MAMIE N’A PLUS TOUTE SA TÊTE


Mamie n’a plus toute sa tête

Mamie n’a plus toute sa tête
Scénario : Romain Dutreix
Dessin : Romain Dutreix
Éditeur : Dargaud
64 pages
Prix : 17,00 €
Parution : 7 juin 2024
ISBN 9782205204490

Ce qu’en dit l’éditeur

La mamie de Romain Dutreix n’a plus toute sa tête : lorsque des employés du gaz ou d’Engie viennent la visiter, la pauvre confond les uniformes de ses visiteurs avec ceux de la Gestapo ! Ce qui ne serait pas trop grave, si elle n’imaginait que son défunt mari et ancien résistant la pousse à les éliminer dans la cave de la maison… Non seulement c’est moralement répréhensible, mais notre héros doit alors éliminer toute trace des méfaits de sa mamie. Et tous ces meurtres, à couvrir, ça prend du temps alors sa femme commence à se poser des questions : n’aurait-il pas une liaison ? Dans ce premier tome d’un diptyque, Romain Dutreix signe une mécanique ciselée d’humour noir et de burlesque.

La vie n’est pas un long fleuve tranquille pour les auteurs de bande dessinée. Et ce n’est pas Romain Dutreix qui me contredira. Dans Mamie n’a plus toute sa tête, album paru dernièrement chez Dargaud, il nous livre une histoire rocambolesque de mamie tueuse et de son petit-fils qui tente de réparer les dégâts. Très belle façon d’aborder avec humour – noir l’humour, bien sûr – la perte de contact avec la réalité des personnes âgées et les conséquences pour leurs proches. Et bien sûr, c’est à mourir … de rire !

Pas d’arsenic (encore que…) mais Mamie ne fait pas dans la dentelle

Quand Mamie perd la tête, elle la fait perdre – et ce littéralement – aux éventuels visiteurs qui viennent sonner à sa porte. Il suffit qu’un inconnu pointe le bout de son nez pour qu’elle se transforme en serial killeuse en tablier et charentaises avec la complicité de son mari mort depuis plus de trente ans.

S’il porte un uniforme, c’est reparti comme en 40 : la voilà replongée au temps où papy faisait de la résistance. Et qui va se coltiner le sale boulot, celui de faire disparaître les corps ? C’est Gérard, pardon Romain – Gérard, c’est son fils … À force, elle m’embrouille, la mamie ! C’est donc Romain, son petit-fils qui se charge de faire le ménage derrière elle. Jusque là tout fonctionne et le congélateur regorge de sacs congélation des malheureux découpés façon puzzle. Mais c’est quand mamie va trucider l’installateur du compteur Linky que tout va partir en cacahuète…

Les pavés dans la mare

Romain vous l’aurez compris, c’est Romain Dutreix qui se met en scène dans une autofiction où petit-fils plein d’attention pour sa grand-mère, il gère les affaires courantes, fait ses courses. Mais à son grand dam les petits dérapages de mamie le contraignent à sortir de son train-train quotidien d’auteur de bd tranquillement installé entre sa femme et son fils.

Ce n’est pas la première fois que l’auteur se met en scène, il est même plutôt coutumier du fait. Dans le court récit paru dans Quartier libres, les chroniques nancéiennes éditées par la Parenthèse, il est même allé jusqu’à tuer Stanislas ! De là à penser que la mamie lui aurait transmis ses gènes à l’insu de son plein gré, il n’y a qu’un pas … Mais ceci est une autre histoire.

Revenons à nos moutons, ou plutôt à nos cadavres qui font faire des heures sup à Romain hors du foyer conjugal, ce qui bien sûr va amener Emmanuelle sa femme à soupçonner l’existence d’une autre femme. Histoire d’en avoir le cœur net, elle va engager un détective privé …

Trois axes narratifs vont alors se télescoper : Les tribulations de Romain et sa grand-mère, l’enquête policière au cours de laquelle la nouvelle recrue va enchaîner bévue sur bévue et la filature du détective privé.

