Interview Le Cheveu Blanc


Interview Le Cheveu Blanc : Dans ma chair

réalisée le 17/02/25

Bonjour Clémence, merci de nous accorder un moment pour parler de votre premier album qui vient de paraître dans la collection Poéstrip chez Nathan Bande dessinée : « Dans ma chair ». Quel a été votre parcours ?

J’ai toujours été dans l’artistique. Après le collège je suis partie en bac arts appliqués puis j’ai fait un BTS en design de communication et après une licence en graphisme. Je n’ai jamais trop touché à l’illustration avant la fin de mes études et j’ai arrêté mes études avant la fin d’ailleurs car ce n‘était pas trop fait pour moi … et le projet de « Cheveu blanc » il est né à ce moment-là, quand j’ai arrêté mes études pour faire une petite pause et que je me suis pas mal cherchée en faisant des petits boulots alimentaires. Je ne savais pas vraiment où je voulais aller mais en tout cas les boîtes de com classiques ça ne m’intéressait pas vraiment … Puis j’ai commencé à m’intéresser beaucoup aux questions féministes, à m’engager aussi en tant que militante, et à avoir envie de faire quelque chose avec ça.

J’ai toujours un peu dessiné mais comme ça, pour moi, et donc mes dessins ont commencé à prendre cette tournure engagée à un moment donné. Du coup j’ai essayé de trouver du sens et de donner un sens à mes dessins et tout s’est lié. À partir de ce moment-là mes dessins ont fait partie de mon projet militant.

Et comment vous êtes-vous retrouvée sur cet album ?

J’ai été contactée par Fauve, la scénariste, sur les réseaux. Au départ, on travaillait sur un autre projet avant la collection Poéstrip. On était sur un autre projet avec une amie à elle ; elles avaient créé un scénario ; on a cherché des maisons d’édition et on n’en trouvait pas. Puis Fauve a eu vent de cette collection qui se faisait et dans laquelle il y avait déjà un album ou deux qui étaient sortis [« Grande Echappée » de Bérangère Delaporte NDLR] et donc elle a proposé notre binôme à la maison d’édition et c’est comme ça qu’on a été choisies.

Pourquoi ce pseudonyme « le cheveu blanc » ?

Ben c’est la grande question que tout le monde me pose ! En vrai, il n’y a pas une histoire très particulière au départ, j’ai trouvé du sens après ! Je venais d’avoir 23 ans, j’avais mon premier cheveu blanc et je commençais à faire ce projet de d’illustration et à vouloir en faire mon métier ; il fallait que je trouve un nom et je me suis trouvé ça !

Plus tard me suis trouvé une petite histoire qui allait avec : ma nouvelle idée pour expliquer le choix de « cheveu blanc » c’est l’image qu’on a des femmes et du fait de porter les cheveux blancs. Je trouve que c’est quelque chose de très empouvoirant et très féministe le fait de ne pas se teindre les cheveux. Dans ma famille toutes les femmes ont toujours eu les cheveux teints et les hommes ont toujours eu les cheveux gris et ne se sont jamais teint les cheveux. Je trouvais que prendre le contrepied c’était intéressant et j’ai beaucoup dessiné de femmes avec les cheveux blancs.

Connaissiez-vous l’œuvre picturale et poétique de Frida Kahlo avant de réaliser l’album ?

Un petit peu oui ! Je l’avais beaucoup étudiée à l’école c’est une artiste qui est quand même pas mal dans les cursus artistiques au sens large donc j’en ai entendu parler assez tôt et je suis tombée sur le biopic avec Salma Hayek que j’ai vu trois ou quatre fois et que j’adore parce qu’il est très beau et qu’il me fait pleurer à chaque fois ! Oui Frida c’est une icône, c’est une référence très forte et très féministe justement !

Et comment avez-vous intégré son œuvre graphiquement dans « Dans ma chair » ?

Ça on en a un peu discuté avec Fauve la scénariste avant qu’on commence le dessin. En gros la maison d’édition nous avait proposé à un moment donné de faire de la bichromie parce que j’avais proposé des choses en bichromie.

Ce qui était le cas pour « Grande Echappée », le premier volume de la collection !

Oui c’est ça et ça leur plaisait de garder ce côté-là pour donner une identité graphique à la collection et en fait on en discutant toutes les deux, Fauve et moi, on ne se voyait pas faire de la bichromie pour un album qui est une variation sur le poème d’une artiste dont les œuvres sont pleines de couleurs ! Et il y a eu tout un travail de la couleur justement dans l’album.

Avant de parler de la couleur, la première chose que je voulais vous demander c’est la raison pour laquelle vous avez choisi de vous débarrasser des arrières plans et des décors ?

Eh ben ça s’est lié à mon style de dessin ! Je ne suis pas à l’aise avec les paysages, ce n’est pas quelque chose que je dessine.

