Interview Yann Legendre & Serge Lehman : Vega
à la librairie La Parenthèse, Nancy
9 septembre 2022


Yann Legendre et Serge Lehman, bonjour. Nous sommes ravies de vous rencontrer dans le cadre du Livre sur la place pour un album qui n’est pas encore sorti mais qui va paraître très bientôt Vega. Alors Yann Legendre directeur artistique, designer, illustrateur qu’est-ce qui vous a amené à la BD domaine dans lequel qui si mes renseignements sont exacts vous avez fait une première incursion en 2017 avec l’album de SF Flesh Empire si l’on excepte évidemment l’album À corps perdu paru en 2014 que je rangerais plutôt dans le domaine illustration ?
Y.L. : Ce qui m’a amené à la bande dessinée, c’est assez simple, c’est qu’en tant qu’illustrateur j’avais l’habitude de travailler sur des narrations relativement courtes, une illustration ou une série d’illustrations. Et puis au fur à mesure du temps j’avais vraiment envie de raconter mes propres histoires plutôt que travailler sur celles des autres. Et en fait j’ai commencé par l’écriture. Ce qui m’a amené à la bande dessinée, c’est d’avoir d’abord des histoires et d’avoir envie de les écrire et puis évidemment de les dessiner derrière. Donc c’est assez paradoxale parce que ce n’est pas l’envie de raconter des histoires en dessin mais plutôt de les écrire.
De les écrire. Et là, pour Vega, ce n’est pas vous qui avez écrit l’histoire.
Alors pour Vega, non. On a fait un vrai team pour pouvoir développer une histoire sur laquelle j’ai proposé à Serge de collaborer parce que j’avais des bribes d’idées de thématiques qui m’intéressaient, qui constituaient on va dire une sorte de premier calque de personnages, d’histoire mais il fallait donner corps, il fallait incarner tout ça et le rendre vivant.
Alors vous, vous avez eu l’idée de départ et vous avez rencontré Serge. Vous le connaissiez déjà ?
Alors je le connaissais en tant qu’artiste, en tant qu’écrivain mais on ne se connaissait pas personnellement. On ne s’était jamais rencontré, on ne s’était même jamais parlé mais quand on a décidé conjointement avec mon éditeur qu’il fallait que je m’associe avec un scénariste, eh bien j’ai passé une petite nuit à réfléchir et il y avait un seul écrivain avec qui je voulais travailler, c’était Serge. C’était un risque parce qu’il aurait pu me dire non. (rire).
Mais il a dit oui.
Mais il a dit oui.
S.L. : J’ai dit oui, oui. En fait, ça s’est passé par Facebook. Ce n’est pas que j’y sois vraiment présent mais de temps en temps, j’ai des périodes où je poste des notes de lecture ou des réflexions, des considérations littéraires ou de scénariste et je pense que c’est ça qui a dû …
Y.L. : Tout à fait, c’est ça.
S.L. : C’est par là que tu es passé. Il m’a envoyé le dossier qu’il avait envoyé à l’éditeur Albin Michel qui comportait trois quatre planches.
Y.L. : Des ambiances …
S.L. : … dont certaines d’ailleurs sont dans l’album et une sorte de pitch un peu développé …
Y.L. : … sur certains personnages.
S.L. : Le dessin était d’une beauté telle que c’est quelque chose qu’on ne peut pas refuser quand on est scénariste. On attend ça quand on est scénariste, un génie du dessin qui vient dire Je voudrais l’histoire qui va avec. (Rires). C’est le défi parfait, c’est ce qui donne envie. Et puis aussi le pitch qu’il avait élaboré avait beaucoup de points commun avec les histoires de science-fiction, les nouvelles de science-fiction que moi j’écrivais dans les années 90 avant de devenir scénariste de BD, en particulier l’espèce de transmutation du personnage principal Vega qui se transforme en étoile. C’était en toutes lettres dans son pitch sans aucune explication et donc ça m’a plu parce que ça ressemblait aux histoires aussi à l’époque où j’aimais bien être un peu obscur (rire). Et donc voilà ça s’est fait très vite. On a échangé trois, quatre mails, on s’est appelé et on a mis en route le livre. C’était d’une simplicité biblique. C’est surtout ça qui est extraordinaire, ça arrive assez rarement. On a fait le livre sans se rencontrer. On s’est rencontré, on en était à la page 150-160. On a tout fait par téléphone et par mail avec un très grand plaisir et une très grande simplicité tout de suite, c’est ça qui est dingue et on peut même dire qu’on est devenu amis par téléphone, en fait. C’est assez étonnant, c’est assez rare. Ça n’arrive pas tous les jours.