Du Canard enchaîné à la Mamie déchaînée

Dessinateur régulier du mensuel Fluide glacial, Romain Dutreix avait cessé de produire des albums, dès lors qu’il avait rejoint l’équipe des dessinateurs du Canard en 2018. Ce retour à la bande dessinée par le biais de son premier récit au long cours est un véritable coup de maître. Il nous avait déjà fait part de son goût pour le pastiche et la parodie à travers notamment les deux tomes d’Impostures parus chez Fluide Glacial en 2013 et 2015 où avec son humour décapant, il revisitait les figures iconiques de la bd.

Outre ses albums publiés chez Fluide glacial, il y a eu les mini-albums parodiques publiés par la Parenthèse – la célèbre librairie nancéienne que beaucoup nous envient – tel Groupies dans lequel l’univers de  Zombies – la série de Sophian Cholet (dessin) et Olivier Peru (scénario) aux éditions Soleil (2010-2015) – est transposé dans le milieu de la bande dessinée, les gens étant atteint d’une maladie qui les transforme en zombies fanatiques de la dédicace. Certains se reconnaîtront …

Ici, on entre de plein pied dans la parodie de genre qui mêle polar et slasher en lorgnant du côté de Dexter et de Psychose. Si Carmen Cru a de loin inspiré la mamie, c’est au tigre de Calvin et Hobbes qui prend vie dès qu’il n’y a plus d’adulte dans la pièce qu’a songé Romain Dutreix pour le papy.

L’auteur manie à merveille l’autodérision, le comique de répétition – Alzheimer oblige – et bien évidemment la caricature à travers les personnages stéréotypés. Mention spéciale à la dernière recrue du commissariat auprès de laquelle Averell passerait presque pour Einstein et au détective privé à l’allure négligée, mix de Philippe Khorsand et Jean Benguigui. Quant aux sept papes surgissant de la télé, le dialogue faisant mouche, c’est absolument hilarant.

Quiproquos et retournements de situations ubuesques vont s’enchaîner à un rythme soutenu pour notre plus grand plaisir !

Sous la plage, les pavés

Sous l’humour, Romain Dutreix aborde un sujet beaucoup plus sérieux : la perte de contact avec la réalité des personnes âgées, la question de leur maintien à domicile ainsi que les répercussions sur leurs proches … Ça fait une douzaine d’années que le Nancéien d’adoption y songeait, depuis le décès à l’âge de 98 ans de sa grand-mère atteinte à la fin de sa vie d’une forme de démence sénile qui lui faisait confondre les époques, voir les gens sortir de la télé … Il lui a suffi de pousser un peu, beaucoup, à la folie… le curseur. Évitant l’écueil du pathos, il en a fait un récit follement humoristique, ce qui le rend d’autant plus touchant car on sent l’immense tendresse que le petit-fils éprouve pour sa grand-mère et à travers la visite du médecin le souci qu’il a de lui permettre de rester le plus longtemps à domicile.

La preuve par 9

La mise en scène et les choix graphiques – gaufrier classique à neuf cases, ligne claire, personnages bien campés, arrière-plans soignés, colorisation subtile – offrent à ce récit une grande lisibilité.

Et puis il y a ce sens du détail : la maison de mamie avec les différentes tapisseries dont celle de la cuisine qu’on va retrouver en page de garde et surtout ses différents tenues vestimentaires :

tenue de jour avec sa mise en pli impeccable qui fleure bon les années 60, de nuit avec sa robe de chambre et ses bigoudis, de sortie avec son fichu sur la tête et son sac à main …

S’en sortira? S’en sortira pas ? Avant-dernière page, pour Romain, tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles mais c’est compter sans la rouerie de notre diable de bédéiste qui par un ingénieux cliffhanger va nous retourner comme une crêpe à la dernière page. Suite et fin (peut-être) au prochain tome … Je ne sais pas vous, mais moi, j’ai hâte !

POUR ALLER PLUS LOIN

Chronique de Francine VANHEE


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