Il y en a tout de même dans les pleines pages !

J’ai fait un effort ! Mais à la base c’est vrai que je ne dessine que des personnages tout le temps. Je n’avais jamais fait de bd avant et je n’avais jamais travaillé la grammaire et la narration de la bd alors il y avait un challenge. J’avais dit « d’accord mais par contre il n’y aura pas de décor, pas de paysage ». C’est centré sur les personnages et les expressions des émotions, sur ce qui se passe sur les visages et entre les personnages.

Ce qui va bien avec le thème !

Oui finalement ! En tout cas j’ai essayé d’en faire quelque chose et c’est vrai que c’est ça aurait été un peu fade de ne jamais avoir de décor du tout… Là, il y a quelques décors qui soutiennent un peu la narration mais c’est vrai que ce n’est pas centré là-dessus.

Le personnage est donc au centre de votre récit et justement est-ce que vous avez trouvé facilement l’apparence de vos héros ?

La scénariste Fauve m’avait envoyé pas mal de références avec un moodboard. Elle avait en tête déjà des acteur.ice.s ou des personnes qu’elle connaissait dont elle m’avait envoyé la photo et j’ai fait aussi mes petites recherches … Quant à Romy la personnage principale, elle est clairement inspirée de moi !

Ça se voit un peu !

Oui le plus facile c’est de me voir moi et de m’étudier dans le miroir pour les positions du personnage. C’est le plus simple !

Et la volonté de métissage était présente dès le début ?

Oui c’est ça c’est Fauve qui a proposé ces personnages et je les ai fait évoluer dans l’histoire.

Quelles techniques utilisez-vous ?

C’est principalement du numérique sauf pour le storyboard réalisé au crayon à papier. Comme c’était ma première BD j’ai fait beaucoup d’essais, j’ai beaucoup tâtonné surtout pour la composition des pages qui était à la fois le plus dur et le plus important pour moi.

« Poéstrip » c’est une collection qui est aussi fondée sur l’alliance de la BD et de la poésie et on peut voir dans l’album comme des sortes de métaphores graphiques est-ce que vous pouvez nous expliquer un peu les métaphores que vous avez utilisées ?

Oui alors c’est quand même une idée de Fauve qui m’a beaucoup aidée justement. C’était ma première BD et j’ai vraiment eu de la chance parce que j’étais vraiment aidée sur la composition et la création même des pages. La scénariste m’a beaucoup détaillé chaque page et les métaphores c’étaient des idées qui venaient d’elle. Elle ne me disait même pas « voilà une métaphore », je la devinais mais elle écrivait « Romy erre dans un désert, elle est coincée » et moi je traduisais en images les émotions qui se passaient dans la tête de l’héroïne. À un moment donné j’ai aussi joué avec la typographie pour ajouter une dimension. Les grandes pages métaphoriques c’est l’intérieur de la tête ou du cœur de Romy.

Pouvez-vous nous parler de votre utilisation de la couleur ?

J’avais eu l’idée de faire évoluer la couleur puisque tout au long de l’histoire on a Romy qui évolue aussi dans sa santé mentale en passant de quelque chose de très négatif à quelque chose de très positif et j’avais envie de transcrire cela par la couleur. Entre la première et la dernière page il y a une vraie différence à la fois dans la palette et dans le nombre de couleurs utilisées.

Vous nous parliez de de votre premier projet qui n’avait pas trouvé acquéreur au départ. Est-ce qu’il est finalement lancé ?

Il est en pause. Je ne sais pas s’il verra le jour… un jour parce que depuis les deux années nécessaires à la création de « Dans ma chair » il s’est passé plein de choses. J’avoue qu’il y a eu plein de moments durant la création où je me suis dit que cela resterait ma seule BD et que je n’avais pas envie d’en faire d’autres parce que c’est très éprouvant psychologiquement et que j’ai une santé mentale très fragile … et c’est pour cela aussi que l’histoire m’a beaucoup parlé.

C’est intense et le milieu de l’édition aussi est difficile. La création n’est pas très bien payée, pour allier avec le reste de ma vie c’était compliqué. Ça prenait beaucoup de place mais une fois que le projet est sorti, il y a une espèce de gros poids qui est parti ! Donc c’est possible qu’il y ait d’autres projets et en tout cas le binôme que l’on forme avec Fauve – qui est pour moi la plus belle rencontre professionnelle que j’ai faite – marche bien. Ce serait dommage qu’on ne travaille plus ensemble parce que l’on s’entend parfaitement, on se comprend sur beaucoup de choses et l’on se soutient énormément. Et c’est grâce à elle qu’on est arrivées au bout de ce projet d’ailleurs parce que j’ai voulu abandonner plein de fois et elle m’a beaucoup soutenue !

© la librairie

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