Yann Legendre, vous avez vécu près de dix ans aux États-Unis. En quoi cela a-t-il influencé votre travail au niveau dessin ?
Alors, d’une manière certaine ce qui est lié à l’espace américain. Ce sont justement ces espaces infinis du territoire américain qui sont vraiment une source d’inspiration énorme et qui m’ont permis aussi de comprendre pourquoi j’aimais tant certains dessinateurs américains pour justement ce côté immersif dans des pages entières ou dans des doubles pages avec des scènes monumentales qui se confondent complètement avec le territoire avec cette idée de l’espace infini, du territoire, du panoramique, du 16/9, etc … Et c’est vrai que d’une certaine manière, ce qui a le plus influencé dans mon dessin les États-Unis, je pense que c’est vraiment l’espace. C’est quasi sûr. Alors au-delà de l’espace américain, et on va dire du graphisme « vernacular » qui est extrêmement présent, il y a une chose qui est assez magnifique aux États-Unis, c’est que les époques s’annulent. C’est-à-dire que graphiquement dans l’espace public, les signes d’une décennie à l’autre s’annulent et de nouveaux signes remplacent les précédents, ce qui est assez dingue puisqu’en France, ce n’est pas du tout le cas. On vit dans des villes relativement anciennes, qui ont un patrimoine – à Nancy, on le voit très bien aussi – qui n’est pas du tout l’idée de l’Amérique. Donc il y a un renouvellement permanent que j’adore. Aussi, ce qui m’intéresse dans le dessin, c’est de ne jamais faire deux fois la même chose. Donc il y a ces notions-là qui sont je pense un peu fondatrices de ma période aux États-Unis. On pourrait en parler pensant des heures parce que dix ans aux États-Unis, il y a beaucoup de choses …
Cette idée d’espace, je trouve ça très intéressant …
C’est vraiment ça.
S.L. : et puis il a aussi la connaissance de Chicago la ville …


… qu’on retrouve dans Vega.
Y.L. : Oui, exactement qu’on retrouve dans le livre. Oui alors là c’est rigolo puisque ce n’est plus tellement l’espace horizontal mais c’est plutôt la verticalité puisque Chicago, c’est vraiment une ville orgue. Il y a une chose qui est très belle, c’est que le plan de reconstruction après que la ville a brûlé. Le plan de la ville de Chicago, c’est un Français qui l’a dessiné en partie avec une équipe. Alors Chicago est une ville très étroite qui est au bord du lac Michigan et le génie de la reconstruction de la ville c’est que les vents latéraux pénètrent dans la ville et entre les tours qui sont très très hautes, provoquent des sons qui chaque jour sont différents en raison de la puissance et de l’orientation des vents. Donc c’est une ville qui est très magique pour ça et il y a vraiment un rapport entre l’environnement, alors pas au sens végétal, mais l’environnement sonore des vents, la présence comme ça de l’eau, des ciels, etc… et la verticalité des lieux. Et j’avais envie de le remettre en bande dessinée. J’avais dessiné cette ville sous tous ses angles mais j’avais envie de lui donner corps un peu comme dans un film, comme un metteur en scène pourrait s’attacher à le faire avec un film, moi j’avais envie que ça soit présent dans la bande dessinée.
S.L. : Et Vega s’y prêtait parfaitement.
Serge Lehman, vous vous définissez vous-même comme polygraphe. Vous pouvez nous expliquer ?
En fait la pulsion est celle de l’écriture et la destination de l’écriture change au fil des envies et des occasions; c’est-à-dire que je peux passer trois semaines à écrire un article pour une revue universitaire, puis faire dix pages de bande dessinée et ensuite écrire une nouvelle et rassembler une anthologie de textes anciens. Tout ça me plaît parce que c’est en fait le même métier. Je ne suis pas que romancier, je ne suis pas que scénariste, j’aime écrire dans tous les formats, tous les genres, tous les domaines. L’écriture comme acte, c’est une grande partie de ma vie, donc polygraphe me semble plus approprié qu’écrivain en fait. Écrivain, il y a un côté en France, il y a un côté un peu pompeux comme ça. Polygraphe, personne ne sait ce que c’est.
J’aimerais qu’on s’arrête un peu sur les clins d’œil en lien avec la science-fiction. À un moment donné on voit traîner un certain livre. Qui en a eu l’idée ?


