleurs envahies par le jaune marquant la violence des combats…

Le ton décalé, l’humour malgré tout face à l’absurde et la barbarie confèrent à ce récit une touche d’humanité qu’on aurait pu croire totalement disparue. Puissions nous la faire croître …

POUR ALLER PLUS LOIN
Avril 2024

« Les coulisses de la création de cette série avec un félin taquin, doté d’une parole libre et impertinente, qui travaille à sa façon à plus de fraternité. Une œuvre personnelle pour Joann Sfar, qui cristallise beaucoup de ses préoccupations d’homme, de citoyen et d’artiste, à laquelle s’ajoutent de nombreuses autres voix au fil des pages (historiens, philosophes, artistes…).« 

Première rétrospective en France consacrée à Joann Sfar, l’exposition Joann Sfar La vie dessinée qui se tient du 12 octobre 2023 au 12 mai 2024 au musée d’art et d’histoire du Judaïsme retrace plus de trente de création de l’artiste à travers environ 250 planches et dessins, de nombreux carnets ainsi que des photos et vidéos.


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