L’intranquille Monsieur Pessoa

Scénario : Nicolas Barral
Dessin : Nicolas Barral
Couleur : Marie Barral
Éditeur : Dargaud
136 pages
Prix : 25,00 €
Parution : 20 septembre 2024
ISBN 9782205206142
Ce qu’en dit l’éditeur
Novembre 1935. Pessoa vit ses derniers jours. Simão Cerdeira, jeune pigiste au Díario de Lisboa, est chargé de rédiger la nécrologie de cet écrivain dont il ignore tout. L’apprenti journaliste va méticuleusement remonter la piste, interrogeant les principaux témoins de l’existence de ce personnage énigmatique. En parallèle, Pessoa prépare sa sortie. Aura-t-il le temps d’achever ce «Livre de l’inquiétude», basé sur les confidences de son ami Bernardo Soares et qui lui tient tant à cœur ?
Trois ans ans après Sur un air de Fado, Nicolas Barral nous entraîne à nouveau à Lisbonne, celui des années 30 cette fois sur les pas du grand poète lisboète Fernando Pessoa qui vivait alors ses derniers instants. L’intranquille Monsieur Pessoa paru aux éditions Dargaud est une belle balade onirique dans l’âme tourmentée ô combien complexe de Fernando Pessoa, alias Bernardo Soares, alias Alvaro de Campos, alias Ricardo Reis, alias Alberto Caeiro, alias … et pose la question sur la nécessité d’écrire.
« Mieux valait pour [lui] écrire que de risquer de vivre ».
Les derniers jours de Pessoa
Lisbonne. Novembre 1935, cabinet d’un médecin.
« Ne tardez pas si vous avez des dispositions à prendre. »
C’est sur ces mots que le médecin raccompagne à la porte son patient.

Son patient ? Un petit homme malingre qui ne paie pas de mine, autrement dit, Fernando Pessoa, obscur employé de bureau le jour, écrivain la nuit. S’il n’a pas la notoriété qu’on lui connaît aujourd’hui, il est tout de même relativement connu dans le microcosme littéraire. Aussi, à la rumeur de l’éventualité de sa mort prochaine, le journal Díario de Lisboa va charger un jeune pigiste écrivain en herbe, Simão Cerdeira, d’écrire sa nécrologie. Oui mais voilà. Si le nom lui dit vaguement quelque chose, Simão ignore tout ou presque de la vie de Pessoa. Il va lui falloir mener sa propre enquête, recueillir les témoignages de ceux qui le connaissent, s’imprégner des lieux qu’il fréquente. Durant trois jours, il calquera ses pas sur ceux de l’écrivain sans oser toutefois l’aborder …

L’enquête
Nicolas Barral nous offre là un beau jeu de miroirs car si le jeune journaliste menant l’enquête pas à pas est un peu le double de l’auteur parti lui aussi à la recherche de Pessoa dans la genèse de l’album, par ricochet c’est également celui du lecteur qui va s’identifier à lui en avançant au même rythme.
Un Citizen Kane lisboète
La structure du récit a été inspirée par celle de Citizen Kane même si contrairement au magnat de la presse, Pessoa n’est pas encore mort lorsque l’enquête journalistique menée par Simão débute. Ce choix judicieux va permettre à l’auteur d’entremêler deux fils narratifs afin de nous tisser le portrait le plus juste possible du poète.
L’enquête
Nous allons suivre d’une part l’évolution de l’enquête par le biais des déambulations du jeune journaliste, ses rencontres avec des personnes ayant connu Pessoa à différents moments de sa vie, les témoignages recueillis et d’autre part les déambulations, tourments et hallucinations du poète rongé par l’alcool et la maladie, scarifié par les traumas de l’enfance, poursuivi par les fantômes du passé et du présent … préoccupé par l’urgence de terminer Le livre de l’intranquillité.