S.L. : Le livre vient de moi. Vous faites allusion à la présence du Troupeau aveugle de John Brunner dans l’histoire ?
Tout à fait oui.

S. L. : Effectivement. Dans le pitch que Yann avait amené et dans la réflexion générale qu’on a faite puisque le livre se situe en 2060, il y a des enjeux sur la biodiversité qui sont très forts puisqu’on parle du dernier orang-outang présent et de la crise d’hystérie politique et scientifique que cette découverte génère dans l’histoire. Il y a un très grand livre d’un écrivain anglais qui s’appelle John Brunner. Le livre date de 1972 et il est traduit en français sous le titre Le troupeau aveugle. Donc c’est un livre qui a maintenant cinquante ans exactement. Et c’est un livre, on le lit aujourd’hui, on prend une claque parce que c’est un livre qui annonce exactement la crise écologique qu’on est en train de vivre. Donc je le fais apparaître dans l’histoire. On voit sa couverture, la couverture originale de l’édition américaine, on a fait attention. C’est un livre qui circule entre la Terre et l’espace et qui était pour moi à la fois une manière de saluer le génie de John Brunner que j’ai rencontré une fois qui était un réel génie qui avait une vision du futur terriblement puissante puisqu’elle se réalise et pas que sur le problème écologique. Il a aussi écrit un livre encore plus célèbre Tous à Zanzibar qui raconte ce qu’est une Terre surpeuplée et donc on voulait le mentionner pour son génie prospectif et on voulait aussi saluer à travers la citation de ce livre une des grandes collections françaises de science-fiction Ailleurs et demain aux éditions Laffont qui avait des couvertures argentées et l’éditeur en particulier, Gérard Klein. Il est toujours vivant, c’est un des grands maîtres de la science-fiction française et on ne pouvait pas faire ce livre sur le futur à moyen terme sans lui rendre hommage d’une manière ou d’une autre. Donc la citation vient de là, vient de ce désir-là.
Et au niveau scientifique, concernant les orangs-outangs, c’est également très juste et ça colle très bien à la réalité : Pongo …
S. L. : Yann avait déjà fait une bonne partie des recherches.
Y. L. : C’est vrai qu’on ne rentre pas trop dans le détail de la disparition de cette espèce. Ce n’est pas très compliqué. Il suffit de googleliser orang-outang pour voir que la culture de l’huile de palme, la pauvreté des peuples d’Asie du Sud-Est … On n’a pas un a priori en disant c’est très mal mais c’est compliqué. Encore une fois ce sont des énormes corporations qui obligent finalement les fermiers à exploiter encore plus les terres et notamment la culture des palmiers à huile et on voit que c’est très compliqué parce qu’évidemment, il y a des tas d’espèces qui disparaissent et de manière plus symbolique l’orang-outang qui est extrêmement sensible à la détérioration