DEEP IT


Deep it

Deep it
Scénario : Marc-Antoine Mathieu
Dessin : Marc-Antoine Mathieu
Éditeur : Delcourt
120 pages
Prix : 19,99 €
Parution :  17 janvier 2024
ISBN 9782413081623

Ce qu’en dit l’éditeur

Avec ce récit, second volet à deep me, Marc-Antoine Mathieu donne à Adam, dernier artefact humain fonctionnel, la plus primordiale des missions et nous livre un condensé des questionnements propres à l’humanité post IA.

Après le grand Deuil, absolument tout ce qui répondait à la définition du « vivant » a disparu de la Terre… Adam, unique IA dotée d’une conscience, gardien de la totalité de la data générée par l’humanité, traverse l’infinité du temps au fond des océans avec pour seule compagnie un programme conversationnel. Là, il attend avec philosophie l’émergence des conditions propices au miracle de la vie…

Cela fait plus de trente ans que Marc-Antoine Mathieu expérimente et joue avec les codes de la bande dessinée en explorant les champs du possible sous toutes ses formes graphiques et narratives.

Le diptyque Deep meDeep it paru aux éditions Delcourt ne déroge pas à la règle pour notre plus grand plaisir.

Deep me, c’était la naissance et le lent éveil à la conscience d’Adam, détenteur de toute la mémoire humaine dans un monde où non seulement l’humanité mais le vivant avait disparu. Deep It, le second volet de ce diptyque paru en début d’année, nous plonge dans un passionnant huis clos sous-marin au cœur même de sa mission abyssale : rechercher et trouver un endroit propice à une nouvelle éclosion de la vie après le « Grand Deuil ». Une fantastique odyssée existentielle et poétique !

L’odyssée d’Adam

« Probablement mon être programmé a dû être conçu aussi pour la rêverie… La seule chose véritablement indispensable pour survivre aux limbes. »

C’est sur une rêverie et cette réflexion d’Adam que s’achève Deep me. Deep it, lui, commence par une longue rêverie peuplée de nuages avant que ne résonne le bip qui va déclencher une nouvelle veille d’Adam.

Alors qu’il se trouve confiné dans sa capsule à structure lattice, va commencer l’errance – thème récurrent cher à l’auteur – d’Adam, dernière entité dépositaire de toute la data non seulement de l’humanité depuis sa naissance mais également de tout le vivant.

De veille en veille, Adam essaie de comprendre le pourquoi, le comment, s’interroge sur son apparence, son essence, sa mission, la vie, la mort tout en parcourant la mémoire de l’humanité.

Tel un Janus 2.0, dieu des débuts et des fins, sera-t-il le chaînon manquant entre ce qui fut et ce qui peut-être sera ?

En 1492, Christophe Colomb découvrait l’Amérique. Le récit lui s’achèvera sur la veille 1 492 …

Passion versus raison

Deep me, c’était Adam enfermé dans sa psyché.

Deep it, c’est Adam enfermé dans sa capsule à la recherche de fumeurs, ces cheminées volcaniques d’où pourrait renaître une forme de vie car si le vivant a disparu de la surface de la Terre, celle-ci en revanche est toujours vivante et sa chaleur interne est toujours là.

Seul ? Pas tout à fait. Dans son périple au fond des océans, un programme conversationnel viendra lui tenir compagnie ou plutôt le ramener à la raison et à sa mission quand celui-ci aurait tendance à se perdre des ses rêveries ou pensées, répondre aussi à certaines de ses interrogations, lui éviter enfin de sombrer dans l’ennui.

Marc-Antoine Mathieu voit le dialogue entre Adam et celui qu’il nomme l’auxiliaire un peu comme un dialogue entre la passion et la raison.

« Je suis ému. Subjugué par le souvenir des humains et celui de la vie organique. »

À force de revisiter l’histoire de l’humanité, Adam va développer une forme d’empathie envers les humains ce qui pourrait s’avérer dangereux pour sa mission. L’auxiliaire est là pour veiller au grain pour le ramener à l’aspect purement technique et scientifique de ladite mission.

De la psychologie à la philosophie et à la poésie

Le premier volet Deep me centré sur le particulier – un individu qui essaie d’exister dans un monde qu’il ne reconnaît pas – versait plutôt dans le psychologique.

Le second volet Deep it nous fait passer du particulier au général, du microcosme au macrocosme avec cette fois une portée plus philosophique.

« Deep me » ne devait pas avoir de suite. C’était un thriller qui engendrait une réflexion philosophique sur l’humanité, explique l’artiste. Quand je l’ai terminé, je me suis rendu compte que cela méritait une réflexion plus profonde autour de l’intelligence artificielle. « Deep it » remet en scène Adam, héros volubile et néanmoins invisible de « Deep me ». Ce personnage du commencement cherche son moi dans un univers qu’il ne perçoit que partiellement. J’ai essayé d’avoir une réflexion sur l’humain en mode poétique. Ce n’est pas un pensum sur l’intelligence artificielle ou l’écologie cela reste un récit fictionnel poétique, philosophique. Je cherche à faire rêver ou réfléchir, surtout pas à passer un message. » 

Le point de départ de ses récits est toujours très méta : l’idée que nous sommes enfermés dans le paysage dans lequel nous vivons et que le champ des possibilités est infini à l’extérieur.