L’intranquille Monsieur Barral
Pendant longtemps, Nicolas Barral n’a été « que » dessinateur investissant les champs de l’humour avec la série Dieu n’a pas réponse à tout sur un scénario de Tonino Benacquista (Dargaud), de la parodie via les séries Baker Street (Delcourt) ou Les aventures de Philip et Francis (Dargaud), toutes deux sur un scénario de Pierre Veys, du polar en poursuivant les Nestor Burma (Casterman) à la suite de Tardi, de l’espionnage avec Les Ailes de plomb sur un scénario de Christophe Gibelin (Delcourt) …
Et puis, délaissant la bd de genre, œuvrant en solo, il va aborder les questions qui lui tiennent à cœur à savoir Quelle serait son attitude, héros ou salaud, si son pays connaissait la dictature? dans Sur un air de fado et Pourquoi écrit-on ? dans L’intranquille monsieur Pessoa.
La rencontre de deux intranquilles


Tout a commencé à Lisbonne dans la librairie Bertrand, une des plus anciennes librairies du monde qui fêtera dans 7 ans ses trois siècles d’existence. Happé par le regard mélancolique de Pessoa sur la couverture du livre Pessoa, images d’une vie de Manuela Nogueira, Nicolas Barral y a vu « comme une espèce d’affinité » avec lui. Outre de nombreuses photos de l’écrivain à différents moments de sa vie, le livre reproduisait également des extraits de sa correspondance.
La rencontre
Alors le bédéaste a ressenti l’envie et le besoin d’en savoir plus et s’est plongé dans l’œuvre et la vie de Pessoa, a beaucoup lu, a amassé toute une documentation et découvrant la richesse de ce personnage aux 72 vies, il nous livre à hauteur d’homme non pas une biographie de Pessoa mais un récit qui tente de cerner à la fois l’homme, l’artiste et son rapport à l’écriture dans toute sa complexité. Et cette mélancolie décelée dans le regard du poète transpire dans chaque case du roman graphique.
L’écriture ou la vie
« La littérature est la preuve que la vie ne suffit pas. »
À travers les mots et la vie de Fernando Pessoa Nicolas Barral s’interroge sur son propre processus de création. Pourquoi écrit-on ? Pourquoi éprouve-t-il le besoin de raconter des histoires ?
Pour lui, toujours en quête de réponses aux questions qu’il se pose, écrire lui permet de mieux appréhender et comprendre le monde.
La nécessité d’écrire

Et puis chez Nicolas Barral, outre l’écriture se pose aussi la question du dessin qui lui aussi est un moyen de mieux comprendre les choses qui l’entourent. Ainsi l’épisode dans le musée où l’amie de Simão prend conscience que le socle du buste fait partie intégrante de l’œuvre n’est autre que la transposition de la propre découverte du dessinateur alors qu’il croquait un buste lors de la visite d’une exposition consacrée à Giacometti.
La nécessité de dessiner
Le livre de l’intranquillité

Alors bien sûr le titre fait référence à l’œuvre majeure de Pessoa « Le livre de l’intranquillité » regroupant les méditations, pensées, réflexions, aphorismes du journal débuté en 1913 alors qu’il est âgé de 25 ans et qu’il poursuivra jusqu’à sa mort qu’il attribuera à l’hétéronyme qui lui ressemble le plus Bernardo Soares.
Il faut prendre le mot intranquillité dans le sens d’agitation telle celle des enfants et non pas d’inquiétude.
L’intranquille

« N’être qu’un est une prison »
Dès la couverture on est intrigué par ce papillon orange posé sur la joue de Pessoa. Au cours du récit, on va voir les papillons qui vont peu à peu envahir son univers. Les papillons … belle métaphore visuelle pour évoquer les hétéronymes et matérialiser la présence des amis imaginaires de Pessoa.

Les papillons
Enfant déjà, Pessoa s’était entouré d’amis imaginaires tel le Chevalier de Pas. L’écrivain, lui, en endossant différentes identités créera ses hétéronymes qui sont bien plus que des pseudonymes puisque chacun de ces écrivains nés de son imagination aura sa propre vie, son propre style littéraire aussi. Date de naissance, personnalité, formation, portrait physique … autant d’éléments apportés par Pessoa pour faire vivre ses doubles littéraires. Quatre d’entre eux – on en a dénombré pas moins de 72 – les plus connus, soit Bernardo Soares, modeste employé de bureau dont les aphorismes et réflexions constitueront le Livre de l’intranquillité, Alvaro de Campos, le « futuriste », ingénieur naval avant-gardiste, Ricardo Reis, le « classique », Alberto Caeiro, le « phénoménologue » vont s’incarner et refusant que la mort imminente de Pessoa n’entraine la leur, vont venir l’affronter dans des scènes oniriques.