de son environnement. Et puis bon, ce sont des animaux qui sont tellement majestueux, ils sont tellement beaux, ils deviennent presque symboliques de cette destruction entre guillemets. Et alors ce qui est évidement terrible, c’est qu’on le sait, on sait qu’il y a des solutions pour endiguer leur extinction mais que finalement un petit peu comme tout le reste on continue de faire comme si de rien n’était en quelque sorte donc on arrivera forcément en 2060 ce qui est parfaitement prévu par les scientifiques à l’extinction de l’espèce si d’ici là rien n’est fait. Alors Anne Vega, elle, elle s’en occupe. Elle essaie justement de sauver la dernière femelle.
S. L. : Un détail : c’est que je n’aurais peut-être pas accepté avec autant d’enthousiasme, disons d’investissement personnel si je n’avais moi une relation aussi avec les orangs-outangs. Je vis à Paris et à l’époque où ma fille est née, j’habitais près du Jardin des Plantes or au Jardin des Plantes, il y a une ménagerie et dans cette ménagerie il y a une femelle orang-outang et son un petit.
Y. L. : Alors, on a la même histoire.
S. L. : Et moi, j’ai élevé ma fille en l’emmenant tous les jours voir cette femelle orang-outang et son petit. Et comme dans l’histoire, il y a une petite fille, tout m’a parlé instantanément.
Y. L. : Alors c’est phénoménal parce qu’on a vécu la même chose. Moi, j’habitais Place Monge quand ma fille est née. On avait un petit appartement et tous les jours on allait voir Nénette et son petit à la ménagerie et elle a grandi les deux premières années de sa vie à aller voir l’orang-outang tous les jours.
S. L. : Super ! Alors je ne le savais pas. Je l’apprends.
Y. L. : Eh bien tu vois, on a eu exactement la même expérience. Et d’ailleurs c’est très drôle parce que Nénette, elle venait d’avoir son petit. Moi j’y allais à ces moments où il y avait personne quasiment dans la ménagerie. Ma fille était dans sa poussette vraiment devant la vitre et Nénette se rapprochait régulièrement pour venir la voir et elle la regardait droit dans les yeux. Enfin, il y avait une relation qui était très flippante d’une certaine manière.
S. L. : C’est peut-être encore plus frappant qu’avec les chimpanzés parce qu’avec les orangs-outangs, on a une impression de tristesse quasi humaine. C’est ça qui est le plus troublant. Alors peut-être que c’est nous qui projetons nos émotions mais c’est un animal en cage donc on imagine mal qu’il soit heureux. Ça plus le fait que Nénette est effectivement une très bonne mère comme toutes les orangs-outangs. Elle s’occupe de son petit : elle le porte, elle le berce, elle le cajole. Donc tout ça, quand vous avez vous-même un bébé dont vous vous occupez aussi bien que possible face à cet animal qui fait aussi de son mieux … Il y avait pour nous en fait des affects assez puissants.