Pas plus qu’Adam, nous ne connaissons la ou les raisons de la disparition de la vie sur Terre.

Ses pensées, réflexions et interactions avec les dead bots capables d’incarner un être cher après sa disparition ou autres avancées technologiques de notre temps tel Chat Gpt+ qu’il actionnera accidentellement le et nous conduisent à des questionnements philosophiques et ontologiques tels la place de l’homme dans l’univers, la vie et la mort, le transhumanisme … auxquels l’auteur se garde bien d’apporter des réponses. La philosophie et la poésie devenues le refuge des humains leur permettent une forme d’acceptation de l’inéluctable, entrant en résonance avec la fin du sublime Melancholia de Lars Von Trier.

« Quelques temps avant la fin, beaucoup s’étaient réfugiés dans la philosophie …ceux qui étaient déjà philosophes se sont mis à écrire de la poésie. » 

La poésie réside également dans la narration graphique, Marc-Antoine Mathieu ayant réussi la prouesse de traduire des concepts abstraits par des images pleines de poésie.

L’I.A déjà présente dans le titre

Deep Blue, IBM

« Deep », c’est la profondeur : profondeur du coma d’Adam dans Deep me, profondeur de l’océan « Deep blue » dans Deep it. Deep blue, c’est aussi le nom ce super-ordinateur IBM qui battit Kasparov alors tenant du titre mondial aux échecs en 1996. D’abord baptisé Deep Thought du nom du super-ordinateur du Guide du voyageur galactique de Douglas Adams, qui avait trouvé la réponse à « la grande question sur la vie, l’Univers et le reste », le super-ordinateur prit ensuite le nom de Deep blue faisant ainsi référence au surnom de l’entreprise IBM : Big Blue.

Autre référence à l’IA, le terme deep renvoie au deep learning, technologie liée à l’IA qui utilise des algorithmes conçus pour fonctionner de façon similaire au cerveau humain.

Science et conscience

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »

disait un certain François.

L’IA est un des grands enjeux d’aujourd’hui et de demain. C’est un sujet à la fois fascinant et effrayant. Jusqu’où ira-t-on ? Se pourrait-il qu’un jour elle dépasse le cerveau humain ? C’est en tout cas ce qu’avancent certains chercheurs.

Le récit est truffé de jargon technique et scientifique (modèle stochastique, bouteille de Klein, paréidolie, nombre d’Avogadro…) ce qui curieusement lui confère un côté poétique dû à l’étrangeté et la beauté de la langue et nous fera mourir moins bêtes.

Les grandes questions scientifiques sont posées : celle de l’évolution de l’anthropocentrisme à l’IA en passant par Darwin. Les trous de mémoire d’Adam, ses absences correspondant à ses mises à jour nous font entrevoir une autre forme d’évolution dont Adam va prendre peu à peu conscience.

Un voyage intemporel

Cette odyssée sous-marine nous fait tout comme Adam dériver dans les limbes de l’espace-temps.

La notion de temps est abolie. Si le récit est bien structuré par la succession des veilles, moments de conscience d’Adam, nous n’avons aucune notion de leur durée et elles interviennent dans le récit de façon tout à fait discontinue.

De même va se poser la question d’échelle…

« Plus un écrivain qu’un dessinateur »

Marc Antoine-Mathieu, artiste polyvalent puisque graphiste, scénographe, dessinateur et scénariste de bd se considère plus comme un écrivain qu’un dessinateur. Il met vraiment son dessin au service de la narration.

Black to white

L’artiste est un adepte du noir et blanc. Noir était le premier opus, blanc sera le second. Noir et blanc, l’ombre et la lumière.

Deep me était entièrement noir, d’un noir profond. Le titre? Noir sur noir. Le texte de la quatrième de couverture ? Noir sur noir. La tranche du livre;? Noire. Seuls le code barre et le logo de Delcourt qui à cette occasion a viré du rouge au gris apportait une nuance à ce noir qui envahit tout. Deep it lui est est entièrement blanc jusqu’au logo Delcourt qui comme le titre ou la citation de quatrième de couverture en surbrillance est à peine visible. Pour l’auteur, l’histoire commence dès la première de couverture et s’achève avec la quatrième de couverture. Ce diptyque en est la parfaite illustration.

Noir + Blanc = Gris

Si extérieurement le livre est entièrement blanc intérieurement, mis à part quelques planches évoquant rêves ou absences, le blanc marquant l’effacement va céder la place aux différentes nuances de gris notamment pour la réalité ; représentation de la capsule et de ce qu’Adam perçoit de l’extérieur.

Un univers dépourvu de couleur donc du blanc de la capsule au gris cendre du dehors en passant par la mémoire, économie oblige. Aussi quelle n’est pas la stupeur d’Adam de découvrir le rouge, rouge de la roche en fusion, rouge du feu primitif, rouge de la graine, minuscule germe qui peut-être va donner naissance au nouvel Adam…

Nous cheminons avec le mystère

Non pas pour l’élucider

Mais pour l’aimer

Miremont Chataineau

I.A. générative

Janvier 2031

POUR ALLER PLUS LOIN

La chronique de Deep me

Outre la chronique de l’album, il est question de la méthodologie de Marc-Antoine Mathieu et de sa bibliographie.


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