Dans ma chair
Scénario : Fauve
d’après Frida Kahlo
Dessin : Le Cheveu Blanc
Éditeur : Nathan Bande dessinée
Collection Poéstrip
96 pages
Prix : 23,95 €
Parution : 16 janvier 2025
ISBN 9782095021641
Ce qu’en dit l’éditeur
Une ode graphique poignante sur la reconstruction de soi, qui transforme la douleur en beauté et en force intérieure.
Romy, 17 ans, tente de surmonter le traumatisme qui a bouleversé sa vie. Victime d’un accident de scooter lui ayant causé de multiples fractures, elle n’a pas pu passer son bac, ni partir en vacances avec ses amis. Elle se retrouve démunie face à une vie qui la rejette et en proie à une douleur physique quotidienne. Romy passe ainsi ses journées de juillet à broyer du noir, se refermant petit à petit sous le regard impuissant de sa mère.
Mais un soir, son grand frère Zacharie, qu’elle n’a pas vu depuis plusieurs années, débarque à l’improviste pour lui faire une proposition : il souhaite l’emmener avec lui pour un road-trip dans son van aménagé, afin que Romy puisse retrouver un sentiment de liberté. Elle part alors pour un voyage qui va transformer sa vision du monde… Et qui sait, peut-être même lui redonner goût à la vie ?
Une variation graphique et onirique autour du poème « Tu mérites un amour » de Frida Kahlo sur les traumatismes, la famille et la quête d’identité.
« Un poème, un déclic, un roman graphique » : cette devise c’est celle de la collection Poéstrip chez Nathan bande dessinée qui propose à des auteurs de BD d’effectuer des variations autour d’un grand poème de la littérature. « Dans ma chair » est leur 4e ouvrage ; les autrices Fauve et Le Cheveu blanc s’appuient sur le beau poème de l’artiste Frida Kahlo « Tu mérites un amour » pour nous offrir un récit « Young Adults » tout en sensibilité.
« ON N’EST PAS SÉRIEUX QUAND ON A DIX-SEPT ANS »
C’est l’histoire de Romy, 17 ans. Normalement à cet âge « on n’est pas sérieux » comme l’écrivait si bien le poète adolescent. Mais pour elle, la vie en a décidé autrement : elle a eu un grave accident de scooter 4 mois auparavant et tout s’est arrêté : le lycée, le bac, les vacances programmées avec les copains, le projet de coloc avec sa meilleure amie Alice à la rentrée…
Romy broie du noir, s’isole, ne voit plus que les vilaines cicatrices qui labourent ses jambes ; elle n’est plus que douleurs surtout la nuit. Romy culpabilise d’être jalouse de ses amis insouciants ou de leur en vouloir de ne pas être plus délicats. Elle sombre dans la colère et le désespoir…Et puis son grand frère Zach, fils prodige globetrotter, revient et décide de l’emmener dans un road trip improvisé…
UN RÉCIT YOUNG ADULTS MAIS PAS QUE…
La scénariste Fauve utilise intelligemment les modes de communication actuels (Sms, Facetime et réseaux sociaux) pour une narration épurée qui favorise l’identification du jeune public à l’héroïne.
Cela pourrait être superficiel et mièvre mais ça ne l’est pas d’abord parce qu’elle s’appuie « sur son histoire personnelle » comme nous l’apprend la notice mais aussi sur le récit autobiographique de Claire Marin « Hors de moi » dans lequel la philosophe retrace son calvaire après avoir contracté une maladie auto-immune à 17 ans. On a donc une certaine profondeur, de l’authenticité, et de la subtilité dans la peinture des sentiments contradictoires et ambivalents qui agitent la jeune fille.
Ce livre est ensuite un hommage à l’art : Zach offre à Romy l’autobiographie de Frida Kahlo qui vécut à peu près au même âge les mêmes tourments après son accident de bus. L’adolescente y puise réconfort et exemple.
Enfin c’est aussi une ode à l’amitié et à l’amour entre proches et il permettra peut-être à certains d’être résilients et à d’autres de comprendre un peu mieux ce que traversent des malades qui n’ont pas les mots pour le dire.
UNE MISE EN IMAGES INSPIRÉE
Pour son premier album BD la dessinatrice a une mise en page très dynamique et extrêmement lisible à la fois. Le découpage est très varié : pas une page n’est construite de la même façon. Elle s’affranchit à la fois du gaufrier et des traits de contours. Elle varie le rythme et l’utilisation des pleines pages : au début celles-ci fonctionnent sur la juxtaposition des états d’âme de Romy et sont assez chargées (dans tous les sens du terme) de phylactères, d’onomatopées ou de la réduplication du visage de l’adolescente ensuite elles s’épurent, deviennent muettes et constituent pour le lecteur comme pour les héros des respirations en se muant en tableaux de paysages variés.
Elle travaille également la couleur de façon symbolique : aux tons froids des débuts viennent petit à petit s’ajouter des touches de jaune (comme le van du grand frère), de rose et de rouge signalant ainsi le progressif retour à la vie de l’héroïne et la chaleur amicale qui l’enrobe. La dessinatrice évoque la santé mentale de Romy dans des pleines pages collages métaphoriques et elle soutient le parallèle Romy-Frida en citant des toiles de l’artiste (telles « Le bus » avec le « trou » dans le torse de Frida et Romy ou « Les deux Frida » en dernière page). Enfin, pour créer une plus grande proximité entre les personnages et les lecteurs, la dessinatrice utilise un minimum d’arrière plans et de décors se focalisant sur les visages des personnages en gros plans en caméra subjective et en champ contrechamp.
POÉSTRIP : UNE COLLECTION INNOVANTE
« Dans ma chair » est un roman graphique tout public bienveillant sans être dégoulinant de bons sentiments. Les deux jeunes autrices offrent un bel écrin au superbe poème de l’artiste mexicaine reproduit in extenso dans le dossier final tout en le dotant de significations supplémentaires. Dans ce dossier, « Les coulisses » nous permettent de connaître les sources d’inspiration des autrices (livres, séries, films), nous présentent des essais de charadesign ou des extraits de story-board et nous offrent même une playlist pour accompagner notre lecture.
Cet album renforce tout l’intérêt qu’avait suscité pour moi la collection Poéstrip avec son premier opus « Grande Echappée » de Bérangère Delaporte et j’attends avec impatience et curiosité les jolies surprises que nous offriront les prochains.
POUR ALLER PLUS LOIN
La chronique de Grande échappée
L’interview de la dessinatrice Le cheveu blanc
Hors de moi de Claire Marin ( 2013) éditions Allia.
Dans ce premier livre hautement autobiographique, Claire Marin partage son expérience de la maladie, son expérience avec ce rapport au corps qui n’est plus le même, cette sourde colère qui vous traverse sans cesse, la violence du milieu hospitalier pour un patient qui n’en connaît pas les codes, la dépossession de soi et de son corps, les doutes, les difficultés, la nécessaire reconstruction d’un soi différent….
Bulles de Dupondt 