Justement, moi je ne suis pas vraiment versée SF mais ce que j’ai aimé c’est la grande humanité qu’il y a dans ce récit.
S. L. : C’est là où on a tout de suite mis les enjeux mais on n’est pas non plus des créateurs tombés de la dernière pluie. Moi, j’ai 58 ans, Yann …
Y. L. : 50.
S. L. : Voilà. On a des enfants, on a déjà bien bien vécu. Donc raconter juste une histoire de super technologie de plus, ce n’est plus tellement notre affaire. Nous on cherche là où c’est le plus vivant.

Et puis on a l’impression d’être dans notre univers. Ils sont habillés comme nous. Elle, elle est en T-shirt, pantalon, lui porte une chemise. Au niveau du mobilier, on trouve le fameux fauteuil Boule rappelant le design des années 60 …
S. L : C’est ça. On est en 2060 mais le design général c’est 1960.
On est dans les années 60. Le fauteuil boule, c’est 1963 si ma mémoire est bonne mais en revanche, quand on prend les moyens de communication …
S. L : Oui mais alors, c’est marrant. C’est très intéressant cette réflexion sur le design parce que quand vous regardez les films de science-fiction, les BD des années 50-60, vous voyez que les créateurs que ce soient les cinéastes ou les dessinateurs font tous beaucoup d’efforts pour imaginer des tenues futuristes. Mais en fait quand on regarde les gens dans les films des années 60, ils sont habillés à peu près comme nous aujourd’hui. Ça n’a pas tellement changé. Donc il y aura des T-shirts en 2060 et des fauteuils Boule (rires).
Y. L. : Probablement. Il y a plein de clins d’œil justement sur le design parce que moi j’ai grandi dans ces espaces-là. Mon père est architecte. Il est à la retraite maintenant mais il est architecte futuriste donc on a grandi dans une maison en plastique avec des hublots à la place des fenêtres, avec des jardins suspendus pour chauffer la maison et on avait tout ce mobilier-là. Donc il y a plein de petits clins d’œil même sur des jeux d’enfants qui dataient justement des années 70 et j’ai l’impression que c’est toujours aussi futuriste qu’à l’époque. Ça n’a pas tellement bougé. On n’a pas inventé des choses très différentes depuis, donc c’est rigolo. La petite fille qui est dans notre livre, elle grandit un peu dans cet environnement qu’on peut imaginer avoir appartenu à ses parents avant voire même à ses grands-parents mais voilà, c’est juste des clins d’œil de décor.
S. L. : D’abord ça correspond au rapport qu’on a au futur aujourd’hui. Notre rapport au futur est beaucoup plus compliqué que ce qu’il était il y a quarante ou cinquante ans. Il est beaucoup plus incertain, beaucoup plus angoissé, beaucoup moins tendu vers une espèce d’âge d’or qui nous serait promis. Pas du tout. On est en train de se débattre pour essayer de vivre un âge déjà supportable. Il y a une critique française, Sylvie Denis, qui a appelé ça le présentisme. On est en fait immergé dans un présent éternel dont on n’arrive pas à sortir pour se projeter vers le futur et peut-être que l’esthétique du livre produit ça aussi, cette impression que, au fond, c’est 2060 mais du point de vue du design, c’est 1960 et du point de vue des émotions humaines, c’est des invariants qui ont 1000 ans. C’est ça qui est intéressant, c’est quand la science-fiction arrive à produire des mondes qui sont tout de suite aussi intimes que le monde de la fiction contemporaine. Il le faut.
Y. L. : Et puis on voulait que le lecteur ait l’impression que cette histoire, même si elle se passe dans le futur, ce qui fait qu’il y a une sorte de décalage temporel qui se fait avec la lecture du livre, se sente aussi chez lui. Moi, d’abord ça ne m’intéresse pas de dessiner – on en a déjà tous vu – des villes ultra « figured » avec des voitures qui volent ou des trucs comme ça, c’est bon. Là, ce que je trouve beaucoup plus intéressant, c’est que le lecteur ait des repères visuels à tous nivaux : au niveau des fringues, du design, de la pub, etc … En plus la robotique, ça n’évolue pas très vite parce que ça coûte extrêmement cher et quand on pense à toutes ces perspectives qu’on avait sur des tas d’objets futuristes qui allaient changer notre quotidien, on se rend compte qu’en fait pas tant que ça.
S. L. : L’objet futuriste, c’est la cafetière qui te dit de te lever, qui fait couler seule un café. C’est pas génial. C’est Peter Thiel qui avait dit au début de l’Internet On rêvait de voitures volantes et on a eu 140 caractères. En fait les promesses de la technologie sont quand même assez décevantes dans l’ensemble.
Y. L. : Parce que ça coûte beaucoup plus cher que de développer des IA, voilà. Donc c’est vrai que c’est une science-fiction mais qui est proche de nous, qui est dans un monde relativement proche.
S. L. : Et puis on dit aussi au lecteur, mais ça, c’est le génie d’Yann, à quel détail il convient de faire attention. Justement par exemple le truc des voitures volantes, c’est très intéressant. Au début on voit une voiture volante mais c’est une boîte ; c’est-à-dire elle n’a rien de remarquable. C’est une boite avec A 12 marqué dessus et on dirait juste une boîte qui vole et c’est une manière de dire au lecteur que ce n’est pas là qu’est l’intérêt, ce n’est pas dans le rêve futuriste classique, c’est ailleurs. Donc ça, c’est une chose qui est arrivée assez spontanément, dont on n’a même pas discuté parce qu’on était d’accord sans même se concerter.