Un casting de rêve
Nicolas Barral aime jouer avec les évocations tant au niveau des patronymes que du chara design.
Petite anecdote, Pessoa apparaissait déjà en filigrane dans Sur un air de fado. Premièrement à travers le prénom du docteur, Fernando.

Deuxièmement il présente une forte ressemblance avec un personnage secondaire qui a pour a pour patronyme Pereira, référence au Pereira prétend de l’auteur italien Antonio Tabucchi tandis qu’un autre lors d’un interrogatoire, sommé de donner des noms livre ceux d’hétéronymes de Pessoa.

Pour le chara design, Nicolas Barral aime s’imaginer réalisateur de cinéma avec un casting de rêve.
Un casting de rêve
Dans Sur un air de fado, le personnage principal avait les traits de Benicio del Toro. Ici Simão Cerdeira a pris ceux d’Adrien Brody et ses pantalons de golf évoquent un autre journaliste célèbre du 9e art. Pour l’incarnation des hétéronymes, le dessinateur s’est servi des notes de Pessoa qui contenaient des descriptions très précises. Quant à Pessoa lui-même, outre la photo qui avait capturé son regard dans la librairie lisboète avec son physique sans expression à la Buster Keaton qu’on croirait sorti d’un film du cinéma muet, il va également, de façon sublime le représenter aux différents âges de la vie.

Lisbonne, un théâtre formidable pour raconter des histoires

Lisbonne : une histoire d’amour
Autre personnage central, la ville de Lisbonne avec l’omniprésence de l’ascenseur de Santa Justa qui va notamment servir de cadre à une mémorable scène de course poursuite entre Pessoa et ses hétéronymes.


Lisbonne, on le parcourait déjà dans Sur un air de fado mais ce n’est pas le même Lisbonne … Ici, c’est le Lisbonne des années 30. Les vagues de la place du Rossio vont donner naissance à de très belles métaphores à deux reprises. Dans, selon son propre aveu, le passage préféré de Nicolas Barral, elles vont s’animer et emporter un Fernando Pessoa qui perd pied.

Les vagues
Lors d’une scène précédente les vagues se reflétaient dans ses lunettes et alors que les lunettes devenaient hublots, un bateau de papier prenait vie pour nous emporter vers un épisode de son enfance, moment très important avec la scène du ballon qui prendra toute sa signification plus tard dans l’album, dégageant une grande force émotionnelle, une grande sensibilité.


Comme pour Sur un air de fado, il a confié la couleur à sa fille Marie. On passe sans rupture des tons sépia ou bleuté des flashbacks aux couleurs du présent par le biais d’une palette de teintes désaturées à dominante de couleur froide avec une utilisation subtile de la lumière.
La couleur

À la mort du poète, on découvrira une malle contenant des milliers de textes signés Fernando Pessoa, Bernardo Soares, Alvaro de Campos, Ricardo Reis, Alberto Caeiro … Fernando Pessoa allait passer à la postérité mais n’en demeure pas moins énigmatique. Était-il un homme atteint de troubles de la personnalité ou un écrivain génial ? Une fois la bd refermée, on a une seule envie, se plonger dans son œuvre sans modération.


Les extraits sonores sont tirés de l’ITW de Nicolas Barral réalisée au festival bd BOUM Blois le 23 novembre 2024.
POUR ALLER PLUS LOIN
La chronique de Sur un air de fado

Bonne nouvelle : Nicolas Barral est en train de plancher sur la suite!





Une réponse à “L’INTRANQUILLE MONSIEUR PESSOA”
Salut,
Nous voudrions savoir si nos livres vous intéressent. Si oui, donnez-nous une adresse : on vous les enverra.
Michel JANS
Editions Mosquito
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