Y. L. : Les robots qui sont présents dans l’histoire sont vraiment relativement simples. Par contre, leur présence émotionnelle, intellectuelle, etc … devient beaucoup plus intéressante.
Surtout sur la fin …
S. L. : avec le petit robot médical qui a une prise de conscience …

Un dernier mot mais très important J’aimerais qu’on s’arrête sur la couleur et son importance dans le récit .
Y. L. : À l’époque où je commençais à réfléchir à ce livre, enfin à Vega, à l’histoire avant même que ce soit un livre, j’étais tombé en adoration devant un artiste américain qui s’appelle James Turrell, un sculpteur de lumière qui a maintenant 60- 70 ans à peu près. Il présente des œuvres depuis les années 60 et il sculpte littéralement les photons c’est-à-dire qu’en fait il crée des univers, des espaces qui sont pleins de lumière colorée soit naturelle soit artificielle. Pour avoir visité certaines de ces œuvres je me suis rendu compte à quel point des espaces monochromes devenaient extrêmement immersifs et créaient des sentiments très très puissants et très différents, très individuels en fait. Et j’avais envie, alors que moi je dessine très souvent en noir et blanc, d’expérimenter la couleur sous cet angle-là, c’est-à-dire des couleurs qui soient radiantes, immersives et sans compromis de demi-teintes. Ce sont de grandes zones, pas dans le monochrome, mais vraiment dans la polychromie et du coup dans le livre, on a de grandes plages comme ça de couleurs, d’harmonies qui vont du bleu très clair vers du turquoise. Après, on est sur des lumières beaucoup plus fortes, les roses, les violets qui se mélangent avec des jaunes donc en fait, il n’y a pas vraiment de jour, de nuit. Tout ça est très très mélangé pour qu’encore une fois l’immersion à la lecture du livre soit à son maximum, d’une certaine manière. Donc c’est très expérimental, la couleur. Il n’y avait pas de logique. Finalement, si j’avais eu des problèmes de vision ça aurait presque pu justifier ce choix de couleurs. (Rires) Il y a vraiment cette idée, ce côté daltonien. La pollution par exemple dans le livre est exprimée par le rose. Logiquement, non. Le rose, c’est plutôt les layettes, les environnements un peu cotonneux. Mais voilà, la pollution elle est rose et on ne sait jamais si on est le jour, la nuit …

S. L. : Et je dois dire que quand Yann m’a contacté, c’est probablement cet aspect qui a emporté l’adhésion tout de suite. Ses couleurs, ses effets de transparence et de luminosité sont splendides, vraiment splendides. Ça fait partie de l’expérience de lecture vraiment.
Y. L. : C’était ça l’idée ; c’était ce que je voulais vraiment. Moi, je dessine d’abord en noir et blanc et je ne voulais pas que la couleur soit juste un remplissage, du genre l’éditeur veut une couleur. Non, ce n’était pas du tout ça la démarche. La couleur est aussi importante que le dessin.
Et puis c’est un objet magnifique …
S. L. : Ah oui, on a été très bien servi. Le travail est magnifique. On est très contents.
Et après ? Quels sont vos projets ?
On en a pas mal.
En commun aussi ?
S. L. : En commun et séparément aussi. On a nos vies. Mais en commun parce qu’on est devenu amis, parce que pratiquement sans se chercher, on s’est trouvé tout de suite : on est tout de suite tombés d’accord sur l’essentiel, sur la façon de travailler, sur le résultat qu’on voulait, sur qui tranche tel type de décision. Parfois c’est un peu miraculeux parce que vous rencontrez des gens avec qui vous vous entendez tout de suite.
Y. L. : Oui. Il n’y avait pas d’ego. On avait envie des mêmes choses pour nos personnages.
S. L. : Oui, oui bien sûr et on a envie de reproduire ça. On a un projet de deuxième livre qu’on va doucement mettre en route et puis il y a des projets de films qu’on va essayer de développer et de concrétiser.
Toujours chez Albin Michel le deuxième livre ?
S . L. : Pour l’instant, il n’y a pas de discussion mais ça semble assez logique.
On va suivre ça de très prêt, alors. Merci à vous et bon Livre sur la Place !
Interview de Francine VANHEE

POUR ALLER PLUS LOIN

Pour en savoitr plus sur James Turrell
